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La démission en bloc de la rédaction, « inédite » dans l’histoire des Cahiers selon Stéphane Delorme, a fait l’effet d’une bombe, traversant l’Atlantique. « Les Cahiers vont-ils devenir un magazine de promotion de l’art mainstream, la maison du consensus du cinéma français ? », s’interroge Richard Brody, critique réputé du New Yorker, et auteur d’une biographie remarquée sur Godard.

En réalité, Stéphane Delorme sait qu’il a légèrement exagéré la situation. Il se garde bien de le dire, mais trois des onze membres de la rédaction ont décidé de pas faire jouer leur clause de cession. Surtout, s’il démissionne, c’est qu’il a très vite compris qu’il n’aurait pas sa place dans la nouvelle équipe.

Voilà des mois que le propriétaire Richard Schlagman a mis en vente la revue. Paris bruisse de rumeurs. Le nouveau gérant de la société, Eric Lenoir, un amoureux fou des Cahiers qui collectionne tous les numéros, a commencé à rencontrer divers spécialistes de la cinéphilie. Il organise des dîners pour imaginer l’avenir de la revue.

Dès juin 2019, il consulte Antoine de Baecque, ancien rédacteur en chef de 1996 à 1998 et auteur d’une histoire de la revue en deux volumes. Comme d’autres, ce dernier se met à plancher sur un nouveau projet. « La revue s’est recroquevillée sur une ligne éditoriale sectaire et moralisatrice, elle repose sur un entre-soi réducteur et pénible », juge l’ancien critique.

Il imagine un nouveau casting, et affirme avoir convaincu les nouveaux actionnaires d’adopter son projet. Lui-même pourrait redonner vie à un ciné-club dans le cadre de la nouvelle vie des Cahiers, sans pour autant occuper de fonctions officielles. En avril, Marcos Uzal, qui officie à Libération, est pressenti pour succéder à Stéphane Delorme. C’est à lui qu’aurait donc incombé la charge de concevoir le numéro de mai, publié à l’occasion du Festival de Cannes. A ce stade, Eric Lenoir refuse de confirmer la nouvelle : « Pour l’instant, le rédacteur en chef, c’est Stéphane Delorme ».

Alors que la nouvelle équipe est en cours de constitution, une charte d’indépendance est également en préparation. Interrogé par Le Monde, un membre de la future équipe tente se rassurer sur la capacité de la rédaction à rester libre. Tout d’abord, les quatre actionnaires les plus importants ne sont pas en conflit d’intérêts avec le monde du cinéma : Grégoire Chertok, Marc Simoncini, Xavier Niel et Eric Lenoir possèdent chacun 13 % du capital, soit la majorité des parts.

Ensuite, les producteurs de cinéma, eux, sont ultra-minoritaires, avec seulement 2 % des actions chacun. Enfin, le fait que ces derniers soient cinq neutralise les velléités d’intervention des uns ou des autres, leurs intérêts n’étant pas alignés. Nuance à ce raisonnement, Pascal Caucheteux, grand pourvoyeur de films à Cannes, fait partie du nouveau conseil de surveillance, et dispose donc d’un poids plus important.