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Prisoners (Denis Villeneuve, 2013)
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Auteur:  Film Freak [ 27 Aoû 2021, 22:58 ]
Sujet du message:  Re: Prisoners (Denis Villeneuve, 2013)

Film Freak a écrit:
J'avais suivi le cheminement de ce script auquel s'étaient tour à tour attachés Antoine Fuqua (sans doute intéressé par le côté vigilante expéditif) et surtout Bryan Singer (qui aurait été parfaitement à l'aise avec toutes ces figures du Mal) avant d'atterrir entre les improbables mains de Denis Villeneuve, qui signe son premier film US, lui permettant de revisiter cette notion de cycle de la violence, à l'instar d'Incendies, mais au travers du polar plutôt que du drame, et de traiter d'autres thèmes qui lui sont visiblement chers, comme celle du fanatisme sous ses différentes formes, la culpabilité du survivant, le besoin de comprendre...

J'imagine que ce sont ces mêmes idées qui ont amené certains critiques à comparer le film à Seven et Zodiac. Autant je peux comprendre dans une certaine mesure le rapprochement (Roger Deakins signe notamment une sublime photo assez fincherienne, dans ses noirs très noirs, et ses teintes jaunâtres), autant le film n'est évidemment jamais à la hauteur de ces deux exemples. Villeneuve aborde un style moins démonstratif que sur ses deux dernières oeuvres et apporte une patine auteurisante à ce qui aurait pu se résumer à un banal thriller. Il prend son temps pour explorer la douleur de ses personnages, le poids de la tragédie sur chacun d'entre eux, qu'il s'agisse du père, de la mère, du flic, du suspect, tous prisonniers de cycle de violence.
Il faut dire aussi que chacun d'entre eux est servi par une performance en béton, Jackman et Gyllenhaal en tête.

Malheureusement, l'intrigue s'étire un peu trop (ça dure 2h26 quand même) et tend à retourner vers ses origines de scénar à tiroirs, avec des fausses pistes, et des histoires de labyrinthes et de pendentifs qui lorgnent vers le film de serial killer assez basique, avant de s'y effondrer totalement dans un dernier acte vulgaire.

Ca reste d'une noirceur comme on en voit rarement dans la production US.

4/6

Depuis quelques temps, je voulais redonner une chance au film et c'est chose faite et j'en suis fort ravi.

Le troisième acte est toujours en deçà de ce qui a précédé, faisant basculer le drame humain vers du thriller à twists de base avec des facilités et grossièretés dans l'écriture.
Le coup de fil opportun sur l'autre suspect qui arrive pile quand Gyllenhaal est sur le point de capter que Jackman a enfermé Dano dans la salle de bain, le coup de sang de Gyllenhaal durant l'interrogatoire qui permet au suspect susmentionné de s'emparer de l'arme du flic et de se suicider, Gyllenhaal qui repère par hasard le pendentif avec le même motif de labyrinthe que celui dessiné par le suspect sur une photo qu'il a fait tomber de son bureau parce qu'il est vénère, et de manière générale toutes les révélations finales (Dano n'est autre que le premier gamin kidnappé par le couple et dont Gyllenhaal avait parlé à la mère, le mari du couple n'est autre que le cadavre décomposé dans la cave du prêtre, l'autre suspect est également un ancien enfant kidnappé et a repris le délire du labyrinthe du père mais s'amuse à chourrer des fringues des gamines kidnappées uniquement dans le but (pour lui) de se faire passer pour le coupable afin de donner une catharsis aux parents et (pour le film) de créer une fausse piste, le monologue de la tueuse à la fin donc et l'interprétation qui n'arrive pas à vendre ce truc pourtant intéressant de "on lutte contre Dieu en tuant des enfants pour faire perdre leur foi à leurs parents"
Comme dit QGJ, c'est au moins 15% trop inutilement alambiqué et donc ça requiert toutes ces explications qui arrivent un peu comme un cheveu sur la soupe car le récit n'a pas voulu s'attarder sur l'aspect thriller avant et n'a donc pas intégré ces éléments de manière plus pertinente.

MAIS

Ça m'a un peu moins gêné cette fois-ci et surtout, les 106 minutes qui précèdent sont puissantes.
Revoir le film maintenant que je suis père m'a fait vivre le perso de Jackman de façon complètement différente, dans cette obstination à vouloir assurer le rôle du patriarche fiable, prêt à toute éventualité, prêt à tout pour être le sauveur que sa fille le présume être. C'est déchirant. Plus que "le cycle de la violence" cher à Villeneuve que j'évoquais, ou les effets de la "Guerre contre Dieu" évoquée par l'antagoniste qui transforme le dévot en démon, c'est cette notion-là qui pousse le personnage à faire ce qu'il fait. Et ça, cette culpabilité qui te meut, je l'ai ressenti très fort (d'autant plus que la perf de Jackman est incroyable).

Auteur:  Fenrir [ 08 Sep 2022, 04:18 ]
Sujet du message:  Re: Prisoners (Denis Villeneuve, 2013)

Film Freak a écrit:
Revoir le film maintenant que je suis père m'a fait vivre le perso de Jackman de façon complètement différente, dans cette obstination à vouloir assurer le rôle du patriarche fiable, prêt à toute éventualité, prêt à tout pour être le sauveur que sa fille le présume être. C'est déchirant. Plus que "le cycle de la violence" cher à Villeneuve que j'évoquais, ou les effets de la "Guerre contre Dieu" évoquée par l'antagoniste qui transforme le dévot en démon, c'est cette notion-là qui pousse le personnage à faire ce qu'il fait. Et ça, cette culpabilité qui te meut, je l'ai ressenti très fort (d'autant plus que la perf de Jackman est incroyable).


Ce qui est intéressant c'est de voir que chez Jackman la foi est pourvoyeuse d'espoir, elle lui assure soutien et certitude quand tout son entourage flanche, voire bascule dans l'infantilisme (je conçois la difficulté pour le personnage de Maria Bello de se dépêtrer du gouffre dépressif - another labyrinth - qui l'aspire peu à peu, mais je ne cautionne absolument pas les reproches stupides qu'elle lui balance en pleine face - "t'étais censé nous protéger" - quand madame barbote sous barbi dans son canap' pendant que monsieur essaie de retrouver leur fille).
Jackman est évidemment mû par son amour pour sa fille mais aussi par sa foi complexe et son mysticisme qui le transcendent et lui apportent le déterminisme nécessaire pour aller jusqu'au bout de son idée, de sa "croisade", même si pour cela il doit côtoyer la folie furieuse monomaniaque et obsessionnelle (on pourrait voir dans la torture d'Alex une forme détournée de la fabrication d'un martyr, à qui on cherche à faire cracher le lieu où se trouve la fillette au lieu de le faire abjurer - à ce moment-là le film s'appuie sur le rapport ambivalent qu'entretient la religion catholique avec le châtiment et la souffrance physique expiatoire, tout comme la scène de chasse introductive avec l'abattage de la biche après une prière peut se voir comme un bénédicité anticipé :mrgreen: ).
Chez le couple meurtrier, c'est le contraire : incapables de surmonter le deuil de leur enfant et parce qu'ils n'ont pas les armes pour digérer leur souffrance, il leur faut absolument un responsable à ce drame, quitte à retourner leur foi aveugle comme un gant : ce sera la guerre sainte vengeresse et arbitraire au nom du diable, en soignant le mal (que Dieu leur a fait) par le mal (qu'ils font aux autres).
Si rétrospectivement Jackman était dans le juste (sans lui les gamines seraient mortes, point), il est constamment sur le fil du rasoir, et est aussi quelque part prisonnier d’un schéma mental. Il est censé représenter la bonne facette de la foi (celle qui donne courage, ténacité et conviction), même si elle contraint à emprunter des chemins de traverse on va dire…borderline.

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