Chante ton bac d’abord raconte l’histoire tumultueuse d’une bande de copains de Boulogne-sur-Mer, une ville durement touchée par la crise. Un an entre rêves et désillusion. Imaginées par ces adolescents issus du monde ouvrier ou de la classe moyenne, des chansons font basculer le réel dans la poésie, le rire et l’émotion. (allocine)
Bon, c'est une déception, même si le film fait son petit effet malgré tout... Disons pour résumer que ça a beaucoup plus la gueule d'un beau reportage ambitieux (comme on pourrait le dire d'un doc de Moati) que d'un film de cinéma à proprement parler.
Les chansons, paradoxalement, en sont la marque la plus visible : c'est de la fausse-bonne idée de pitch. Devant la jolie BA, je pensais qu'elles seraient un petit mystère qui traverse le film, ouvrant des horizons un peu rêveurs. Or non : au-delà du fait que chacune est plus embarrassante que la précédente, elles révèlent la dimension totalement illustrative du projet, résumant à chaque fois comme pour un bilan de compétences les enjeux qu'on vient d'explorer dans les séquences qui précèdent.
Et c'est en cela que le film est reportagesque : entre le début et la fin, traverser l'expérience du film n'aura rien appris, ni à nous, ni au réal. On aura vu la simple application de la note d'intention d'origine, qui repart avec exactement ce qu'elle était venue chercher, sa récolte de scènes exemplaires dans sa besace : une génération de parents flippés par-ci, une bande de jeune excentrique par là, l'attente fébrile devant les résultats du bac... Comme un reportage de JT. C'est de l'application de programme, et à la moindre ambiguïté ou nuance, à la moindre possibilité de quelque chose au sein de la scène qui pourrait faire autre chose qu'illustrer, une chanson s'empresse de venir tout aplatir et inventorier avec la grâce d'un rouleau compresseur.
Malgré tout cela, pourtant, j'ai du mal à éprouver de l'antipathie pour le film. J'en ai tellement marre je crois du documentaire social fataliste qui en faisant mine de se soucier de celui qu'il filme va le résumer à la tragédie de sa classe, où l'ouvrier est d'abord et avant tout un ouvrier, ou le pauvre est forcément une figure tragique opprimée ou en lutte, où on regarde le perso enfoncé dans sa merde à distance statique et clinique qui n'en pense pas moins, où le simple fait de donner la parole et du temps à son perso est vécu comme un geste révolutionnaire... Boulogne est leur ville avant d'être une ville exemplaire de la crise qui les broie, et à aucun moment le réal ne fait mine d'apporter bonheur et couleurs à un quotidien gris avec ses petits chansons : ses persos n'ont pas besoin de lui pour ça. Je me demande si le côté doucement réactionnaire de ce film-ci (pas la moindre esquisse d'un besoin de révolte, chacun à sa place, il faut de tout pour faire un monde) ne permet paradoxalement pas une plus haute fidélité à la manière dont ces personnages traversent ce segment de leur vie.
Il y a donc réellement quelque chose de différent dans ce documentaire plus lumineux et musical, d'un peu moins complaisant dans la déprime, aidé par le vitalisme de l'adolescence certes, mais pas que. Le schématisme y est sans doute pour quelque chose (= transformons chacun en personnage haut en couleur cliché, faisons de chaque couples de parent un représentant bien visible de sa classe sociale), et c'est dangereux : ça devient même particulièrement gênant dans la manière dont le film se cale gaiement sur la niaiserie de l'âge de ses jeunes persos (c'est dramatique dans le cas du pseudo-rebelle, notamment) sans jamais la nuancer ou la remettre en question, sans jamais poser un regard dessus. Mais ce schématisme permet aussi de mettre en route un récit, un portrait en forme de petite fresque ou fable de la France actuelle. Et le film n'en apparaît peut-être amputé et amoindri que si on lit ce geste à travers une grille de lecture politique : ça donne aussi un autre destin à ces personnages que celui de specimen tragique du monde occidental en chute libre.
C'est pour ça que ça me fait chier que ce beau projet soit tellement raté. Même si c'est le haut du panier pour la TV...
