Mouchette est une adolescente, presque une enfant, qui vit à la campagne la vie des gens très pauvres et solitaires. Elle va à l'école sans plaisir, soigne sa mère très malade, s'occupe de son petit frère et de cent autres tâches domestiques. Le père et le grand-frère de Mouchette s'enivrent volontiers (comme la plupart des gens du pays) et font de drôles de trafics avec le bistrot du village. Une nuit, dans la forêt, la fillette est surprise par un orage.
Bresson refuse de résumer le film, disant que si cela était possible, ce serait odieux. En restituer ne serait-ce que l'esprit me paraît moi-même assez périlleux. Du schéma somme toute classique du martyre enduré en silence par un innocent, Bresson tire une aventure plus qu'un drame. Comme dans les autres films que je connais de lui, il ne s'apesantit pas, dans les dialogues et encore moins à l'image, sur des considérations psychologiques, mais s'intéresse bien plus à l'action, et aux plus petits fondements de celle-ci: les gestes. Le quotidien d'une famille pauvre à la campagne est dépeint précisément via le parcours de l'héroïne qui en révèle, à travers sa candeur et son acceptation des événements, les monstruosités. Le film est à ce titre d'une étonnante richesse, parvenant à dresser un véritable catalogue des méchancetés ordinaires malgré un dehors épuré.
Le drame est désamorcé la plupart du temps par ce réceptacle passif, ce miroir des horreurs, que constitue Mouchette, qui dans ses brefs - mais purs et ô combien touchants - moments d'héroïsme se voit signifier, eh bien justement, son insignifiance. Le sujet est peut-être là, cette négation de l'enfant comme personne et potentiel, les deux autres enfants importants dans le film étant le bébé, impuissant par nature, et le frère, en permanence imbibé d'alcool par son ivrogne de père.
Ce refus du pathos facile permet cependant au drame de surgir dans les dernières séquences (sans spoiler), où un geste de la main, un jeu d'enfant et sa conclusion, ont suffi à m'émouvoir plus que n'importe quel mélodrame. En sortant de Mouchette, j'ai du mal à y voir le film d'un croyant, tant la grâce paraît être mise en échec partout où elle se manifeste. Certes, Bresson expose les visages comme les vrais rois (d'ailleurs pas du tout par le cadrage comme un Bergman ou un Antonioni mais par l'éclairage et le regard des acteurs). Mais ces rois ne sont pas souverains, ils apparaissent fatalement asservis, tyrannisés par les gestes du quotidien et les événements, qui eux expriment une condition misérable. Tout le contraire en somme d'Un condamné à mort s'est échappé, où les gestes, ingénieux et extra-ordinaires, sont filmés de concert avec les visages comme les symptomes et les instruments d'une libération.
