Pendant l’été 1960, Edgar Morin, sociologue, et Jean Rouch vont enquêter sur la vie quotidienne de jeunes parisiens pour tenter de comprendre leur conception du bonheur. Le film-essai suit pendant quelques mois tout à la fois l’enquête elle-même et l’évolution des protagonistes principaux. Très vite autour de la question initiale, « comment vis-tu ? es-tu heureux ? » apparaissent des questions essentielles , la politique, le désespoir, l’ennui, la solitude… Le groupe interrogé lors de l’enquête se retrouve finalement autour de la première projection du film, en discute, l’accepte ou le rejette ; les deux auteurs se trouvent face à cette expérience cruelle mais passionnante de « cinéma-vérité ».
Mes premiers pas chez Jean Rouch, pas par le bout le plus souvent cité (sa période africaine) mais par ce socio-docu fondateur du cinéma-vérité (en hommage au Kino Pravda de Vertov) et grammaire essentielle du documentaire moderne. Il y a fort à parier que Pierre Carles, pour prendre un exemple que je connais bien, sur ses deux derniers docus, dont la forme est clairement plus posée et intelligente qu'auparavant, a révisé son petit Rouch illustré (Carles parle aussi souvent d'Eustache dans ses interviews... encore un retard qu'il faut que je rattrape d'urgence...).
Voici donc un film d'une brillante simplicité : Rouch et Morin filment des gens qu'ils connaissent, mais ne se connaissent pas ente eux, à différentes étpaes de leur été, et les fait témoigner de leur société, leur état d'esprit et leurs états d'âme, les fait se croiser, se rencontrer, échanger... Puis, une fois son film monté, il le projette à ses acteurs et les laisse réagir (la démarche récente de Carles, qui si j'ai bien compris va inclure des images des débats suivant les projections d'Attention Danger Travail dans Volem Rien Foutre Al Païs, en est proche).
On se retrouve donc avec le père spirituel du documentaire moderne, dans un film sincère, touchant et souvent drôle (même s'il peut être grave, par moments, notamment lors d'une évocation bouleversante des camps, dont la mémoire est encore proche à l'époque - on y voit une jeune femme rayonnante arborer un tatouage sur l'avant-bras... représentation assez troublante et à contre-courant de notre représentation actuelle, presque toujours liée aux vieillards).
Et puis il y a l'avantage du temps, de la désuétude imprimée dans les manières de s'exprimer, notamment, qui donnent une patine particulière à cet univers daté et amusant (ceci prolongé par l'usage du n&b). Le discours politique très critique envers le travail, achève de me convaincre.
6/6
ps : le film vient de sortir en DVD, agrémenté d'un portrait par Arnaud des Pallières qu'il faut à tout prix que je voie...