Un homme tombe amoureux, au cours d'un pique-nique, de la fiancée de son meilleur ami
Je n’avais vu que Bus Stop de Joshua Logan, un film que je tiens déjà en haute estime, une comédie discrète qui cache un cinéaste qui possède une acuité très singulière au sein du système hollywoodien de l’époque, une discrétion qui avait même trop fonctionné sur André Bazin qui y a vu au départ qu’une comédie hollywoodienne classique bien menée, avant de revoir son jugement justement après la vision de ce Picnic. Dans ce dernier il apparait comme difficile de parler de discrétion tellement le foisonnement des thématiques, des rythmes, des échelles de plans, des personnages, est grand et perpétuel.
Ca bouge dans tous les sens, du moins après la mise en place qui annonce un mélo des plus classiques, avant de virer à l’ode quasi renoirienne par la suite, durant le pique nique. Renoirien dans sa dénonciation sociale, car il n’y a pas la contrepartie bucolique qui vient renverser la façade bourgeoise comme chez Renoir, non là il y a une frustration permanente jusque dans le mouvement.
Renoirien dans sa modernité qui passe par de nombreuses digressions qui visent à décrire une ambiance et généraliser le sujet ; il ne s’agit pas que du couple comme dans un mélo classique, le sujet est partout, jusque dans les personnages secondaires qui offrent des séquences sublimes, comme par exemple cette vielle fille combattive finissant à genoux, suppliant pour se faire épouser. Que de troubles et de traumas sous les façades. Un sujet mainte fois traité… certainement, mais peu importe, ce qui compte c’est la singularité du style et du récit, une dramaturgie très moderne également, aussi ténue que possible, le mélo ne décolle pas réellement car ce n’est pas la réelle préoccupation de Logan que de faire un grand film d’amour.
C’est plus un film sur la beauté au sein du système social… c’est là que le personnage de Kim Novak prend toute son ampleur, un personnage à l’opposé de la profondeur comme on a l’habitude de la définir, pas très intelligente, du fait d’une immense timidité, elle ne parle quasiment pas dans le film, elle est simplement sublime. Une femme d’une telle beauté qu’elle souffre d’être trop regardée et idéalisée. C’est ce que j’aime dans ce film de Logan, la facade de la beauté ne cache pas le vice ou la méchanceté, mais une profonde souffrance à être réduit à un objet… Il faut voir cette séquence extraordinaire où, élue reine de la ville, Novak avance au milieu de l’eau, sur une barque, une couronne sur la tête, ayant l’air de ne pas trop savoir ce qu’elle fait ici, pendant que tout le village, tel une secte, levant le bras, scande son nom comme un seul homme… On est à la frontière du fantastique avec ce personnage, utilisée tel un objet (chez elle, debout pendant que sa mère lui met sa robe, où celle ci lui conseille subtilement d’aller se donner à un homme riche pour qu’il l’épouse). Jusqu’à la sublimation. C’est tout le talent de cette actrice que je trouve de plus en plus extraordinaire, c’est la douceur et la légèreté, l’opposé de l’érotisme omniprésent de Monroe, avec Novak il s’agit plus de mystère… d’ailleurs au début du film une phrase assez significative sort de la bouche d’un homme, après qu’il l’ait invitée à aller faire un tour en bateau « je veux dévoiler un mystère. Je veux savoir si tu es bien réelle au clair de lune »… Elle s’offusque bien sur, elle est bien réelle, mais elle n’y peut rien, all the boys love Kim Novak.
Je pourrais en parler des heures, j’ai trouvé ce film riche et complexe. Bazin faisait de Logan l’égal d’un Ray et d’un Brooks. Ca va loin mais sur le coup je serai presque tenté de penser pareil. Magnifique, les beaux films avec Kim Novak s’enchainent.
