Dishonored en VO. Légers spoilers.
A Vienne, durant la Grande Guerre, le chef des Services Secrets fait la connaissance d'une jeune prostituée, Marie Kolverer. Il lui propose de travailler pour lui comme espionne...
C'est bien moins monumental que L'impératrice rouge (ne serait-ce que par la structure modeste d'un scénar réduit à deux missions), mais quelque part je trouve ça encore plus classe, et surtout beaucoup plus touchant. Dès l'ouverture, autour d'un énième suicide, Sternberg allie le tragique ambiant au flegme infini de son actrice, et ce rapport régulier crée des sommets d'élégance (le bandeau pour essuyer les yeux du soldat, c'est superbe !), qui sous l'aspect d'une forme plus mesurée parvient à préserver son avalanche d'idées baroques, d'autant plus puissantes qu'elles n'ont pas besoin du grand-guignolesque pour s'épanouir (idées de lumière très simples notamment, jusqu'au bel interrogatoire final dans l'obscurité). Plus généralement, le film respire une fascination pour son actrice extrêmement communicative, à la limite de la terreur parfois, qui joue beaucoup dans l'aura dont fait immédiatement preuve cette histoire finalement pas très compliquée.
Il est un peu dur de saisir ce qu'il raconte, justement, ce film... Une scène comme celle du déchiffrage du morceau en comité, qui flirte avec l'abstraction tant son rythme et son épure la rendent conceptuelles, semblent faire résonner ce qui intrigue le film dans son entier : l'idée d'utiliser l'affect (la musique, ici) au service d'un devoir froid. La guerre a rendu les gens rocs, ils ressentent mais ne peuvent s'engager à rien. Le film a ainsi souvent l'aspect d'une grande et vaine opération de déchiffrage de leurs sentiments privés, puisque les personnages eux-même, comme dans un jeu de rôle (jamais la couverture ne dure bien longtemps), s'amusent du fait qu'aucun d'entre eux ne pourra jamais baisser les armes. Ce n'est qu'à travers le combat "public" qu'ils mènent qu'il peuvent avoir des rencontres, des rapports, mais jusqu'à l'extrême des executions, rien de certain ou de fragile ne percera : nulle trace, ainsi, de conflit interne taraudant les personnages, tous sont dignes et lucides dans ce jeu froid. Ça donne au film une ambiance dépressive, mais pas résignée.
Mais même, le film va au-delà de ça, je ne saurais pas expliquer comment... C'est difficile à pointer. Ne serait-ce que l'effet bizarroïde de toutes ces surimpressions, là.
Y a des maladresses, malheureusement, qui attaquent un peu la prestance de l'ensemble : Dietrich, impérieuse en silence, semble pas toujours assurée avec l'anglais ; certaines scènes de discussions (celle avec le chef de la sécurité au début, notamment), sont ainsi bizarrement plates et dérythmées. J'aurais aimé aussi que ce soit plus long, plus ample, que tous les personnages secondaires hyper prometteurs aient la chance d'être développés, que le jeu de chat et de la souris continue jusqu'à l'absurde... Le mix sexualité-mort, ou sexualité-politique, semble pas mené au bout de ses possibilités. J'aurais envie d'une grande fresque.
Pied immense en tout cas que ce film, ca me donne grave envie de voir les Sternberg restants (Shanghai Express, Morocco...)