Que je croise également sous le titre
Mune, Le gardien de la lune.
Dans un monde Fabuleux, Mune, un petit faune, est désigné bien malgré lui gardien de la lune : celui qui apporte la nuit et veille sur le monde des rêves. Mais il enchaîne les catastrophes et donne l'opportunité au gardien des ténèbres de voler le soleil....Heeeeey un gros pavé indigeste !
De loin, et à première vue, on a là une énième tentative de film d'animation 3D européen mainstream qui, sur le filon pseudo-poétique ©on-est-européens-c'est-notre-créneau-par-dépit, ne fait que jouer sagement ses gammes en prenant l'excuse d'un récit inepte pour faire l'exposition de ses concept arts... Aussi prolifique soit-il, passé quelques noms comme Ocelot, le cinéma d'animation français a le drame de ne pas être un cinéma de cinéastes, mais un cinéma d'animateurs et de directeurs artistique. Côté indépendant et courts-métrage, le concept formel prime sur tout (relevé de quelques automatismes narratifs lassants, comme un humour et un rythme à la Tati, ou une fabulation façon animation de l'est). Côté mainstream, l'envie maladive de se mettre à niveau techniquement et de ne pas faire cheap oblitère tout autre impératif. D'un côté comme de l'autre, les films s'écrasent dans leur impasse coquette, impuissants narrativement, promis à la stérilité des séances enfants des cinémas de bonne volonté.
Tout ça pour dire que
Mune, pour une fois et à force d'efforts, n'est pas tout à fait ça, et qu'il y a ici l'embryon de quelque chose de plus prometteur - quand bien même le danger guette, et que tous les éléments permettant un désastre répondent présents à l'appel. Le film a pour première qualité
1) d'installer un véritable univers, presque moins dessiné par son background légendaire (assez sommaire) que par la cohérence de ses parti-pris formels (rien que la gueule des serpents, qui évoquent une représentation archaïque, et dont la 2D renvoie dans le film au monde ancien, racontent quelque chose visuellement avant même leur premier dialogue) ;
2) de ne pas tenter de sur-exploiter cet univers dans tous ses recoins (d'en faire la visite et le décorticage, ou l'explication).
Cela tient au fait que le film ne fonctionne que sur les bases de sa métaphore. Par exemple, dans ce monde entre jour et nuit, l'un des personnage est fait de cire (figée dans la nuit, fondant au soleil). Aucune volonté d'expliquer la place que cette "espèce" incongrue (dont la fille et le père sont les seuls représentants visibles) prend dans la faune qui ne lui ressemble en rien, aucune volonté de justifier ce choix : la parabole prime. L'univers est donc moins d'abord installé
puis rempli de choix fonctionnels, que naturellement construit par ce qu'on y fait évoluer. Cela donne au film un côté niais dans son volontarisme poétique, mais aussi naïf au sens de capable de produire des images simples et rondes (tout ce qui tient aux deux astres, par exemple, ou au rapport entre les petits corps et les animaux-temples géants), ainsi que guidé par un désir de merveilleux sincère. L'ensemble, longue coulée confortable, se suit comme un show lumineux dopé aux habituelles partitions de Coulais.
N'allez pas imaginer un miracle, cependant, tant le scénario bien lambda et désinvesti semble plaqué par-dessus ces parti-pris, et les écrase. Que ce soit les personnages ultra-archétypaux en mode automatique (le crétin fier, le héros timide, le méchant, les sidekicks...), le trio de doubleurs pas convaincants (Omar Sy, Michael Gregorio, Izy Higelin), les percées comiques opportunistes (cassons le lyrisme pour une blague de merde, parlons djeunz, exploitons à fond le kawaï), tout fleure la facilité sur ce plan-là.
Surtout, ce film pose encore une fois la question de la mise en scène dans l'animation nationale (quoique, même au-delà parfois), tant elle semble absente, ou plutôt dissociée. Par exemple,
1) choix de mise en scène : quand on rêve, le film se transforme en animation 2D, et le fait de figurer aussi en 2D les flashbacks et légendes crée un tout homogène, façon monde du rêve des aborigènes (où le passé est indissociable des fantasmes qu'on y projette).
2) Mise en scène à proprement parler : un crayonné 2D mou fleurant le manque de budget, évoquant presque les storyboard animés des grosses prod, provoquant plutôt une sorte de conceptualisation distante. Entre l'intention et le résultat concret (= l'effet réel sur la narration, sur le spectateur), c'est comme s'il manque au milieu le réal capable de sentir qu'il y a là un problème... De nombreuses scènes me donnent cette impression bizarre : le héros qui se rend soudain compte qu'il se tient au milieu d'un cimetière des anciens gardiens, le héros face à son peuple l'exilant en ombres chinoises : à chaque fois, à la base, une idée narrative ou formelle inspirée, mais une mise en scène (au sens large : cadrage, rythme, direction d'acteur...) très neutre, qui semble ne pas avoir conscience de ces implications narratives, comme "en visite" à l'intérieur de la séquence (occupée à de simples impératifs fonctionnels), incapable de "faire scène", d'approcher la situation d'une façon qui nous parlerait de ce dont l'idée originelle se faisait écho, incapable de faire narration.
Je parle beaucoup d'animation française, peut-être pas assez du film... Disons simplement, concernant
Mune, qu'il y a là un film en partie anonyme et calibré, et qui laissera sans doute froid, mais qui représente une tentative et un potentiel assez inhabituels (ainsi qu'un véritable effort sur l'univers) pour mériter le coup d’œil quand il sortira - en avril.