C'est pas vraiment le bon topic mais Vincent Dietschy veut attaquer les producteurs du film de requin dans la Seine pour plagiat. Pas encore lu l'article mais le voici:
Bataille juridique entre Netflix et le réalisateur Vincent Dietschy autour d’un poisson tueur dans la Seine
Vincent Dietschy avait 4 ans lorsqu’il attrapa son premier goujon, dans l’Alène, en Bourgogne, avec son grand-père. Bien plus tard, en 1984, alors que le jeune Parisien avait été admis à l’Institut des hautes études cinématographiques (Idhec), la fameuse école de cinéma rebaptisée la Fémis en 1986, il continuait de pêcher à la pointe de l’île Saint-Louis, au pied de l’appartement où habita Robert Bresson. « Deux de mes cannes pêchaient la carpe – eschées avec des cacahuètes bouillies – et la troisième pêchait le silure – eschée d’une méga bouillette, parfum cerise ou écrevisse », raconte avec une précision gourmande celui qui, salué par la critique (Julie est amoureuse, 1998, et Didine, 2008), est, au tournant du millénaire, une des promesses montantes d’un cinéma de l’intime.
Le silure : plus gros poisson d’eau douce – il y a deux ans, dans le Gard, on en a hameçonné un qui mesurait 2,62 mètres –, carnassier, prédateur, aussi appelé « poisson-chat », se nourrissant des rivières et de ses berges : gare aux oiseaux imprudents… Mettez Les Dents de la mer (1975), de Steven Spielberg, comme inspiration cinéphilique universelle, ajoutez le fait que les grands-parents maternels de Vincent Dietschy logent près des quais où la brigade fluviale a ses locaux et vous avez la matrice d’un scénario, Silure, que, dès 2011, le réalisateur se met à mijoter.
« Une jeune femme policière, plongeuse à la brigade fluviale de Paris, se trouve confrontée à un phénomène naturel inédit, incarné par un gigantesque silure, terriblement agressif, et tueur d’êtres humains, peut-on lire dans le dossier déposé au Centre national du cinéma et de l’image animée pour une demande d’aide à l’écriture, le 3 février 2014. Tandis que le monstre sème la panique dans la capitale, menaçant la politique du maire à quelques jours du choix de la ville qui organisera les Jeux olympiques, l’héroïne se retrouve en première ligne pour affronter cette figure du mal d’un genre nouveau. Aidée dans son combat par un jeune ichtyologue du CNRS, elle se rapproche dans le même temps de son supérieur hiérarchique, le commandant. »
De quoi séduire des producteurs ? Le projet ne trouve pas preneur. « C’est compliqué d’être avec moi, convient Vincent Dietschy, sourire mi-figue, mi-raisin. J’ai la réputation de fabriquer pour pas cher. Les producteurs savent qu’avec moi il y aura moins d’argent à la clé, que je ne serai pas d’accord sur le casting, tout ça… Pour eux, je peux apparaître comme un ralentisseur, un emmerdeur. Mais c’est ce qui fait que je n’ai pas renoncé au cinéma : ma voix est différente, et je ne veux pas me plier à l’industrie », explique celui qui prépare une série sur le milieu, Auteur, dont il a déjà écrit la première saison. Il va pendant des années peaufiner le scénario du film, et chercher en vain des financements…
Concurrence déloyale
En 2022, Vincent Dietschy est au Festival du cinéma de Brive – Rencontres internationales du moyen-métrage, en Corrèze, qui projette La Vie parisienne, un triangle amoureux qui a obtenu, en 2013, le César du court-métrage. Il y retrouve Milo McMullen, l’actrice principale, laquelle était sa compagne à l’époque. C’est pour elle qu’il avait pensé à Silure. Elle avait assisté aux premiers émois du poisson carnassier. Alors qu’ils s’étaient perdus de vue, elle lui signale que Netflix a entrepris le tournage de Sharks (rebaptisé depuis Sous la Seine) dont on trouve le résumé ainsi libellé sur Internet : « Eté 2024, Paris accueille pour la première fois les championnats du monde de triathlon sur la Seine. Sophia, brillante scientifique, est alertée par Mika, une jeune activiste dévouée à l’écologie, de la présence d’un grand requin dans les profondeurs du fleuve. Elles n’ont d’autre choix que de faire équipe avec Adil, commandant de la police fluviale, pour éviter un bain de sang au cœur de la ville. »
Difficile de ne pas reconnaître Silure dans ce pitch, grimace Milo McMullen, qu’on retrouve sous la pluie parisienne du côté de la place Pereire : « Le cinéma, c’est une grande famille incestueuse. Tout le monde se parle, s’acoquine… Le sexe, l’argent, ce sont des clichés… Malheureusement, ils sont vrais, se désole la grande femme brune. Quand on dépose un projet, on a le sentiment qu’il va être protégé. On n’a pas cru que quelqu’un pouvait prendre le concept. »
Le sang du réalisateur ne fait qu’un tour : lettres recommandées, demandes d’explications, et finalement assignation en justice des producteurs Edouard Duprey (Kaly Productions) et Sébastien Auscher (Program Store), initiateurs de Sous la Seine ; de l’agent Laurent Grégoire, patron d’Adéquat, dont les artistes trustent les rôles principaux du projet. Et procédure en référé contre Netflix, pour bloquer la diffusion du film en attendant un jugement sur le fond. Car si elle n’est pas à l’initiative du projet, la plate-forme américaine, qui l’a cofinancé, prévoit d’en faire un des moments forts de l’été.
« Une bombe qui se résume en sept mots »
Et parce que plaider le plagiat n’était pas légalement possible – en droit, on peut déposer un scénario, mais pas une idée –, le conseil juridique de Vincent Dietschy, Me Héloïse de Castelnau, associée ici à Anissa Ben Amor, a décidé de poursuivre les initiateurs de Sous la Seine pour « actes de parasitisme », que la loi rattache à une forme de concurrence déloyale, article 1240 du code civil : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Les plagiaires, ces usurpateurs peu inquiétés de la littérature française
« Vincent a un truc de maniaque, dans le cinéma comme dans la vie. Il garde tout. Mais au moins, ainsi, il a des preuves, constate Milo McMullen, qui a suivi la genèse de l’histoire. Le pointilleux dérange. Et là, c’est David contre Goliath ! »
Y a-t-il eu copiage, comme Vincent Dietschy le soupçonne ? Ou simple et malheureuse concomitance des idées ? Lui en est persuadé : « L’industrie nous pousse à proposer des films qui peuvent se résumer à des idées simples. C’est la règle pour être financé. Or Silure, c’est une bombe qui se résume en sept mots : “Les Dents de la mer à Paris.” C’est simplissime. Et c’est aussi ce qu’il y a de plus facile à voler. Un type assis à la table à côté peut nous entendre et, s’il en a les moyens, prendre l’idée. Sauf qu’en l’occurrence il y a d’autres points de concordance. Jamais aucun film, à ma connaissance, n’a ainsi été fait sur la brigade fluviale. »
Et d’expliquer – de cette voix gentille et désordonnée qui, sous son air, à bientôt 60 ans, de premier communiant, pourrait le faire prendre pour le naïf qu’il n’est pas – comment, en 2015, alors qu’il discute depuis quelques semaines avec le patron d’Adéquat pour le financement de son projet, celui-ci se rend à l’Alpe-d’Huez (Isère) au Festival international du film de comédie. Or, fait-il remarquer, c’est justement là que, cette même année, Sébastien Auscher, distributeur spécialiste de films de genre – notamment de requins –, et Edouard Duprey mettent en chantier leur film Sous la Seine.
Vincent Dietschy a beau avoir fait sien l’adage de Jean Renoir – « Il faut se laisser aller dans la vie comme un bouchon dans le sens du courant » –, il a du mal à lâcher prise. Ce n’est pas la première fois qu’il se fait prendre dans les tourbillons. Généreux sur les confidences
Encore étudiant en cinéma, il est amoureux d’une actrice de dix ans son aînée, Sandra Montaigu (vue notamment chez Rivette), pour laquelle il réalise l’adaptation d’un Feydeau. Le projet est financé par Klaus Hellwig (coproducteur de Loulou (1980), de Pialat), lui aussi épris de la jeune femme. Las, atteint d’un cancer, celui-ci passe la main à un factotum qui décide d’arrêter le tournage alors que Dietschy réclame une semaine de plus. Procédure, médiation : la production est finalement sommée soit de finir le tournage, soit de lui verser un dédommagement, que Vincent Dietschy va utiliser pour monter une maison de production, Sérénade, où l’on retrouve les premiers essais de ses camarades de l’Idhec : Thomas Bardinet, Dominik Moll, Gilles Marchand, Laurent Cantet… et son premier long, Julie est amoureuse. Période de grâce.
Nouvelle embrouille, avec Valérie Donzelli cette fois, pour La Vie parisienne, le court-métrage qui a offert à la réalisatrice un César, et qu’ils ont imaginé ensemble. Il gagne de nouveau mais y perd quelques amis. Comme aujourd’hui avec Silure : le sentiment d’avoir été floué rend suspicieux. Tel ami ne lui avait-il pas proposé d’acheter le script pour le confier à Polanski, Cronenberg ou Verhoeven ? Tel autre, qui lui conseillait de protéger son script, n’a-t-il pas liké depuis le début sur la page Facebook d’Edouard Duprey les aventures du « requin » ? « Je tombe des nues, affirme l’impétrant. Des histoires comme ça, il y en a une par an. Regardez Besson, le nombre de fois où il a été accusé, il s’en est toujours sorti. »
La dernière fois que Vincent Dietschy s’est senti spolié, c’était en 2016. Une période « de désespoir », raconte-t-il. Alors que Silure est à l’arrêt, il travaille avec le réalisateur Ilan Klipper sur un script tournant autour de la vie du chanteur Christophe (mort en 2020).
Chemin faisant il raconte sa vie – Vincent Dietschy est généreux sur les confidences : ses parents architectes, son frère addict, les relations familiales toxiques, ces années où il décide de couper les ponts, le refuge depuis toujours dans le cinéma et la catharsis par l’imaginaire, le succès qui pointe son nez et se détourne, les scénarios et les projets qu’on enchaîne, les amours qui se délitent, la dépression qui frappe à la porte… Ilan Klipper en fera un film, Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête (2017), avec des répliques entières sorties de sa bouche – ou de celles de ses parents. Le cinéaste y est transposé en écrivain. Qu’est-ce qui empêcherait un requin de jouer un silure ?
« Personne ne l’empêche de faire son film »
Le Vaudeville, c’est le nom du café face à la Bourse de Paris où l’on retrouve le producteur Edouard Duprey. « Moi, c’est un film de requin ; lui, c’est un film de silure », tranche – vaguement agacé derrière l’humeur joyeuse – cet homme sanguin et athlétique que le public connaît surtout sous le nom de Thomas Croisière. Quand Edouard Duprey ne produit pas des films, il tient en effet, sous ce pseudonyme, des chroniques humoristiques, cinéphiliques ou karaokistes sur France Inter ou M6. Ce qui l’obsède ce jour-là, dit-il, ce sont plutôt les audiences de l’émission « Le Juste Prix », produite par Fremantle, société dont il est aussi, parmi ses multiples casquettes, le directeur du développement. Reste qu’il a mal pris, cet automne, les recommandés l’accusant d’avoir volé un projet.
« Je ne connais pas ce monsieur. Je n’ai jamais lu ou vu son projet… Y a rien !, glousse-t-il. Ce rendez-vous est une perte de temps pour vous et moi. Oui, on se retrouve en 2015 à l’Alpe-d’Huez, avec Sébastien Auscher, qui est un spécialiste du film de genre. Dans un moment de tranquillité, il me propose de développer un film de monstre – genre “Les zombies font du ski” –, mais je ne suis pas très zombies. On est très naturellement arrivés à la “sharksploitation”, qu’il a beaucoup explorée. Les sharks-requins, dévoreurs d’humains, c’est un genre en soi. Après, c’est neuf années de travail. On agite des idées : nous sommes juste après l’attentat de Charlie, sous le choc comme tout le monde, et il y a la devise de Paris : Fluctuat nec mergitur… Et puis aussi l’influence de films comme The Host, de Bong Joon-ho, ou Le Grand Bleu, de Luc Besson, on a même imaginé un requin Godzilla… » Le voici emporté par son récit, mimiques, grands gestes, tout ça le fait joyeusement rire… Lire aussi | Article réservé à nos abonnés « En eaux très troubles » : le réalisateur Ben Weathley parodie le film d’attaque de requins
Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’ait pas entendu parler du projet Silure. « Vous allez vérifier à la SACD, vous, tous les projets qui existent ? » Certes. Reste que Vincent Dietschy, lui, s’était renseigné lorsqu’il écrivait son scénario. Une productrice lui avait parlé d’un projet intitulé Baija, un film de monstre parisien, qui, même s’il est différent de Silure, pouvait être perçu comme un concurrent direct par les investisseurs. Il avait écrit au scénariste de Baija, Jimmy Bemon, qui, dit-il, l’avait rassuré : il y avait des différences essentielles. Et puis le producteur pressenti s’était retiré du métier… Dans ce milieu où l’information circule, comment imaginer qu’en presque dix ans les concepteurs de Sous la Seine n’aient pas entendu parler d’un projet aussi proche ?
« Personne ne l’empêche de faire son film, proteste Edouard Duprey d’un haussement d’épaules. Ce sera ni le premier ni le dernier sur un monstre marin. Un bon projet finit toujours par se monter. » Coup de pied de l’âne ? « Je sais à quel point c’est compliqué de monter un film, reprend-il un ton en dessous, je me suis pris des portes pendant des années. Mais quand il dit : “Ce mec m’a volé mon film”, je joue ma réputation. »
« Construire à la marge »
Pour Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête, qui s’inspirait de la vie privée de Dietschy, le réalisateur Ilan Klipper ne lui avait rien caché de ses emprunts, il lui avait même demandé d’y jouer son propre personnage. C’était mal comprendre la douleur des blessures intimes. Les deux hommes en resteront fâchés. Et Vincent Dietschy, « au bord du lac Noir », décidera de faire lui-même de son histoire un film – « Une façon, dira-t-il, de donner un coup de pied au fond de l’eau pour remonter. » En novembre 2022, Notre histoire (Jean, Stacy et les autres) reprend ainsi la vie d’un réalisateur obnubilé par un projet qui ne voit pas le jour : Silure. Or, alors que le film sort en salle de façon confidentielle (« Ça faisait un film pas du tout désirable pour le circuit »), il voit d’anciens amis « dont [il] n’avai[t] pas de nouvelles depuis des lustres » reprendre contact… pour voir le film. « J’ai trouvé ça bizarre, pas vous ? »
Le film est produit par Annabelle Bouzom. A 40 ans, la productrice a d’abord œuvré dans le social et l’humanitaire avant de se tourner vers le cinéma : « Construire à la marge, refuser l’industrie, parce que les familles, ça te dégoûte. Et aussi parce que tu sais qu’on te laisse une petite place, certes, mais que c’est tenu, verrouillé… » Le cavalier seul, entier, quasi obsessionnel, de Vincent Dietschy n’était pas fait pour lui déplaire.
C’est peut-être le vrai ressort symbolique de l’affaire : remettre sur le tapis la « politique de l’auteur » qui fit la force du cinéma français face aux diktats esthétiques des studios américains. Autant Silure s’inscrit dans la tradition auteuriste, autant Sous la Seine est une idée de producteur, confiée à des scénaristes, puis à un réalisateur, Xavier Gens, « qui sait faire » (comprendre : « le cinéma de genre, fantastique », explique Edouard Duprey avec enthousiasme). Aux auteurs, les films dits « du milieu », intimistes et pauvres ; aux studios et aux plates-formes, les superproductions… Et les poissons seront bien gardés. Premier épisode de cet instructif « David vs Goliath », lundi 22 avril, au tribunal judiciaire de Paris.
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