Il y a ce beau numéro spécial des Cahiers du Cinéma, de mars 1983, qu'on m'a gentiment prêté.
si vous l'avez dans votre bibliothèque mais que vous ne l'avez jamais ouvert, parce que Ruiz, vous avez l'impression que vous vous en fichez pas mal, ouvrez-le maintenant.
feuilletez-le, lisez l'interview fleuve de RR, lisez, mieux encore, celle d'Henri Alekan... lisez le beau (mais court) texte de Serge Daney, "En mangeant, en parlant", lisez l'excellent article de Tesson sur le film-palindrome Un couple (tout à l'envers)...
Vous allez voir, vous allez sentir l'envie d'en voir plus monter...
Surtout parce que Ruiz y est vu à la fois sous un angle très sérieux et sous un angle hautement ludique (sans doute parce que le plus grand des ludiques ne s'obtient que par le plus grand des sérieux).
Vous y apprendrez notamment qu'en 1983, Ruiz est un collaborateur régulier de l'INA, qui s'adonne alors à maintes expérimentations tout à fait réjouissantes (le palindrome sus-cité fut diffusé dans une très étonnante émission que je ne connaissais pas, jusqu'à hier : Télétest) (et dont d'aucuns ont p-ê pu retrouver la fibre "pasticheuse" l'autre soir, devant Visu -- de là à dire que les pasticheurs de Visu ont vu de visu les expérimentations de l'INA, il n'y a qu'un pas que l'ignorance m'empêche de franchir).
Alors, si vous avez la chance de pouvoir accéder à l'INA, prenez donc le temps de le faire. Allez voir. Et fouillez ces archives, découvrez cette facette fort peu connue du cinéaste. Vous verrez, ce sera sans regret.
Vous découvrirez une espèce de chaînon manquant entre le Godard des années vidéo, le meilleur de Marker et le plus ludique de Resnais. Et si les plus grands travaux de cinéaste de Ruiz avaient été réalisés pour la TV?
Après une journée d'exploration, donc forcément pas exhaustive, j'aurais tendance à dire que oui (même si hélas la période chilienne me reste pour le moment entièrement inconnue). D'abord je note que ce que je tenais déjà pour les deux plus beaux films de Ruiz, à savoir le feuilleton Manoel dans l'île des merveilles (dont j'ai du coup enfin pu voir le 3è et dernier et merveilleux épisode!) ainsi que le court métrage Colloque de chiens (une des voix off "les plus belles du cinéma contemporain", écrivait Daney en 1983), sont issus de ce tonneau de commandes folles, de cartes blanches cinglées, d'expérimentations libres, à l'origine desquelles était l'INA, à l'époque diablement audacieuse.
Bon, je ne vais pas avoir le temps de tout détailler, sans doute j'y reviendrai... Il y a de toute façon matière à faire, je ne sais pas, un livre, une programmation spéciale à al Cinémathèque, une édition DVD "Ruiz à l'INA" ... ?
Bref, quand même, disons que ce que j'ai découvert hier, et que j'ignorais vraiment jusqu'à présent, c'est le rapport de Ruiz à l'image documentaire. Avouez que ce n'est pas vraiment là qu'on attend habituellement Ruiz, cinéaste de l'imaginaire, de la pure fiction. Eh bien c'est pourtant là qu'on le trouve à l'INA, dans ce rapport au réel complètement réinventé par le cinéma.
Il faut voir par exemple (et hélas mal voir : les VHS sont dans un état de conservation absolument lamentable... souvent, on devine plus qu'on ne voit... si tu es distributeur, programmateur, restaurateur, historien du cinéma, mécène, je ne sais quoi, si tu as une quelconque influence possible sur la restauration de ces films tristement méconnus et qui sont en train de mourir à l'Inathèque, et que tu lis ces lignes, eh bien n'hésite pas, va donc y fourrer ton nez, tu vas, au moins, déjà, t'amuser) Les divisions de la nature : quatre regards sur le château de Chambord, dans la collection UN HOMME, UN CHÂTEAU. Voir ce que, d'une commande institutionnelle (un film "touristique" sur le château de Chambord), Ruiz tire. Esthétiquement d'abord, mais ça tu t'en doutais (d'autant que c'est la première collaboration de Ruiz avec Alekan) -- politiquement, surtout, et ceci PAR l'esthétique, justement, par la mise en scène (à entendre aussi pour la "politique de plateau" -- cf. ce que dit Ruiz dans son itw sur le fait de changer l'éclairage pendant la prise), "à partir de la volonté de se perdre" (dixit Ruiz). "J'avais essayé de voir le château de Chambord sous différentes perspectives idéologiques : vu par un philosophe thomiste, par un romantique, ou par quelqu'un comme Baudrillard... Donc j'avais fait des pastiches."
On peut enchaîner sur Querelles de jardin, dans la collection BOTANIQUE ; la géniale Lettre d'un cinéaste, diffusée dans l'incroyable (pour moi qui ne connaissais pas) émission CINÉMA CINÉMAS (il n'y a aucun équivalent à cette merveille aujourd'hui, non?), où Ruiz retournant pour la première fois au Chili se met en quête d'un livre et d'une couleur disparus ; j'aimerais aussi, quand j'y retournerai, voir le très prometteur CINÉMA CINÉMAS où fut programmé un documentaire de Ruiz d'une heure, Faux raccords, consacré à Henri Alekan (qui d'ailleurs n'est apparemment même pas répertorié sur le très précieux site et pourtant déjà pas mal complet
http://www.lecinemaderaoulruiz.com/ )...
Mais la plus grosse claque, je l'ai prise devant De grands événements et de jours ordinaires, commande passé par l'INA à Ruiz en 1978, d'un documentaire consacré aux élections législatives dans le 12ème arrondissement de Paris (le site dont je vous parle dit 11è, moi je suis sûr d'avoir entendu, hier, 12è... mais qu'importe). Film en tous points exemplaire, à montrer dans tout endroit où l'on peut trouver des apprentis documentaristes. Film d'avant-garde, itou, et par conséquent éminemment politique. Et peut-être l'une des plus belles réflexions, presque Godardienne, sur le cinéma documentaire.
Puisque je parle de Godard, j'ai hâte d'aller tendre l'autre joue devant les deux parties du Petit manuel d'histoire de France, dans la collection RUE DES ARCHIVES, qui me semble, de ce que j'ai pu voir (une vingtaine de minutes -- le temps ensuite me manquait hélas), un contre-point passionnant aux Histoire(s) du cinéma. Le principe : "une idée très simple qui consistait à mettre en ordre toutes les dramatiques télé de l'école des Buttes-Chaumont et quelques feuilletons historiques. Les mettre en ordre chronologique en gardant les proportions. C'est-à-dire, il est beaucoup question de Révolution Française, Saint-Louis n'existe pas Louis XI existe beaucoup, etc. J'ai aussi utilisé les manuels d'école que des enfants lisent, en gardant les hésitations."
une espèce d'Histoire(s) de la télévision rencontrant France tour détour deux enfants... et de ce que j'ai vu, c'est à la fois hilarant et magnifique et d'une grande subversion... et c'est passé à la téloche, sur FR3, un dimanche. Forcément, quand on allume la télé aujourd'hui, on a du mal à croire...
(à suivre)