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Le Grand embouteillage (Luigi Comencini, 1979)
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Auteur:  Mr Chow [ 15 Juil 2014, 22:30 ]
Sujet du message:  Le Grand embouteillage (Luigi Comencini, 1979)

aka L'Ingorgo : Una storia impossibile

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Un immense embouteillage dans la périphérie de Rome, des centaines de voitures sont coincées dans un no man's land entre autoroute inachevée et terrain de promoteurs immobiliers laissés en friche...

Film franchement réjouissant, qui débute sur un mode qui semble prétexte à film à un énième sketchs propre à la comédie italienne avec casting 5 étoiles, ou une sorte de BD Pilote sur grand écran pour la jouer pluss enties... mais qui évolue vers quelque chose de nettement plus inquiétant. Oh, ce n'est pas juste le simple effet boule de neige surréaliste ou absurde, non : le film joue des changements de tons sans tomber dans cette "facilité", pour proposer des ambiances qui varient vraiment suivant les véhicules / individualités que l'on suit, les quelques rencontres, où la mélancolie et le pathétique se dispute à des éléments nettement plus glacials.

Autant Alberto Sordi préfigurerai ici facilement pour le critique contemporain le guignol à la Berlusconi, autant Comencini ne s'en contente pas et distille aussi par exemple dans son film des virées de jeunes éphèbes en mode Orange Mécanique néo-facho, et une orientation générale qui devient clairement apocalyptique, et pas seulement dans un mode Romero / sociétal/ série B... ce serait presque le blockbuster qu'aurait bien tâté le réal avec quelques images de fin qui disons le, en écraserait bien!

Le réalisateur prend plutôt le temps d'installer un véritable monde, finalement assez riche, qui prend une totale autonomie au fur et à mesure que le film avance, alors qu'on est sur un espace pourtant extrêmement limité. Comencini exploite les divers recoins de son décor en y donnant réellement vie, tout en arrivant à donner à cet ensemble hétéroclite un sentiment d'unité assez bluffant... Celà tient peut-être au fait qu'il est rare qu'une seule des situations différentes lancées à la figure spectateur ne se déroule vraiment comme attendue. Par exemple
après la scène du viol craint avec tristesse depuis que la nuit s'installe (maginifiquement), on ne va pas se voir offrir de vengeance ou de conflit spécifique, ni une simple lâcheté, Comencini jouant vraiment avec la volonté du spectateur sur ce qu'il veut voir à l'écran, avec ce personnage de camionneur difficile à juger... c'est un peu la même chose avec le personnage de cocu joué par Depardieu, qui fait semblant de dormir ou peine à se révolter
... S'installe un sentiment d'apathie certes, une mise en évidence de la cruauté du genre humain, mais qui évite à la fois le "spectacle de masse aglutineé" et le film choral didactique. Aucune démonstration "généralisante" ici.

Tout n'est pas parfait, il faut sans doute laisser au film le temps de s'installer et ne pas se fier à ses premières notes, et puis il y a des éléments certainement plus faibles dans l'écriture (le couple sinistre Girardot / Fernando Rey par exemple, ou les passages de Patrick Dewaere, même si sa scène "Crash" est rigolote...) mais je trouve ça plus séduisant que ce j'ai vu de Ferreri par exemple, ou même de l'absurde à la Blier puisque le trio des Valseuses est de la partie.

Dommage qu'arte n'ait diffusé qu'une Vf pour ce beau film (pareil sur le +7), même si la post-synchro n'aurait pas forcément été meilleure... Personnellement, avec ses voix de doublages familières en plus de nos acteurs frenchies, j'ai trouvé que ça renforçait la virée étrange que prend le film!

Auteur:  Vieux-Gontrand [ 02 Jan 2021, 18:07 ]
Sujet du message:  Re: Le Grand embouteillage (Luigi Comencini, 1979)

J'ai été plutôt rebuté par la première moitié, dans laquelle le film pâtit d'un dispositif trop lourd, le grand nombre de personnages ne permettant pas de choisir entre vignettes sociologiques et comédie. Mais la seconde partie, plus resserrée sur des personnages précis, emporte le morceau, car elle se montre beaucoup plus profonde, et même visionnaire. En effet, Sordi annonce bien le phénomène Berlusconi, et le plan final établit même un lien troublant entre l'embouteillage et les impacts sociaux et politiques de la crise actuelle (à la fois partielle et totale, c'est un film de confinement). Cela fait penser au K de Buzzati avec cet échelon intermédiaire entre fantastique et vérisme social, très présent dans la culture italienne de l'époque (mais on le retrouve même avant finalement avec Les Hommes et les Autres d' Elio Vittorini pendant la guerre : la fantastique semble être lié à la difficulté de toucher directement un public populaire avec un contenu uniquement politique). C'est une dystopie du présent, paradoxalement encore plus fantasmagorique que si elle était placée dans le futur.
Le film n'est pas sans lien avec Mad Max qui date des mêmes années, il pourrait montrer le "pendant" d'une crise où le contenu social de présent se perd et est peu à peu remplacé par une vision fantastique qui est le seul futur - l'enfant comateux à la fin du film est d'ailleurs un rappel du passé, la tradition est elle-même muette, désirée mais ésotérique.
Ce qui est aussi frappant : les extrêmes politiques sont figurés de manière unique (l'affairiste puissant et mesquin Sordi, les fascistes bourgeois du Range Rover blanc) de même que les personnages populaires, quand les situations bourgeoises sont doublement incarnées et peu différenciées (deux femmes enceintes, deux adultères, deux professeurs de fac amorphes et machistes, deux jeunes femmes hippies). Dans ce dédoublement il y a un peu l'idée que la classe moyenne est par excellence le lieu où logique sociales et logiques morales se concurrencent et se superposent, quand le pouvoir et la condition subalterne tendent plutôt à les discerner.
Mais le film prend une vraie dimension par des scènes muettes, courtes, fantasmagoriques, à la frontière de l'idéologie et du naturalisme, plutôt de l'ordre de ce que Daney appelle le visuel que de l'image, comme la femme qui pète un cable avec son chien, qui n'existe que dans cette crise, le jeu des phares pendant le viol qui évoque la télévision avec l'idée que l'image aliénante n'est pas imposée, même si elle est la seule . Il n'y a pas alors à choisir entre aliénation morale et aliénation économique : ce n'est pas pour rien que l'amant d'Angela Molina décrète la gratuité de la blédine qu'on lui vole pour nourrir tout le monde, au lieu de se venger du viol : pour Comencini il n'y a que la blessure qui légitime la lucidité politique, surtout quand elle est double : corporelle est individuelle avant d'être abstraite et collective. La nuit sur l'autoroute est d'ailleurs le point de bascule qui fusionne ces deux logiques. Le capitalisme, le consumérisme, le visuel et la destruction de la nature, c'est, d'une certaine façon, le fait que le négatif ne travaille plus QUE la nuit.

La cast du film est énorme, mais cela contribue peut-être à en affablir la puissance (toutefois les personnages les plus marquants sont ceux qui donnent la replique aux stars : le chauffeur déjà mentionné qui aide Angela Molina, l'ouvrier qui recueille Mastroianni mais transforme d'un regard le cocufiage même pas concrétisé en transaction mafieuse, le curé puis la mère de l'enfant catatonique, qui semble une actrice amateure mais a le plus long monologue). Il y a aussi une forme d'humour cruel dans le fait d'avoir mis Dewaere et Miou-Miou dans deux voitures différentes, pour rester dans le people morbide...
En ce qui concerne les acteurs connus, le personnage principal est finalement Angela Molina (dont le film permet peut-être mieux que Cet obscur Objet du desir Bunuel de réaliser que c'est une bonne actrice).

4.5/6

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