Des cinquante signataires de la tribune de soutien à Gérard Depardieu, diffusée sur le site du Figaro le soir de Noël, Philippe Caubère n’a pas été le moins actif. Dans les jours qui précèdent la parution du texte, le comédien a décroché son téléphone et tenté – avec succès – de convaincre d’autres personnalités, dont il est proche, d’apporter leur soutien au texte.
Un travail de récolement qui ne surprend guère dans le milieu de la culture. L’acteur avait été visé en 2018 par une plainte pour viol, classée un an plus tard, faute d’éléments. L’accusatrice, Solveig Halloin, dramaturge et metteuse en scène, qui l’avait qualifié de « serial violeur » et de « prostitueur », avait été condamnée en retour pour diffamation, en 2021. « Cette affaire, c’est l’illustration d’une instrumentalisation du mouvement de libération de la parole de la femme et une instrumentalisation du judiciaire », avait tranché son avocate, Marie Dosé, à la fin de la procédure. Le message était clair : Philippe Caubère est victime des excès du mouvement #metoo.
En réalité, au moment où il fait du lobbying en faveur de la tribune de défense de Gérard Depardieu, attaqué après l’émission « Complément d’enquête », sur France 2, où on le voit, notamment, faire des commentaires sexualisant une petite fille de 10 ans, Philippe Caubère sait qu’il fait l’objet d’une nouvelle procédure judiciaire. Comme l’a révélé Franceinfo, mardi 9 janvier, une plainte a été déposée pour « atteinte sexuelle sans violences sur mineure » par une jeune femme, qui avait 16 ans au moment des faits – le comédien en avait 61. Toute une correspondance et des notes prises à l’époque par l’adolescente documentent les faits.
« Absence de convictions “morales” »
P. (le nom de la jeune fille, mineure au moment des faits, a été anonymisé) rencontre Philippe Caubère le 25 novembre 2011, lors de la lecture d’un scénario chez une cinéaste. Il est un acteur et metteur en scène reconnu, elle se destine à être comédienne. Au cours de la soirée, ils discutent de théâtre. Ils échangent leurs numéros et Philippe Caubère l’invite à venir le voir jouer. Elle est vite impressionnée et en admiration devant le personnage.
Une relation de maître à élève se dessine au fil des mois, encouragée par la mère de P., admiratrice du comédien. Les conseils de l’homme pourraient être très précieux pour la carrière de sa fille. « Pour moi, Philippe Caubère, (…) c’est Molière [le comédien joue ce rôle dans le film d’Ariane Mnouchkine, en 1978] que ma fille va rencontrer. P. est sur les planches depuis ses 10 ans, elle travaille depuis si longtemps son théâtre. Il y a évidemment une fascination par rapport au personnage », reconnaît sa mère dans son attestation de témoin.
La jeune fille le revoit plusieurs fois, à la sortie du théâtre ou directement dans son studio, à Saint-Mandé (Val-de-Marne), où il travaille. Ils y discutent toujours d’art dramatique. Philippe Caubère lui offre ses seuls-en-scène en DVD ou encore son livre Les Carnets d’un jeune homme 1976-1981 (Denoël, 1999), où il décrit notamment sa vie sexuelle. « Ce sont tout de même les écrits d’un garçon de 26 à 30 ans et tu n’en as que 16. J’espère que ce n’est pas trop tôt pour toi de lire ça. Mais tu me parais tellement mûre pour ton âge, presque adulte, que je l’oublie », écrit Philippe Caubère dans un échange par SMS du 29 février 2012.
C’est à ce moment que la relation bascule dans une intimité sexuelle construite par le metteur en scène. Philippe Caubère lui parle de sa femme et de ses maîtresses. Il appelle la lycéenne « ma petite chérie » et continue de la flatter sur sa maturité, affirmant qu’il aurait « adoré avoir une fille de [son] âge ». Dans le même temps, le sexagénaire répète devoir « se méfier de [lui] », de la « tendresse » que lui inspire P., « sans doute un peu trop », et de son « absence de convictions “morales” sur ces questions-là ». « Je ne place pas obligatoirement la morale là où les gens la placent généralement », précise-t-il. Dans le même temps, Philippe Caubère installe un jeu de séduction avec la mère de P.
Flattée d’être ainsi considérée par celui qu’elle voit comme « un père spirituel du théâtre », P. se laisse prendre au jeu. « Bien que cela semble un peu étrange, l’excitation de cette incroyable séduction prend le dessus. Un homme, acteur, talentueux, qui s’intéresse à P., 16 ans, d’un lycée de banlieue ?, se souvient une amie à qui l’adolescente se confie à l’époque. A 16 ans, nous n’avions pas de défense face à un adulte, figure d’admiration pour nous, qui a ainsi profité de son statut en toute impunité. »
« Parfois, je me dis que c’est une énorme connerie »
P. reconnaît toutefois que c’est la première fois qu’elle a ce genre de conversation avec un homme et se demande « si [elle] ne ferai[t] pas mieux de dire stop », mais se dit « curieuse » et incapable de connaître ses limites. Elle a, par ailleurs, eu vent de la réputation du comédien dans le milieu. Un ami d’un cours de théâtre l’a prévenu de faire attention avec lui. « Je tiens à préciser que je n’ai jamais violé personne !, rebondit le metteur en scène sur la question que P. lui pose. J’aurais bien aimé… mais non. Violer, je sais pas. Sauf pour de semblant. Et s’amuser. Avec celles qui aiment ça. Et Dieu ou plutôt le diable savent qu’il y en a ! »
A la suite de cette conversation, P. s’interroge, consciente des différences entre eux, du fait de son « innocence et inexpérience de la vie », et de « l’irresponsabilité » du metteur en scène sur ces questions, se demandant s’il la « manipule ». Philippe Caubère ne lui cache pas, de son côté, sa relation avec une autre jeune fille, âgée de 17 ans, installant un climat de jalousie entre les deux adolescentes. P. se dit qu’elle « ne peu[t] que craquer à l’usure » face aux stratégies du comédien.
En avril 2012, à l’occasion d’une nouvelle visite de P. dans son studio pour parler de théâtre, Philippe Caubère l’embrasse. Au fil des semaines, des actes sexuels ont finalement lieu, souvent vécus comme brutaux par la jeune fille. Selon la plainte de la victime, plusieurs actes s’apparentent à des viols. Quelques années plus tard, elle évoquera, notamment auprès d’une amie, « une fellation forcée, dont le souvenir est particulièrement violent ». « J’ai le souvenir précis de ce que tu me reprochais ce soir-là. Par exemple que je t’avais baisée (…) trop brutalement, que ce n’était pas ton truc, etc. Or, moi, j’avais eu le sentiment et même la sensation du contraire », écrit Philippe Caubère dans un courriel daté du 17 avril 2013, sans préciser quels faits étaient exactement reprochés.
Pendant toute la relation, l’homme de 61 ans maintient une ambiguïté sur son rapport à l’âge de la victime. « Tu m’embrassais, m’étreignais, me suçais comme une grande, comme une femme, plus du tout comme une enfant », écrit-il dans ce même courriel du 17 avril 2013, que le metteur en scène envoie sous un faux nom, tandis qu’il utilise une adresse officielle pour les invitations à ses spectacles, par exemple. Quand P. lui envoyait, un an auparavant, une simple photo d’elle en train de manger une glace dans un pot, il répondait pourtant : « Tu me l’envoies en effet parce que tu penses qu’elle va “m’allumer”, le côté petite fille, et tout ça. Elle m’allume, oui. » Lors d’un autre échange, il dit aussi « ne pas oublier [ses] 17 ans et la fragilité qui les accompagne forcément », soulignant un « érotisme enfantin », tout en mettant en avant « cette incroyable maturité » de la jeune fille, à nouveau. Cette ambivalence conduit même à un rapport quasi incestueux : elle l’appelle « mon petit père » quand lui signe « ton papa imaginaire » ou conclut ses messages par « je t’aime, ma gamine ».
Les courriels échangés retranscrivent les hésitations d’une adolescente face à une situation qui lui échappe. P. se dit « troublée » après une nuit passée avec Philippe Caubère mais aussi « contente d’avoir partagé ça » avec lui. « Parfois, je me dis que c’est une énorme connerie. Parfois, je me dis que c’est une expérience inoubliable. J’oscille entre le “dois-je continuer ?” et le “carpe diem” », écrit la jeune comédienne, le 26 mai 2012. Elle aussi a conscience de son âge : « Dans un an, ce sera une autre affaire, puisque, clairement, nous pourrons faire ce qu’il nous plaira sans que la loi n’intervienne. »
Choix de ne pas retenir le motif du viol
Dans ce même courriel, P. lui parle de sa culpabilité de mentir à son entourage et à sa famille. L’adolescente se confie très peu à ses amis sur sa relation avec le metteur en scène, et encore moins à sa mère, sur les conseils de Philippe Caubère. « Je pense que tu devrais être économe de mots avec [ta mère] en ce qui concerne cette relation qu’elle ne supporte visiblement pas. (…) Il ne s’agit pas de lui mentir, mais de s’abstenir de l’inquiéter inutilement », recommande-t-il. A partir de septembre 2012, P. commence à avoir des troubles alimentaires, jusqu’à l’apparition d’une aménorrhée (absence de règles) de près d’un an. Elle développe aussi des troubles obsessionnels compulsifs de propreté excessive. Elle mettra un terme à sa relation avec Philippe Caubère à la rentrée de 2012, même s’ils continueront à échanger des messages par la suite.
A partir de 2017, P. réalise ce qu’elle a vécu et se livre à ses proches. « Elle prenait conscience que cette relation qu’elle avait idéalisée en tant que jeune fille était loin d’être saine, qu’elle était loin, à l’époque, d’être maîtresse de la situation et capable de comprendre l’impact que cette relation pourrait avoir sur elle », témoigne son ancienne compagne.
En 2018, lorsque Solveig Halloin dépose plainte pour viol contre Philippe Caubère, elle parle de P. aux policiers qui la contactent, le 28 novembre 2018. La jeune fille prend peur et affirme aux policiers n’avoir jamais été victime de violences de la part du comédien. Pourtant, en octobre 2022, elle finit par porter plainte. Le choix de ne pas retenir le motif du viol est assumé par son avocate, Negar Haeri, préférant « l’atteinte sexuelle sur mineur de plus de 15 ans », qui désigne tout comportement en lien avec l’activité sexuelle, sans qu’il y ait forcément contrainte, violence ou menace.
Contactée par Le Monde, l’avocate de Philippe Caubère, Marie Dosé, renvoie au communiqué publié par l’acteur, dans lequel celui-ci « confirme avoir entretenu une relation intime avec P., alors qu’elle était mineure (entre 16 et 17 ans), et la différence d’âge significative entre elle et moi aurait dû me conduire à ne pas entamer une telle relation ». Il cite longuement les propos que la jeune femme a tenus devant la police en 2018, un entretien au cours duquel « elle a réaffirmé n’avoir jamais été victime ni de viols, ni de violences sexuelles, ni de violences physiques de ma part », écrit-il.
Une enquête a été ouverte et le dossier a été confié à la brigade de protection de la famille du Val-de-Marne. La jeune femme a été entendue par les enquêteurs. Une confrontation devait être organisée en juin 2023, mais celle-ci a été reportée, à la demande de l’avocate du comédien, « pour des raisons médicales et professionnelles », alors que se profilait la saison estivale des spectacles. A la fin de son communiqué de presse, Philippe Caubère donne une lecture politique de cette affaire : « J’ai conscience que la médiatisation soudaine de cette procédure, qui dure depuis un an et pour laquelle je n’ai jamais été entendu, est liée à ma décision d’apporter mon soutien à l’acteur Gérard Depardieu, dans le cadre d’une tribune controversée publiée récemment dans Le Figaro. »