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La Flûte de roseau (Ermek Shinarbaev - 1989)
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Auteur:  Tom [ 16 Mai 2012, 02:01 ]
Sujet du message:  La Flûte de roseau (Ermek Shinarbaev - 1989)

Mest ("vengeance") en VO.
The Red Flute à l'international.

Image

Dans la campagne coréenne au début du siècle, un instituteur assassine l’une de ses élèves, la fille d’un vieux paysan qui lui avait refusé l’hospitalité. Ce dernier décide de prendre une jeune concubine et met au monde un garçon, Sungu, qu’il élève dans un seul but : la vengeance.


Premier essai du coffret de la fondation Scorsese, que j'ai plus ou moins acheté pour ce film. Et bien c'est très enthousiasmant, surprenant, rafraichissant. Pas gagné d'emblée, aussi : l'image qui sans cesse s'épanche sans retenue, la prétention à parler de poésie sans se départir d'une naïveté têtue... le film frôle dangereusement l'emphase d'un world cinéma de fables "zen", qui excusent leur niaiserie par une surcharge visuelle kitschouille.

Ce film nous parle donc de poésie, et évidemment le projet fait assez peur. Mais si Shinarbaev semble en surface céder aux facilités d'usage, son approche frappe surtout par l'étrangeté d'une tendance à très discrètement confondre les époques, les lieux, les modes de représentation (symbolique, réaliste) : son exotisme n'est pas tant celui d'un tableau joliment fignolé que d'un récit protéiforme. J'ai lu par exemple que La Flûte de roseau raconte l'exil des expatriés coréens en URSS (le film est Khazake, et c'est effectivement le squelette de son scénario), mais à la vision c'est complètement faux : il n'y a rien de plus éloigné de cette narration que les dates et les topographies précises. C'est une contrée bizarrement vaste que celle de ce conte métisse, territoire presque fantastique (et donc légendaire) pour un peuple Asiatique comme tout entier apatride, brassé entre Corée, Roumanie, Chine et Kazakhstan. De même, par l'agencement de chapitres hétéroclites et d'énormes ellipses, le passé d'une cour royale dialogue tranquillement avec les échos flous de la seconde guerre mondiale.

Cela n'empêche pas Shinarbaev, par moments, d'opter pour une approche plus réaliste : la confusion entretenue (hors du temps, hors des frontières étanches, hors d'une tonalité réellement fixée) charme jusqu'aux images quotidiennes. La logique du film n'est de toute façon pas historique, mais poétique : pas au sens d'une emphase pénible (ce n'est le cas que dans quelques rares scènes), mais parce que le récit s'articule autour d'objets abstraits. Une serpe inondée de lumière, un hérisson égaré, un vêtement tâché de sang : les retournements-clés de l'histoire se calent sur des images-énigmes, à l'opacité non déflorée ni rationalisée, seulement porteuses d'un pouvoir d'évocation ouvert. Au-delà d'une structure narrative toute en rimes, cette poésie est ainsi l'affaire d'un film qui préfère les figures offertes (chantantes) aux symboles fermés (décryptables) : la femme retardée, ronde et aimante, fournit une image de maternité iconique et évidente ; le vengeur en chemin laisse concrètement des traces de sang sur son passage ; les scènes où germe l'idée mystérieuse d'un destin (le passé source de tous les maux, le final qui accomplit le sort) sont littéralement éblouissantes, comme si le sens profond nous en était étranger, inassimilable.

Tout comme le récent Poetry de Lee Chang-Dong, qui menait ce projet jusqu'à en prendre le titre, La flûte de roseau semble ainsi vouloir saisir l'essence de la logique poétique (= quel type de narration, quel type de représentation). C'est plus que casse-gueule de ne ne pas avoir pour cela choisi l'altérité d'images en prose, banales et brutes, Shinarbaev jouissant sans gêne de toute l'imagerie que des décennies ont transformée en clichés (du soleil levant sur la mer au penseur qui s'exile, tout y passe). Mais le geste est du coup aussi plus couillu (inconscient ?), et même si c'est parfois au risque du kitsch, le résultat est passionnant.


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Concernant le DVD : restauration superbe et compression impec, mais dialogues désynchronisés sur une bobine entière en milieu de film (je doute que ce soit un défaut d'époque...), quelques trous de sons + doublage russe sur le seul dialogue coréen du film (à la fin, ce changement de langue n'est pas anodin) - je ne sais pas si c'était le cas à l'origine, vu la tradition nationale maousse du voice-over, mais ça me semble bizarre de la part du réal de nous faire entendre cette langue si c'est pour l'écraser d'un doublage. Bref, je suis toujours aussi pantois devant ces boîtes qui foutent un fric dingue pour une restauration pellicule et qui sont pas capables de régler des problèmes audio basiques (la synchro quoi... putain).

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