L'aristocratie anglaise du début de siècle, la grande demeure labyrinthe, l'enfant pauvre et la sexualité... Ce programme enthousiasmant devrait déjà se suffire à lui-même, et c'est sans doute ce qui fait du Messager un film si accessible, mais c'est justement l'originalité du film de ne pas être tout à fait ça. La mise en scène de Losey est d'un conceptuel obscur et énigmatique, sans cesse tendue entre d'un côté l'abandon au romantisme, à la nostalgie dorée de l'ère victorienne et de ses étés initiatiques, et de l'autre une approche rubick's cube bien plus distante, sans affect aucun, utilisant les personnages comme les composantes de ses petites équations. C'est vraiment un exemple soufflant de modernité au cinéma quand elle avance masquée : au détour d'un zoom cru, de points de vue inattendus, d'une froideur malaisante, le film nous rappelle très explicitement qu'il est entrain de nous fouiller au corps, sans qu'on sache ce qu'il est exactement entrain de travailler en nous. C'est une impression un peu irritante et géniale : on voit la machine au travail, mais ses rouages restent, pour moi, aussi incompréhensibles que les complexes sorts que lance le jeune gamin, et dont on ne comprendra jamais rien.
Récit aussi limpide que son traitement est opaque, cohabitation étrange se mariant idéalement à l'histoire d'une enfance incapable de déchiffrer le monde adulte à venir, le garçon butant dans la compréhension d'une sexualité qu'il côtoie pourtant de toutes les façons possibles. Marionnettisé par tout un monde aussi doucereux que cruel, dans une tension sociale qui explose par saillies brusques (les colères sont super violentes - j'étais complètement à la place du gamin, absolument terrifié), l'enfant se voit pourtant offrir par le réalisateur, qui va le priver de tous les bonheurs d'une vie, des sortes de poches de noblesse, scènes-trêves qui admirent chez lui une sorte de maturité en avance, notamment vis à vis de son camarade qu'il finit par devancer dans cette compréhension du monde adulte : la partie de Cricket et son soir déclinant, la dernière visite au fermier et les promenades au jardin empoisonné... plusieurs petites scènes qui le voient saisir, sans pour autant tout en comprendre, le fonctionnement profond de cette aristocratie. Avec l'œil conscient, même si vieilli, même si malheureux, même si desséché, de celui qui a compris le mortifère profond de cet univers de Dieux de pacotille : à travers la froideur de son film, Losey sait montrer, par éclats, la tranquille dignité de son Mercure.
Bon évidemment, après, on sera tous d'accord que le vrai apport de ce film c'est surtout d'avoir créé la musique de Faites entrer l'accusé...
