Il faudrait limite ouvrir un autre topic.
bmntmp a écrit:
Seul l'EHPAD, ce broyeur à vieux, est envisagé comme solution par les pouvoirs publics.
Quelles autres solutions préconises-tu ?
Alzheimer est avant-tout un retour progressif à l'état d'enfant puis de nourrisson : perte d'autonomie progressive, immaturité et besoins croissants, perte des souvenirs qui structurent les croyances et comportements acquis d'adulte, perte du langage, perte de la mobilité, santé somatique qui se fragilise, disparition de la personnalité. Est-ce qu'on institutionnalise les bébés ? Un peu oui, avec les crèches et les assistantes maternelles en journée... parce qu'il faut bien aller bosser. Mais globalement ils sont là, à la maison, à mettre parfois du caca partout, hurler, exiger de l'attention, mal dormir, besoin d'être nourris, bref, à dépendre entièrement de leurs parents pour survivre et assurer leur développement. L'idée ne viendrait à personne de déléguer la prise en charge complète d'un bébé à une institution, il y a des dispositions de prévues pour garantir qu'il reste le plus possible chez ses parents après les premiers temps de maintien à la maison après l'accouchement (congé mat). Je préconise qu'on réfléchisse exactement de la même manière à la prise en charge des démences.
"Oui mais un bébé se développe, un dément se dégrade". Et alors.
Il faut déjà penser l'hospitalisation (car c'est une hospitalisation) à domicile, avec le materiel et les équipes qui se relaient. Ca se fait de plus en plus pour les cancers, et ça fonctionne bien même si ce n'est pas encore du H24. Ca s'organise et ça se budgétise, mais pour ça faut-il encore que les pouvoirs publics n'aient pas pour objectif de torpiller les services publics. Pas seulement financièrement, mais en termes aussi de maintien du goût pour ce type de travail.
Par ailleurs, pour ceux qui s'imagineraient que le torpillage des services publics se fait au profit du privé : je bosse actuellement dans le privé, et si en effet le discours sur la rentabilité du lieu de soin est moins décomplexé qu'à l'hôpital public, les difficultés financières sont strictement les mêmes, avec réduction des effectifs (on se dirige probablement là où je bosse vers du licenciement économique plutôt que du non-remplacement de départs d'ici deux ans), et les financements publics sont pas oufs (il y avait une grève nationale dans les cliniques prévue pour début juin, et la dissolution a mis un stop aux négociations avec lec le gouvernement). C'est d'ailleurs là où j'admets ne plus trop comprendre ce qui se passe, car mon expérience me démontre quotidiennement que le secteur privé de la santé ne profite
en rien de l'effondrement du public.
Bref : tu installes le materiel et le roulement de professionnels à la maison, tu mets en place des aides financières pour qu'un ou plusieurs membres de la famille puissent en toute sécurité arrêter de travailler avec une garantie de maintien, même fractionné comme pour le chômage ou la pension d'invalidité, de revenus, et tu limites déjà considérablement la fameuse "perte de dignité".
Ca restera toujours une épreuve bouleversante, mais l'institutionnalisation (que ce soit pour les vieux (et désormais de moins en moins vieux) déments, les malades psychiatriques, les handicapés mentaux ou même les enfants) est un facteur d'aliénation, de stigmatisation, de marchandisation au moins symbolique (pour l'école, par exemple) qui a un impact négatif à la fois direct et indirect sur chaque public ainsi institutionnalisé.
Le fait que ça ne soit même pas envisagé contribue à mon raisonnement suivant :
bmntmp a écrit:
Non parce qu'encore une fois, tout est fait pour que ces personnes finissent en EHPAD
Tout n'est pas fait pour ces personnes finissent en Ehpad. Personne ne veut finir en EHPAD, et les familles qui mettent leur parent en EHPAD ou se résolvent à ce qu'ils soient enfermés dans une Unité Protégée ne le font pas de gaieté de coeur (je ne parle même pas de la difficulté à trouver une place, dans un établissement qui semble correct, ou de la question financière, qu'il ne faut pas occulter) mais parce qu'ils ont épuisé tous les recours pour pallier la maladie (ce sont des patients qui réclament une attention constante, qui peuvent être dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres - ainsi certains vont mettre un parent en Ehpad après des fugues répétées, un début d'incendie, etc). Même en restant H24 avec eux, c'est compliqué.
Nous vivons par ailleurs dans une société où beaucoup, la personne handicapée comme celle qui s'en occupe, place le moment fatidique au moment où il faut, par exemple, faire passer le bassin à sa mère - ou dit plus vulgairement la torcher. C'est à ce moment là qu'on délègue. Dans une société vieillissante comme la nôtre, j'attends de savoir ce que vous préconisez.
J'ai déjà vu la femme d'un résident catastrophée car en arrivant, elle avait trouvé son mari qui avait repeint sa chambre avec sa merde... Même une attention constante n'empêche pas ce genre de choses et j'aurais été bien en mal de blâmer le fonctionnement de l'Ehpad pour cet acte isolé - même en quadruplant le nombre de soignants et en les payant mieux, ce sont des choses inévitables. Améliorer l'Ehpad passe aussi par regarder droit dans les yeux les difficultés de la vieillesse.
Un exemple : tu parles des activités avilissantes. C'est un truc que j'ai découvert en y travaillant, c'est qu'il y avait tout un business lié aux animations (dont le budget va être relativement important dans un Ehpad cher, quasiment inexistant ailleurs). J'ai vu aussi ma grand-mère taper des mains presque à contre-coeur mais en suivant le mouvement général en écoutant des chansons, ce qu'elle n'aurait jamais fait dans son état normal. Mais ces activités, même si nous les jugeons avilissantes du haut de notre superbe, n'en sont pas moins appréciées souvent...
Tu vas pas aimer ça, mais ça peut servir de métaphore, mais j'ai pu voir, alors que j'étais hyper sceptique, des vieux gâteux (le terme n'est pas péjoratif) enfiler un casque de RV et s'émerveiller d'un truc que je jugeais ridicule, en essayant pathétiquement de toucher ce qu'ils avaient devant les yeux. Bien ou mal ? Difficile à dire.
Mais oui, la moindre des choses seraient que ces établissements soient accessibles à tous, que les gens y soient bien traités, et qu'ils ne soient pas soumis à des simples objectifs de rentabilité (tout en profitant d'aides généreuses de l'état dans le privé).
Le maintien à domicile n'empêchera jamais l'expression parfois crue et horrifiante de la maladie. Mais au moins la personne est chez elle, entourée de ses proches :
Bêtcépouhr Lahvi a écrit:
Mais les sociétés traditionnelles (sous réserve de maltraitance existence) nous rappelle que le modèle de l'ancien à la maison est dans l'ordre de beaucoup de choses.
Et en effet, il vaut mieux avoir Alzheimer dans un village de Côte d'Ivoire que dans un village de l'Oise. J'ai vu de mes yeux plus d'une fois (et entendu des centaines d'anecdotes) le bien, malgré la pauvreté, qu'un agencement et une conception traditionnelles de la famille font à ces personnes : la cohabitation des générations, les liens communautaires, la stimulation constante, la possibilité de déambuler avec l'assurance que tout le monde veille au grain. Pas d'angélisme pour autant, l'absence d'éducation et de connaissances sur le sujet n'a pas que des avantages, et ça peut dérailler comme avec le rapport aux enfants. Mais l'inclusion des malades dans un foyer diversifié en mode "c'est comme ça" c'est la base de la base, c'est indéniable.
Maintenant concernant l'accessibilité financière : ce ne sont pas que les vieux aisés qui peuvent aller en EHPAD. J'y ai envoyé des SDF qui avaient vécu toute leur vie de la manche et des minimas sociaux, sans épargne, jamais imposables ou solvables de leurs vies d'adultes. Il existe ce qu'on appelle l'aide sociale à l'hébergement, que l'on peut demander auprès de son département pour que les fonds départementaux financent à 100% les frais de séjour. C'est bien sûr réservé aux indigents (y compris les fameuses "petites retraites") et il faut prouver administrativement la faiblesse des revenus. Le département y consent pour peu que le dossier soit monté correctement. Pour les classes moyennes, tout est organisé pour que le patrimoine (financier ou immobilier) serve aux familles pour financer le séjour : liquidation des livrets, hypothèque ou vente de la maison etc. D'ailleurs si vos parents vieillissent pas très bien, ils ont tout intérêt à aller avec vous chez le notaire pour faire des donations, sinon leur patrimoine ne servira qu'à financer leur séjour en EHPAD. Et pour le coup, ce n'est pas une histoire de public/privé là, c'est valable pour tous les établissements.
Et ce qu'il y a d'avilissant, ce ne sont pas les activités en elles-mêmes. C'est bien démontré que faire écouter de la musique qui date de la jeunesse des malades leur fait énormément de bien, par exemple. Qu'ils aiment manger sucré, taper des mains et faire des trucs de bébés (tiens donc). Ce qui est avilissant, c'est que les proches délèguent ces moments de joie simple et régressive à une institution.