Marrakech aujourd'hui. Noha, Randa, Soukaina, Hlima et les autres vivent d’amours tarifés. Ce sont des putes, des objets de désir. Les chairs se montrent, les corps s’exhibent et s’excitent, l’argent circule aux rythmes des plaisirs et des humiliations subies. Mais joyeuses et complices, dignes et émancipées dans leur royaume de femmes, elles surmontent la violence d’une société marocaine qui les utilise tout en les condamnant.
Voilà un film qui prend des proportions faramineuses depuis la censure qui a réveillé une frange d'hystériques frustrés au Maroc, tournant à la fatwa contre le réalisateur et les comédiens du film: interdiction au Maroc, scènes hot filmées au téléphone portable lors des projections de la quinzaine retrouvées sur le net hors contexte, agression d'un comédien à la sortie d'une interview qui a failli finir défiguré... Nabil Ayouch n'avait pas suscité pareille réaction avec son précédent film, Les chevaux de dieu, pourtant dédié au fanatisme religieux. A Paris, les séances de la quinzaine au forum étaient blindées de monde, et quand je l'ai vu, la salle était composée à 90% d'arabes, donnant lieu à des réactions un peu folkloriques de la salle (genre une bonne grosse poilades lors des répliques un peu racistes), et Waintrop et le producteur ont insisté sur le fait que ceux qui tenteraient de filmer l'écran seraient débarqués de la salle manu militari.
Bon voici pour la polémique, maintenant le film. Difficile dorénavant de l'envisager en dehors du scandale ayant pris des proportions monstres (qui espérons-le devraient valoir à Ayouch son premier succès en salle là où ses films sortaient avec un succès d'estime mais dans une relative indifférence), mais on peut lui reconnaître son engagement dans sa volonté de montrer la réalité d'un pays qui a décidé de se voiler la face, en alternant scènes de parties fines vulgaires et frontales (difficile de filmer le sexe dans les pays arabes) et désarroi de la vie quotidienne (mères désavouées, quête effrénée d'argent toujours à court, soumission, détresse psychologique...). Ce qui est très appréciable chez Ayouch et ce que ne lui pardonnent visiblement pas certains, c'est de gratter l'humanité derrière l'obscénité factice, et de ne pas faire de la prostituée un énième personnage pathos, et de montrer que derrière le désarroi, la déconsidération de toute une société qui en arrive à légitimer le viol, on peut aussi se vanner, se charrier, redonnant le respect à ces comédiennes dont certaines sont d'anciennes prostituées et qui brûlent de naturel et de désir de vivre.
4/6