Le Monde
Roger Pierre est mort le 23 janvier, des suites d'un cancer, à l'âge de 86 ans. Né le 30 août 1923, le comédien avait formé dans les années 1950 un fameux tandem d'humoristes avec Jean-Marc Thibault. Les deux hommes s'étaient rencontrés à Radio Luxembourg où Roger Pierre, speaker publicitaire, lisait les textes écrits par son futur compère. Associés, ils débutèrent au Caveau de la République, à Paris, puis firent les beaux soirs des cabarets de la capitale, signant 3 000 sketches, chansons, et mimes.
"Roger Pierre et Jean-Marc Thibault incarnent un moment très précis du comique français, avant qu'il ne soit atteint par la vulgarité", a dit l'animateur Pierre Bellemare en apprenant le décès de ce fantaisiste, amateur de football et de soldats de plomb. C'était l'époque des duos drolatiques, (Jean) Poiret et (Michel) Serrault, (Jean-Pierre) Darras et (Philippe) Noiret. Parmi leurs numéros les plus connus, La Guerre de Sécession (qui "a cessé c'est sûr"). Le sketch opposait un nordiste arrogant - Jean-Marc Thibault - a son prisonnier sudiste - Roger Pierre revanchard. "Mais si nous autres, les sudistes, on avait été plus nombreux, et bien vous autres, les nordistes, vous auriez bel et bien pris la pâtée !" Ou les airs de La Trompette en bois ("Oh dis, chérie, oh joue-moi en, d'la trompette, d'la trompette..."), de Joinville-le-Pont ("A Join-ville, le Pont, pon pon, Tous deux nous irons, ron ron, pour aller guincher, chez Gégèèèène..."). Autre succès, "en Cinémascope et Technicolor", Le Retour de Tom Mix, évocation hollywoodienne précédée d'un rugissement de lion style Metro Goldwyn Mayer de Jean-Marc Thibault ; héros d'un film dont les vedettes étaient Roll Mops, Tomato Ketchup et Sophia Duplantin, "la vedette qui pousse ", Roger Pierre y campait un cow-boy nigaud arrivant sur scène en disant "My tailor is rich".
Les compères accomplirent de nombreuses tournées, animèrent des émissions de variétés pour la télévision, en particulier les séries historico-comiques Les Maudits Rois fainéants et Les Z'Heureux Rois z'Henri , coréalisèrent un film, La vie est belle (1956), où ils incarnent deux employés d'une maison de disques gagnant un pavillon de banlieue trop exigu pour cohabiter harmonieusement avec leurs épouses. Décidés à mener désormais des carrières distinctes, ils se séparent en 1976, se retrouvent en 1984 pour un spectacle au Théâtre Antoine intitulé Nos premiers adieux, puis en 1990 à l'Olympia.
Au théâtre, Roger Pierre débuta en 1962 dans Le Sire de Vergy, une pièce de Flers et Caillavet. On le revit dans Deux anges sont venus (1965), Qui est cette femme ? (1967, mise en scène de Jacques Fabbri), Voyez-vous ce que je vois ? (1976, mise en scène de Jean Le Poulain), Le Divan, de Remo Forlani (1981, mise en scène de Pierre Mondy) et La Soupière, de Robert Lamoureux (2002). Au cinéma, son palmarès court de Deux de l'escadrille (1953) à Comme sur des roulettes, de Nina Companeez, en 1977, où il interprète son propre rôle, en passant notamment par Nous autres à Champignol (1957), La Belle Américaine, de Robert Dhéry (1961), Un cheval pour deux (1961), Tartarin de Tarascon (1962), et Les Baratineurs (1965). La télévision le montra notamment en Passepartout dans Le Tour du monde en 80 jours (1979). Mais ces rôles d'hurluberlus furent balayés en 1980 par sa prestation très sérieuse en haut fonctionnaire de l'ORTF dans Mon oncle d'Amérique d'Alain Resnais. Critiqué de l'avoir choisi pour incarner ce Jean Le Gall, victime de coliques néphrétiques et s'identifiant à Danielle Darrieux, le cinéaste, qui l'admirait, n'en avait pas démordu. Il lui redonna un rôle dans Les Herbes folles (2009).
Jean-Luc Douin
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