Redécouverte d'un truc que tout le monde avait vu sauf moi à l'époque...
Je m'attendais à un film absolument catastrophique, une sorte de gloubi-boulga mielleux enchaînant comme des perles tous les poncifs de la guimauve à statuettes dorées. Et j'ai pas été déçu, tout est là au rendez-vous : le parcours initiatique du golden-boy qui découvre les vraies valeurs de la vie, le synthés tout droit sorti des années 80, la performance à oscars énaaauhhrme, le côté "l'autisme pour les nuls"...
Et pourtant, inexplicablement, le film fonctionne très bien, profondément, diffusant son effet durable avec une finesse innatendue... C'est peut-être la nostalgie pour le cinéma hollywoodien des années 90 qu'on sent poindre, tous ces cadres sobres, réfléchis et mesurés. C'est sans doute plus simplement la simplicité toujours préservée des scènes et des situations, qui pioche le meilleur dans le road-movie qui sert de squelette-modèle au film : son épure.
Le mielleux est quelque peu cadenassé par le dialogue de sourds : c'est un amour à sens unique qui se construit, l'objet de l'affection est un mur qui ne rendra rien ou presque en retour. C'est une belle idée qui permet au perso de Tom Cruise d'évoluer de manière totalement solitaire, comme seul face à un miroir, et de concentrer le film sur le pathétique de la découverte du no man's land qu'est sa propre vie affective. Mais surtout, le film a l'intelligence d'approcher l'amour comme un syndrome, une onde qui s'étend. A l'image du thème musical entêtant qui se construit mécaniquement, comme un joli rouage, un peu plus féroce à chaque nouvelle scène ; du frère autiste réduit à un pur phénomène, à un rythme saccadé de son et de montage, une sorte d'oracle aux mots opaques traçant la voie (très jolie scène de nuit noire, vue de la voiture en suivant le frère qui marche) ; ou encore à cette fin étonnamment mélancolique et amère, qui laisse Cruise dépité, à qui on a donné le goût du bonheur pour immédiatement lui retirer et lui en faire sentir l'absence.
L'amour fraternel naissant comme une sorte de maladie, fataliste, qui se répand, contamine, et laisse tout en chaos sur son passage : il y a quelque chose ici de plus travaillé et compliqué que le simple buddy-movie attendrissant. Rien de révolutionnaire, mais je suis surpris de cette réelle qualité, et ça me rend curieux concernant Levinson.
4,5/6