J'attends avec fermeté et confiance le retour imminent de Costner au western, avec son Horizon, là. Et je n'avais jamais vu Open Range, pas même un extrait, pas même à l'époque.
Et c'est bien. Le choix de typo pour le générique de début est choquant, d'un mauvais goût achevé, mais très vite les paysages s'installent, puis les personnages et leurs dialogues, le tout avec une tranquilité évidente qui restera tenue jusqu'à la fin. Belle unité de ton et de rythme. Ca m'a rappelé Unforgiven de ce point de vue, que je n'ai jamais trouvé particulièrement culte ou prenant, sauf pour Gene Hackman. Ici, j'étais à fond tout du long.
Costner incarne à merveille, et fait incarner à Duvall, ce mélange de pudeur et de placidité à l'ancienne, sans pour autant qu'il y ait une économie d'écriture : les échanges sont pleins de non-dits quand il faut, puis revirent brusquement vers de la confession, avec une évidence qu'on retrouve dans la place occupée par les nuages dans ce ciel immense dès l'ouverture. Ellipses et digressions viennent ponctuer le tout, toujours avec cette élégance guindée, loin de la grosse machine aussi impressionnante que mal fagottée qu'est Wyatt Earp.
L'histoire est simple sans être simpliste : un conflit injuste et asymétrique, aux dés pipés, oppose un rancher attaché à son pouvoir local, qui exerce une main-mise sur une petite ville en pleine expansion, et un petit groupe de free rangers qui ne demandent qu'à circuler librement avec leur bétail comme ils l'ont toujours fait, et qui ont le malheur de passer au mauvais endroit au mauvais moment. Conflit classique entre nomades et sédentaires, appât du gain contre attachement à la liberté, corruption contre droiture, marche forcée vers la civilisation contre non-conformisme. On n'est pas pour autant dans quelque chose de l'ordre d'une simple lutte des classes, riches contre pauvres : le rancher en question (Michael Gambon, haïssable) est un immigré Irlandais, on ne voit jamais sa propriété ni son cheptel, il n'a pas non plus une armée de mercenaires... L'accent n'est pas tant mis sur sa richesse que sur ses méthodes de persécuteur parvenu, son opportunisme et sa lâcheté. Les free rangers, s'ils dorment au clair de lune et ne paient pas de mine, ne manquent de rien et peuvent même se payer des choses que le marchand même qui les vend ne peut pas s'offrir.
Bref : première agression , suivie de menaces, puis d'une attaque cruelle... et l'engrenage s'enclenche, mais toujours avec ce pragmatisme de cow-boy mâtiné d'un soupçon de lourd passé (et une intrigue sentimentale de bonne facture, avec un personnage féminin aux préoccupations touchantes portant sur le temps qui passe au milieu de nulle part). Le point culminant du conflit est stupéfiant, une des fusillades les plus impressionnantes du genre, et même tous genres confondus. Le plaisir simple de voir des enculés se faire dézinguer dans un contexte où c'est aussi attendu que souhaitable, rationnalisé comme une méthode éprouvée de gestion des conflits. Costner gère, parvient à faire survenir la brutalité, la tension, le foudroyant resserré sans pour autant casser ni contredire la mise en image jusque là très tranquille, avec le même niveau d'assurance, de précision et de sens du détail.
Je retiens une image en particulier : la planche posée sur la boue pendant une pluie diluvienne, pour pouvoir traverser un petit torrent devant l'entrée du saloon. Superbe allégorie de ce qu'est la civilisation. Merci Kevin. Dame Ginette a tout compris.