Au récit enflammé d’une passion amoureuse se mêle la folle espérance soulevée par Mai 68.
Jean-Pierre Thorn remonte le fil de sa vie pour retrouver les figures rebelles qui ont peuplé ses films : des ouvriers en lutte des années 70 jusqu’à leurs enfants du mouvement hip-hop... et aujourd’hui les gilets jaunes d’un rond-point à Montabon. Ensemble, ils composent une fresque lumineuse qui prolonge et répond aux lettres de son amante trop vite fauchée par la mort. Ils montrent combien la rage de Mai est plus que jamais vivante : telle la braise qui couve sous la cendre.
Je n'avais vu aucun film de Thorn avant celui-ci, et si j'en crois les séquences des précédents qui sont présentes dans L'Acre parfum des immortelles, le ton est assez différent. Du film social, en prise avec les révoltes de son époque, Thorn a évolué vers un cinéma plus poétique, où les luttes sont toujours présentes mais vues et analysées avec plus de recul. L'une de ses forces principales est d'alterner les séquences entre ses films antérieurs et entretien au présent avec les mêmes interlocuteurs: prime un amer fatalisme, une prise de conscience générale que les luttes du passé n'ont absolument rien apportées de positif, que ce soit pour les ouvriers dont les usines ont fermés aux breakdancer/graffeurs issus des banlieues qui constatent que leur ostracisation est encore pire que dans les années 80 (ce que certains ont solutionné en prenant leur distance avec ce mouvement, comme pour en renier l'échec, alors que d'autres y sont toujours très actifs mais concluent que l'embrasement total - que Thorn a déjà filmé à Clichy - est inéluctable). L'autre force du film, peut-être sa plus grande réussite, et d'imbriquer la grande (l'évolution de la société française ces 50 dernières années) et la petite histoire, à savoir l'histoire de son couple avec Emmanuelle, qui commençait à battre de l'aile avant qu'elle meure à 25 ans du paludisme. Comme Thorn l'avoue, il a, comme solution à la douleur de la perte de l'être aimée, fait longtemps le choix de l'oublier. Puis, retombant sur les lettres qu'ils s'envoyaient à l'époque (dont je jalouserai presque la caractère passionnel), la mémoire s'est ravivée. Le film est donc un enchevêtrement inextricable de sa propre histoire et des luttes auxquelles il a participé, pour mieux conclure que luttes et passions amoureuses finissent toutes irrémédiablement par s'essouffler, mais dont il nous reste au moins le souvenir des moments les plus forts.