Neotpravlennoye pismo (Неотправленное письмо) en VO.
Parfois sous ses titres anglais : Letter Never Sent / The Unsent Letter .
Quatre géologues s'aventurent à travers la nature sauvage, dans une expédition visant à prouver la présence de filons de diamants dans le sol Sibérien. Alors qu'ils touchent au but, la forêt prend feu...
En cherchant une capture pour illustrer le topic, je me suis rendu compte que n'importe quel plan faisait l'affaire, haut la main. Et tout compte fait, pouvoir tirer un joli tableau de n'importe quel cadre, ce n'est pas forcément très bon signe... Déception à la hauteur de l'attente donc, puisque Kalatozov livre un film aussi éblouissant formellement que complètement désincarné. Et ce dès les premières secondes, qui partant du ciel (le générique) y retournent illico, juste pour la beauté d'un joli plan-séquence, sabotant déjà les rouages d'une narration d'emblée confuse, soumise à l'autorité des tours de force visuels.
L'envie d'aller croquer de la grande scène est immédiatement palpable, et le film n'a pas la patience de semer ce qui pourrait germer en apothéose. Il veut briller, tout de suite, quitte à ne rien faire mûrir. Son équipée est du coup très mécanique (trinquons à la Russie, travaillons dur). Son élément dramatique perturbateur (le triangle amoureux) arrive aussi artificiellement dans le film qu'il n'en ressort. Et l'enjeu (la carte qui permettra à mère Russie de construire une belle ville) est misérable. C'est étrange de sortir un tel listing quand on a Soy Cuba en face, mais la dimension propagandiste de ce dernier assurait au moins une unité de ton, une direction nette. Sous le vernis d'une cohérence plastique, La Lettre inachevée part lui dans tous les sens. Certes, dans sa deuxième moitié, le feu de forêt et la fatigue grandissante restructurent le film autour d'une ligne plus pure, et ça aide, mais dans l'ensemble, il est difficile de saisir ce qu'on nous raconte à travers ce livre d'images et ces personnages-pantins. Au point que certaines scènes (la course en forêt) semblent quasiment n'exister que pour expérimenter sur pitch (comment traduire l'euphorie ? essayons donc comme ça, c'est joli).
Les seuls éléments perçant l'artificialité du récit sont les quelques moments où Kalatozov semble nous montrer la nature s'acharner de manière presque sadique sur le groupe : le réveil dans la neige, par exemple. Le film entretient alors discrètement une sorte de mystère (pourquoi ce déchaînement ? de quoi le monde se venge-t-il ?) qui apporte enfin une profondeur à l'ensemble, qui lui donne une perspective plus mystique. Cette politique du pire est le terreau d'un déchaînement visuel si spectaculaire qu'il maintient le film uni par ce regard peu aimable (et donc captivant) qui s'abreuve de la beauté des catastrophes. On peut donc choisir de suivre La Lettre inachevée ainsi, en bavant devant la mise en scène en diamant brut et le talent d'un esthète au sommet de son art, occupé à peindre les 120 variations d'une forêt qui meurt. Mais au-delà, il n'y a pas grand chose à en retenir.