Affiche commandée à Saul Bass, la dernière de l'artiste, finalement pas utilisée.
Entre autres revisions de cette rétrospective Spielberg à la Cinémathèque, la projection de La Liste de Schindler dimanche était une fois de plus d'une puissance incroyable.
Malgré tout, le film reste un de ceux que j'ai le moins vu de son auteur, forcément vu le sujet. Toutefois, j'ai été surpris de voir ces 3h15 passer presque à toute vitesse sans que jamais cela n'ôte au film son poids. Faut dire qu'il est d'une telle densité, jonglant les tons à merveille (j'avais oublié toutes les touches d'humour du film, improbablement nombreuses), traitant de la grande Histoire à travers la petite comme on dit, par le biais de cet inénarrable protagoniste, paradoxe ambulant (le nazi qui sauve les juifs). Kubrick disait du film "L'Holocauste c'est 6 millions de juifs qui meurent, La Liste de Schindler c'est 1000 juifs qui survivent". Je sais pas s'il le disait de manière péjorative mais il me semble que non, j'ai l'impression qu'il l'a surtout dit pour qualifier le film. Ca reste un film sur l'Holocauste mais que son auteur a besoin de raconter par le biais de l'espoir, de l'optimisme, de la foi en l'Humain. En cela, la fameuse scène des douches cristallise à elle seule toute l'entreprise, ou comment évoquer l'horreur mais avec toujours ce besoin de trouver l'espoir. La survie. C'est un film de survivant, c'est sûr.
J'ai encore une fois été frappé par la relative austérité du film, cette forme intemporelle, flirtant avec les classiques. En fait, là aussi, ça alterne les deux. Tantôt dans l'approche documentaire, dépouillée, pudique, tantôt dans la pure mise en scène, le signifiant, l'impudique. Mais toujours couillu. A tous les niveaux. Et je trouve le film poignant dans ses moments les plus froids (c'est somme toute assez dénué de pathos, le sujet et les faits étant amplement suffisants pour susciter l'émotion) comme dans ses moments les plus fat (la fin me dévaste comme rarement).
J'adore comme le basculement se fait graduellement, en sourdine. Certes, il y a quelques scènes-clé, notamment celle de la petite fille en rouge, mais déjà ça passe toujours par la mise en scène, et en plus, jamais l'écriture ne surfait l'évolution de Schindler, qui semble rester un businessman jusqu'au bout (ce qui rend sa dernière scène d'autant plus forte). Ce personnage est fabuleux de toute façon...sa présentation, sa présence...ça fait du BIEN de revoir Neeson là-dedans, "jeune", dans son époque "grands rôles", avant les habituels rôles de mentors ou de vieux badass. Et Goeth est tout aussi peu manichéen et donc fascinant, tout aussi humain derrière le monstre (pour coller avec l'actu, dans le genre "Oscar volé", le Meilleur Second Rôle attribué à Tommy Lee Jones dans Le Fugitif face à Fiennes dans Schindler, ça se pose là comme grand n'importe quoi).
Je me rends compte aussi, après avoir revu Munich également la semaine dernière, que ces deux Spielberg qui sont sans doute mes deux préférés du bonhomme, le sont en partie parce qu'ils semblent parfois tellement PAS spielbergiens...tout en le restant profondément. Deux films qui attaquent des sujets importants et où l'auteur se fait violence, se renouvelle, ose dans tous les sens (même le ralenti outrancier kitsch sur l'orgasme de Bana dégoulinant de sueur en plein flashback me parle, me fait ressentir sa douleur). Enfin bref...j'ai beau avoir fait ma paix avec War Horse (et j'adore toujours autant Tintin pour ce qu'il est) mais j'ai hâte de voir Spielberg revenir à ce genre d'exercice, à ce genre d'ambition. J'espère qu'avant de retourner vers le divertissement avec Robopocalypse, Lincoln sera de cette trempe.