Le documentaire sur La Corée du Nord constitue un sous-genre en soi, et je ne suis pas sûr qu’il soit vraiment intéressant une fois qu’on en a vu un. On connaît alors ses figures imposées, les danses, les grandes parades, la face la plus rieuse de Pyonyang, jalons d’un parcours que réalisateurs, dessinateurs de bds, écrivains, influenceurs, touristes parcourent invariablement.
Qu’est-ce qu’un documentaire peut avoir d’intéressant à raconter, à part que le "pays le plus fermé du monde" a su jouer de son image pour booster son secteur touristique, le long de courts séjours, où la supervision et le contrôle sont constants façon Tintin et les Picaros et les interactions avec les habitants locaux tout simplement inexistantes ?
Il en est réduit à laisser un peu complaisamment errer son regard sur une surface inscrutable et inchangeante, à trouver un gimmick qui va essayer de la troubler.
En l’occurrence, Mansky, pour ne pas faire le film de propagande que la Corée du Nord voudrait qu’il fasse, laisse la caméra allumée entre les séquences, ce qui permet d’entr’apercevoir des ficelles qui se laissent assez facilement deviner nonobstant. Ce qui s’y lit aussi, ce sont les intentions avec lesquelles il est venu, la manière dont son regard informe ce matériau impersonnel et factice : il a voulu retrouver en Corée du Nord l’esprit de l’URSS d’autrefois pour découvrir une réalité qui lui semble bien pire. Les compositions géométriques, très belles, une musique élégiaque un peu tire-larmes renseignent peut-être aussi bien sur son tempérament que sur le sujet des images. Mais le documentaire est beau finalement dans la façon dont il va fouiller ou scruter le visage de ses protagonistes, en particulier la petite fille qui lui sert d’héroïne. Le plan le plus frappant est peut-être celui où elle est filmée épuisée, luttant contre le sommeil alors qu’elle assiste au glorieux récit de la guerre de Corée par un gradé au multiples médailles (dont le cliquetis au moindre mouvement ne manque pas d’être amusant), piquant du nez, le visage à moitié caché par le fauteuil qui se trouve devant elle. Les scènes dans le métro, une séance de photo sont quand même assez belles et viennent miner de l’intérieur la parodie du Triomphe de la volonté, à laquelle Manski injecte toujours comme une bonne dose de vulnérabilité. C’est peut-être cette attention portée aux visages, à quelques détails fugaces (comme ces enfants débraillés qui font les poubelles) qui le distinguent de ses congénères, les aventuriers du circuit touristique en dictature.