Une enquête documentaire sur le monde agricole français aujourd'hui à travers de nombreux récits : agriculteurs, chercheurs, agronomes, écrivains... Un monde qui parvient à résister aux bouleversements qui le frappent - économiques, scientifiques, sociaux - et qui, bon gré mal gré, continue d'entretenir les liens entre générations. Un monde au centre d'interrogations majeures sur l'avenir.
À la base, un ami me conseille le film, qu'il n'a pas encore vu, parce qu'y apparaissent les époux Bourguignon, agronomes d'exception, qui ont claqué la porte de l'INRA devant l'aveuglement volontaire de l'Institut face au bio (cf cette excellente interview : http://www.infosdelaplanete.org/3592/de ... terre.html )
Il se trouve que les Bourguignon m'avaient beaucoup intrigués, surtout lui, grande gueule très cinégénique, sacré bagout, vraie tronche, collection de chemises à carreaux invraisemblable : vrai personnage de cinéma, quoi. Et depuis quelques temps, je me disais qu'un de mes prochains projets consisterait à rentrer en contact avec eux afin d'envisager un film. Ceci en gardant évidemment en tête que réaliser un documentaire sur l'agriculture après Depardon n'était pas évident.
Que Dominique Marchais me double là-dessus m'a permis de ne pas me poser cette question cinématographique fondamentale. Ce qui ne veut certainement pas dire que lui se l'est posée. Bien au contraire.
Le temps des grâces est un gâchis formidable, qui prouve à qui en doutait encore que les sujets les meilleurs ne font pas nécessairement les meilleurs films. Les cinq premières minutes, pourtant, font illusion. Avant que quiconque ouvre la bouche, le film y compile ses meilleurs plans : paysages anti-carte postale, ramenant l'agriculture à ce qu'elle est en train de devenir, à savoir tout sauf l'image d'épinal de bottes de foin proches des sous-bois romantiques. Le tracteur au premier plan, l'avion ou l'autoroute à l'arrière-plan, et c'est l'envers du décor qu'on découvre, ceci rappelant les malignes photos des coulisses du salon de l'agriculture parues dans le dernier numéro du Tigre. Et en vérité, quand cette intro s'achève, le film a déjà quasiment tout livré. Le reste ne sera qu'un brouillon d'un film sans doute passionnant, mais qui ici n'est ni fait ni à faire.
C'est que Marchais n'a aucune idée de la manière dont il devrait mener ses entretiens. Du coup, il ne les mène pas. Tant pis, il tronçonnera au montage. Et nous voici avec des tunnels de texte, montés en dépit du bon sens, filmés à la va-comme-je-te-pousse, sur le siège passager d'une bagnole, dans le vent trop fort pour le pied sans doute trop léger de la caméra, devant la vitrine d'une bibliothèque où l'équipe se reflète lamentablement, etc, etc. Et ceci avec cette constante esthétique : les interviewés n'ont semble-t-il pas de front, puisque chacun est systématiquement très violemment casquette, souvent en légère contre-plongée, cadré depuis la taille. Je vous laisse imaginer le truc et voir à quel point le seul cadre est déjà un affront terrible pour les interviewés, qui ne peuvent être à leur avantage dans ces conditions.
Les interviews, quant à elles, se font interminables, jargonnantes jusqu'à plus soif, montées sans logique, sans ordre (certains interviewés surgissent sans qu'on sache pourquoi, même en toute fin de film, hop, un nouvel interviewé qui tombe du ciel), sans cohérence, et toujours conçues sur le même schéma, stupide :
a. une description de l'état des choses, tantôt en mode micro-trottoir auprès des paysans, tantôt en mode bac+12 avec les scientifiques
b. un "et avant c'était comment?" avec évidemment la réponse "c'était mieux", qui en soi n'est pas fausse, bien au contraire, les régressions en matière d'agriculture sont absolument aberrantes, mais l'accumulation n'est pas très heureuse...
c. et enfin, car tout y conduisait, un : "et alors, ça vous rend mélancolique?" précédé d'un gros plan dégueulasse traquant la larme à l'œil (qui ne vient jamais d'ailleurs!)
ainsi chemine le film, dont la ligne esthétique passe son temps à contredire la ligne politique, pourtant essentielle, et ce jusqu'à chanter avec l'écrivain Pierre Bergounioux (qui, à l'oral en tout cas, j'ignore ce qu'il vaut à l'écrit, est hyper-gonflant et pompeux), "l'âge d'or" sur... eh bien justement un plan carte postale de vaches paissant dans le brouillard! (filmé sous plusieurs angles, d'ailleurs, comme si on ne savait comment le filmer, donc offert sous diverses modalités, choisissez vous-mêmes, ça fait bien longtemps que mon monteur est mort, y compris un pano très lointainement "straubien", mais complètement éventé puisque, hé, tu nous avais déjà montré tes vaches mon gars! on voit bien que tu rallonges la sauce!)
désastreux, évidemment, on s'emmerde à mourir alors que certains intervenants sont pourtant passionnants (jeune type barbu dont j'ai oublié le nom, j'aimerais bien savoir qui tu es, car tu déchires) (les Bourguignon sont égaux à eux-mêmes mais complètement sacrifiés par le montage qui les montre à peine, et notamment ne sait absolument pas comment les montrer au travail), le film semble n'en jamais finir (et comme il est organisé n'importe comment, on n'arrive pas à imaginer quand il serait susceptible de finir... les 2 heures en semblent dix fois plus...), et les erreurs flagrantes de montage (il y a certains plans complètement dégueux et inutiles que tout monteur et tout producteur tant soit peu censés vireraient sans même y réfléchir) combinées à une technique franchement hasardeuse (point incertain, mouvements d'appareils hésitants et bousculés dès la moindre brise, son franchement dégueulasse) achèvent de grignoter la patience.
alors on se raccroche comme on peut soit à la parole qui parvient par à-coups à rester intéressante et intelligible dans ce naufrage, soit aux grosses conneries de la mise en scène qui sont parfois involontairement hilarantes (la zique dans la Creuse, un "wouf!" inopiné hors-champ, etc).
à la fin, j'en pouvais tellement plus que j'en étais presque à regretter qu'il ne s'agisse pas au moins d'un pauvre reportage TV, où au moins à l'esthétique sacrifiée, on aurait substitué l'efficacité pédagogique, ça aurait toujours été ça de pris...
quand je lis ça en rentrant, je déprime :
http://www.allocine.fr/film/revuedepres ... 73265.html
