un topic bordélique qui part dans tous les sens, que j'ai posté sur le forum des Cahiers, mais que je trouve intéressant de poster également sur ce forum, puisque j'y parle de films qui ont fait débat ici aussi, à savoir Notre pain quotidien et 300
Je relis depuis hier soir La rampe et c'est comme si je ne l'avais jamais lu (l'ai-je jamais lu, d'ailleurs?).
Je crois mieux comprendre, à cette lecture qui enfin passe par une compréhension (bon, j'ai mûri, alors? ça y est, je commence à savoir lire?), ce que veut dire notre Borges
[note forum FDC: Borges est un foruméen encyclopédique des CDC] quand, plutôt que de répondre par ses mots propres, il préfère laisser dire ceux de qui le disait si bien. Redire les classiques, encore et encore, ce n'est jamais vain. Je commence à le comprendre, et du même coup je vois le retard: j'ai une bibliothèque entière à avaler, je ne sais pas si mon appareil digestif tiendra le coup...
Bref, ce qui frappe surtout en lisant (j'abandonne le re-, c'est bien la première fois que je la lis vraiment) La Rampe, c'est à quel point la parole de Daney résonne au présent.
1. La première partie, Violence et représentation (sauver l'écran), et notamment Sur "Salador", m'a renvoyé directement à nos débats sur Notre pain quotidien, à ce qu'Adeline, Borges, moi et d'autres, chacun à notre façon, avons tenté de dire à ZEM ou HarryTuttle
[note forum FDC, des foruméens CDC, débat mené par ici ], que Daney, dans son introduction a posteriori, écrite pour la réédition de ses textes des années 70, résume simplement en convoquant "la simplicité lumineuse de Barthes : le représenté n'est pas le réel".
Daney y fait clairement la critique de Bazin, qui n'est pas virulente, car on la sent immensément respectueuse, et qu'à la lire, on sent qu'elle est juste, justifiée, nécessaire... "Ecrire aux Cahiers, c'était hériter, sans le savoir, d'une idée fixe de Bazin, une de celles dont on ne se défait pas facilement: le cinéma est un regard sur le monde. Bazin disait: 'montage interdit', et Rossellini ajoutait: 'Les choses sont là, pourquoi les manipuler?' Du coup, on héritait de l'aporie qui en découle." (toujours dans l'intro)
Soit l'impossibilité de l'existence même de "la robe sans couture du réel" (Bazin)...
"Il s'en faut de beaucoup que le cinéma soit, comme on continue à faire semblant de le croire, rapport au réel, au monde, ou au vécu. D'abord et avant tout, rapport au visuel. Ni le double, ni le travestissement scandaleux, mensonger ou inexact de quelque chose d'autre, le visuel est déjà quelque chose d'autre, avec ses lois, ses effets, ses exigences. Le cinéma qui se rêvait 'en prise directe avec le monde' postulait que du 'réel' au visuel et du visuel à sa version filmée une même vérité se reflétait à l'infini, sans distorsion ni déperdition. Et l'on devine que dans un monde où l'on dit volontiers 'je vois' pour 'je comprends', un tel rêve n'ait rien eu de fortuit, l'idéologie dominante - celle qui pose réel=visible - ayant tout intérêt à l'encourager."
Cette réflexion qui m'anime depuis plusieurs mois et autour de laquelle je tourne sans parvenir à la dire, voilà qu'en un seul paragraphe, je la trouve exposée... Et Daney de citer plus loin un western spaghetti que je n'ai pas vu, Le Dernier face à face, qui ridiculiserait "un tel mécanisme - je vois, donc je prends conscience".
Violence à décorner les boeufs... Que de documentaires (mais pas seulement) tombent après cette tempête! (trop, peut-être?)
Espoir vain de Daney: "Hasardons ceci: cette 'logique de la vue et de la bévue' a un terme, et ce terme, nous commençons à l'entrevoir." Daney semble croire que bientôt se distingueront (tous seuls?) un "cinéma de 'l'évidence et de la splendeur du vrai'", alias "le cinéma publicitaire", et un autre qui y réchapperait. Ou bien j'ai mal compris, ou bien Daney fait là un voeu pieux et naïf, perdant de vue la plus grande facilité d'éxécution, donc l'attrait, donc la puissance, de ce cinéma de l'évidence et de la splendeur du vrai. Borges, si tu passes par ici, tes lumières m'intéressent...
Reste que Daney dit ceci de ce cinéma-là, qui me renvoie effectivement à NPQ (décidément, on va penser que je m'acharne, mais l'exemple est frais, alors je persiste) : "... cinéma publicitaire où toute vérité est vérifiable immédiatement, où l'on voit nettement l'irruption de la tornade blanche, mollesse du caramel Kréma ou la tache la plus rebelle s'incliner devant K2R. La plus grande partie du cinéma commercialement distribué, en ce qu'elle est la 'mise en valeur' d'un matériau préexistant, relève de plus en plus de l'esthétique publicitaire et s'invente les sujets et les préoccupations (la 'prise de conscience' sous les formes jumelles et rivales de la propagande et de la publicité) que cette esthétique implique."
Daney va même plus loin et prophétise très largement notre bon placement de produits contemporain: "L'indéniable réussite de la série des Salador [il s'agit d'une huile de table] (réalisée par deux 'cinéastes': Pirès et Grimblat) devrait d'ores et déjà inciter le grand capital à ne plus tolérer qu'un tel talent se gaspille dans de pseudo-films. Ainsi Lelouch, au lieu de faire semblant de traiter un sujet dramatique avec Montand au Congon (Vivre pour vire), ferait-il directement l'éloge d'une marque de treillis, ou Melville, au lieu de fourguer la tragédie grecque dans le film noir, vanterait une marque d'imperméables. Il y a là possibilité d'un gigantesque recyclage."
Bon, je pourrais continuer à citer, mais vous le savez aussi bien que moi: c'est le bouquin qu'il faut lire...
2. Autre chose, et qui me renvoie à
un autre débat. Plus loin, toujours dans une optique de critique de Bazin, il y a cet article, L'écran du fantasme (Bazin et les bêtes), où Daney rappelle les montages "interdits" par Bazin. Et notamment une règle qu'apparemment il formule "avec netteté: toutes les fois qu'il est possible d'enfermer dans le même cadre deux éléments hétérogènes, le monage est interdit." Et Daney constate, en reprenant les exemples de Bazin (documentaires animaliers, ou Le Cirque de Chaplin, entre autres) : "A ce compte-là, on va voir que l'essence du cinéma devient une histoire de bêtes."
Je vous passe les détails mais si j'ai bien compris, ce que Daney dit que Bazin dit (et que je redis à ma sauce, donc ne vous étonnez pas si je tombe à côté, mais j'aurai essayé), c'est qu'il faut cadrer en un seul et même plan, et donc ne pas découper, en champ/contrechamp, ce qui relève du spectaculaire, de la mise à mort, etc. Tout ce qui, une fois découpé, pourrait passer pour "faux", donc.
On voit tout ce que ça recouvre de chausses-trappes et d'interdictions néfastes de mettre en scène, et en quoi cela tient à nouveau de l'introuvable robe sans couture du réel.
Ce qui m'intéresse, moi, est autre.
Je repense à Hitchcock, conseiller documentaire pour l'armée américaine, conseillant de filmer les camps en plans-séquences, pour ne pas être accusé de falsifier le réel... (et ce même si, évidemment, "il n'est pas question pour Bazin de revendiquer dans l'absolu un cinéma non monté ; ce point de vue extrême lui est étranger ; simplement 'il est des cas où loin de constituer l'essence du cinéma, le montage en est la négation'")
Mais aussi, je pense au cinéma d'horreur (je dis d'horreur, mais en fait non, on peut penser plus largement, on pourrait aussi dire "de genre" si on veut, mais ici je dis d'horreur car ça me paraît plus parlant) en général, et aux effets spéciaux en particulier. Car c'est il me semble une problématique du cinéma d'horreur, que cette "coexistence, face à la caméra, [...] du tigre et de la vedette" : "C'est donc bien la possibilité de filmer la mort qui, 'dans certains cas', interdit le montage."
Où l'on pourrait admettre que Carpenter (qui aime à faire cohabiter le monstre et l'humain, dans le même plan -- dans le même monde? -- et n'aime pas suggérer... monstration disait l'autre, qui avait le sens de la formule), est Bazinien...
Mais il y a autre chose, qui m'intéresse tout particulièrement et où je voulais venir, c'est ceci, que Bazin lui-même pressent déjà, et écarte tant bien que mal: "Il est vrai que d'autres procédés tels que la transparence permettent d'avoir dans le même plan deux éléments, par exemple le tigre et la vedette, dont la contiguïté poserait dans la vie quelques problèmes."
Daney ne cite pas plus loin, j'en déduis donc, p-ê à tort, que Bazin n'en fait pas grand chose, du trucage...
Mais alors quid, à notre époque où un plan-séquence monstrueux, comme ceux qui composent les morceaux de bravoure du Fils de l'homme, n'en est en réalité pas du tout un? Ou encore, quand des acteurs jouent dans le vide, feignant de craindre un écran bleu?
L'écran du fantasme, donc... Qui travaille aujourd'hui sur la disparition du montage, que je prends, pour ma part, comme un héritage hollywoodien du jeu vidéo (cf. 300 et ses phases de beat'em all)? Si vous avez la réponse, ça m'intéresse grandement.
Par ailleurs, Daney (et p-ê moi aussi), retombe sur ses pattes : "La différence, la rupture, la discontinuité, cela n'est pas absent du discours de Bazin ni du cinéma qu'il défend, cela est même présent au point de 'crever l'écran'. le cinéma de la contuité et de la transparence à tout prix est le même que celui qui rêve de filmer la discontinuité et la différence en tant que telles. Et il ne peut le faire qu'en les réintroduisant comme objets de la représentation."
(pensez aux ralentis/accélérés dans ces mêmes séquences de 300 justement... mais p-ê même aussi aux jump-cuts du Direktor... qui travaille, d'ailleurs, aussi, aujourd'hui, sur les jump-cuts? c'est, il me semble, un motif très réccurrent de notre cher montage numérique... passionnant, tentant, piégeant (Le Direktor, one more time)... qui, en fait, travaille encore sur le montage, aujourd'hui? c'est p-ê aussi que la tâche paraît difficile à surmonter, tant les possibilités semblent infinies -- et même le sont, en quelque sorte... souvenez-vous l'avènement du DVD et les promesses d'interaction, refaites votre propre scène en changeant la position des caméras, tous ces boutons devenus très vite inutiles sur la télécommande...)