Deux voisins. Mal dans leur travail et dans leur vie. Face à face en rase campagne, quelque part dans le nord de la France. La cohabitation est difficile. Ils se dérangent et se détestent. Une violente dispute se termine à l'hôpital à cause d'une benne agricole qui s'est écrasée sur eux pendant leur bagarre. Ils sont paralysés des deux jambes et sortent de l'hôpital en chaises roulantes. Après réflexion, chacun renonce au suicide et ils se retrouvent par hasard sur le quai de la gare. Voisins malgré eux, encore. Commence alors pour eux un voyage improbable et atypique. Objectif : aller réclamer des indemnités au constructeur du matériel agricole ("Aaltra") qui se trouve en Finlande. Ces deux paralytiques vont vivre un véritable parcours initiatique : la découverte de son voisin
A la fois film minimaliste, comédie, farce cruelle, "road-movie": "Aaltra", réalisé avec peu de moyens par les journalistes du journal "Groland", dénote avec la production cinématographique française "mainstream", étonne et impose son style.
Film minimaliste -ou presque- de par la sobriété affichée: le début de film n'est qu'un silence ininterrompu d'une bonne quinzaine de minutes, des regards qui en disent long sur les rapports initiaux des deux personnages principaux, voisins (un ouvrier agricole qui vit dans un grenier et un cadre moyen stressé par son boulot et à la vie de couple lamentable). Ce sont aussi de longs plans-séquences sur la campagne picarde battue par les vents. On le pressent avec ce début "taciturnesque": la caméra ne s'attardera jamais sur les grandes masses humaines des villes. Et de fait, cette gare TGV déserte au milieu des champs qu'on voit au début du film annonce déjà que ce sont les voies de communication peu fréquentées ,et ceux qui les empruntent, qui seront la toile de fond de l'histoire.
Les deux cinéastes en profitent pour y faire intervenir toute la mythologie de leur passif "grolandien": prolos, petits vieux, une certaine "France d'en bas", une beauferie voire un chabérisme si cruellement et pourtant si tendrement caricaturée. Et malgré l'aspect parfois crépusculaire du film (noir et blanc, accentué par l'aspect "granulé" de l'image, mais adouci par une belle lumière), l'humour -comme on pouvait s'en douter -ne déserte jamais le film. L'occasion de sortir quelques répliques tour à tour hilarantes, pince-sans-rire, absurdes ou complètement loufoques:
" Purée qu’est-ce qui fait chaud ! T’as pas la clim, toi, dans ton camion ? Bah moi j’aimerais bien l’avoir. Et dire que mon beau-frère il a un tracteur, il a la clim. Et moi j’suis… pas de clim. T’as pas la clim toi hein ?"
"Remarque ça consomme, t’as raison. J’ai une voiture, j’ai eu le choix entre l’ABS et la clim. Bah j’ai choisi la sécurité : la clim, non ! l’ABS. 7000 francs hein ! Fin, j’te parle en… j’te parle en francs."
"L’autre jour j’ai roulé en tracteur, toujours celui de mon beau-frère. La climatisation : tu règle à 20, ça bouge pas, c’est réglé à 20, du matin au soir, et roule ma poule ! C’est merveilleux, tu te rend pas compte de l’heure. Si t’as trop chaud, un cran de moins, 18, 19, faut pas mettre plus, parce que, au-delà de 22, 24, quand tu sors, t’as la crève. C’est un choix à faire. Mais ça consomme. Il paraît que ça consomme, oh, un litre, de gazoil, en plus. Ehh oui, t’façon, d’ici 10 ans, 15 ans, on aura la clim d’office, ça sera même pas un choix. Tu l’auras, toi, tu l’auras. Si… sûr, sûr et certain"
"Tu sais pourquoi les noirs ils font pas de motocross ? parske quand il font des sauts, ils restent dans les arbres!"
"mmmmh que j'ai bon mes jambes!"
Un humour qui parfois devient cruel, comme quand par exemple les deux comparses profitent abusivement d'une famille allemande qui les a hébergés, ou quand ils volent le déambulateur d'une personne âgée. On a l'impression que ces deux "éclopés" (au sens propre comme au sens figuré) de la vie ne prennent pas conscience de la leçon qu'ils sont en train de vivre.
En effet, comme dans tout road-movie qui se respecte, ce voyage est l'occasion de changer quelque chose dans la vie des deux personnages principaux. Car si la solitude et le dégoût d'eux-mêmes les avaient poussés à vouloir se suicider (tentatives râtées), ce périple pour eux s'apparente à un "voyage initiatique" où il (re)découvrent toutes les facettes de l'humanité, les bonnes (racisme, intolérance, indifférence, etc) ... comme les mauvaises, et même leur propre comportement est parfois odieux. Mais au bout du compte, les rencontres fortuites qu'ils font avec des personnages parfois originaux (mais avant tout des hommes qui participent à la diversité naturelle des hommes, car la normalité, en définitive, est une notion toute relative) effacent leur solitude -physique et psychologique- et les "reconstruisent".
C'est là toute la magie, toute la poésie de ce film: faire en sorte que l'on s'attache à eux, et que l'on prenne conscience, avec eux, de la préciosité de la vie.
5/6
Dernière édition par Nijal le 07 Mai 2009, 22:01, édité 4 fois.
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