A l'angle du monde en VF.
La petite île d'Hirta vit paisiblement à l'écart du continent et de ses soucis. Mais certains de ses enfants veulent partir se mêler au monde... Ces divergences profondes, qui menacent le futur du village, amènent deux amis à se mesurer par un défi : l'escalade d'une falaise particulièrement dangereuse de l'île.
Faut que je remercie le Zob, je connaissais pas du tout l'existence de ce film, c'est les photos de son quiz qui m'ont donné envie de voir ça de plus près. Sur ce point précis, la claque visuelle justement, ça en vient à prendre une dimension terroriste : y a pas UN plan qui soit pas une tuerie esthétique là-dedans. Je pensais que l'apogée virtuose de Powell était à chercher dans ses films couleurs les plus célèbres, et ben pas du tout, en tout cas pour moi là y a pas photo... Le décor-trésor qui sert de matière à ce déchaînement formel, un amas de falaises violentes se jetant dans le vide, vient d'autant plus doper un réal qui manifestement se régale, essaie d'attraper cet espace par tous les bouts, tous les angles, comme un gamin tout fou d'avoir trouvé le jouet ultime. Évidemment, le but est de mythifier au maximum l'endroit, de le faire symbole d'un monde ancien qui va disparaître, et ça marche très bien.
Il y a de toute façon heureusement, dès cette époque visiblement, une maîtrise chez Powell qui fait que ca ne vire jamais au catalogue essoufflé de vues alignées - la comparaison criante avec Finis Terrae, que pourtant j'aime beaucoup, est pour le coup très parlante. J'ai pas eu l'impression d'un film qui tourne à vide, sorte de bidule esthétique creux... Mais dans l'enthousiasme formel un peu vorace, il faut quand même reconnaître que cette belle histoire simple (la fin annoncée d'un monde à l'innocence idéalisée, évoquant d'ailleurs souvent Le village) se voit un peu malmenée par un récit impatient qui se précipite souvent, qui brûle les étapes, soit par des facilités (le défi idiot lancé en trois phrases, le coup de la corde), soit carrément par du n'importe quoi (tout l'épisode du poupon au bateau, où on a soudain l'impression que l'équipe entière s'est finie à la coke en mode "regaaaaaarde wouhalaaaa, j'te parie que je fais plus d'ellipses que de plans, hey, sans les mains !"). Difficile dans ces conditions de toujours s'immerger dans cette histoire de deuil et de naissance, dans le rythme cyclique des saisons qui ramène régulièrement son imagerie dans le film, ou de réellement accompagner la jeune fille fil rouge qui fait le lien entre tous les personnages, au point de ne plus vraiment exister pour elle-même (le final n'en a même pas besoin...).
On va pas refaire le film, mais il me semble assez évident qu'il aurait réellement gagné à adopter le rythme de la chronique, à s'allonger et à semer son récit avec patience, tant il prend en coffre lorsqu'on s'offre le temps de dessiner cette communauté en quelques traits, de camper les personnages en quelques plans (casting impeccable, au passage), sans jamais en faire une finalité pseudo-documentaire : c'est paradoxalement plutôt dans ces moments centrés autour des villageois que la dimension mythologique du film déploie complètement ses ailes. Il y a, comme ça, des morceaux de pure béatitude : les chants autour du berceau dans la plaine, l'annonce des funérailles porte à porte, le départ de l'île... Quand toute cette beauté sait résonner d'une aura humaniste, de cette douceur qui donne naissance aux images moins calculées, moins évidentes, l'art de Powell atteint vraiment des sommets.
4,5-5/6