Il y avait dans son oeuvre une volonté démesurée de saisir la grande complexité historique de l'Europe dans sa totalité (en incluant aussi bien le nationalisme assumé comme idéologie et rapport aux valeurs, qui est pour de Oliveira réel mais passé, compréhensible avant tout dans un rapport de nostalgie, que l'utopie de la fraternité entre homme qui doit finir par contredire ce nationalisme, que l'on peut montrer alors qu'elle n'a paradoxalement pas encore eu lieu), un rapport de fidélité sophistiquée à la parole littéraire, et une confiance énorme et presqu'innocente dans les moyens du cinéma et dans son public. Avec sa mort j'ai ai l'impression de cesser d'être le contemporain d'une conception de la culture et de l'Europe (et de manière oblique de la France) fondée sur le cosmopolitisme, qui avait dû survivre à la seconde guerre mondiale et à l'impérialisme colonial en recherchant un formalisme esthétique encore plus grand que celui du roman du XIXème pour s'exprimer. C'était un cinéma qui ne tombait jamais dans l'imagerie, même lorsqu'il mettait en scène le désir et l'irréductibiltié des hommes dans l'amour et la sexualité, qui finalement passe telle quelle dans l'ordre politique qu'ils construisent eux-même.
Il faut aussi ne pas oublier ses actrices: Leonor Baldaque et Leonor Silveira, Anne Consigny et Patricia Barzyk dans le Soulier de Satin , et aussi chez les hommes Luis Miguel Cintra. Ils étaient tous à la fois lointains et hiératiques et familiers, incarnés dans la littérature et dans le réel. Il était capable de comprendre qu'une Miss France fatiguée de la vulgarité à laquelle elle doit sa réputation, pouvait être la mieux placée pour devenir un personnage d'une puissance démente (mais aussi sourde et sans ostentation), perdu dans les océans et au dessus des femmes mêmes qui ont inspiré Claudel, où se retrouvait à la fois la distance et la justesse de la littérature et la brutalité suicidaire de la passion, la froideur des calcul entremêlés de l'intérêt politique et de la filiation, et l'abandon inéluctable qu'implique la sincérité amoureuse (qui à la fin ouvre sur la mort ou permet une parole sur l'être, qui est aussi la limite et la fin du pouvoir politique réel).
Je m'excuse de l'exprimer de manière aussi pompeuse et affectée (alors que son cinéma est en fait accessible) mais pour moi ce n'est pas la mort d'un "mec".
Trois scènes qui m'ont marqué: Léonore Baldaque qui descend en sous-vêtements noirs pour détruire l'image de personnage diaphane et chrétien dans laquelle elle était enfermé dans "le Principe d'Incertitude", mais paradoxalement aux yeux des seuls pour lesquels elle existait. Le remeir plan sur la partie de la guerre d'Angola dans "Non" qui est le travelling avant sur un camion miltiaire monstrueux qui essaye de dominer la forêt (et a le même sens politique que les bateaux que l'on retrouve dans beaucoup de ses films). Dans ses films récents, le meilleur et le plus troublant est sans doute la suite à "Belle de Jour". Il ya qyelque chose d'horrofique dans la manière dont l'orchestre du générique est filmé, de loin, rapetissé à l'extrême, sans échelle de plan, avec l'arrière-plan rougeâtre de la scène d'opéra qui renvoie à la fois la froideur de la "grande" culture et l'intérieur d'une viscère ensanglantée dans laquelle se débatterait un jouet mécanique.
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