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Huit mois de prison avec sursis ont été requis mardi contre Juliette Favreul, productrice de films, ex-administratrice de l'association féministe, poursuivie pour «agression sexuelle par personne en état d'ivresse manifeste» à l'encontre d'une actrice.
S'agit-il d'une toute petite histoire «simplissime», «presque classique», où lors d'une soirée, une personne, la productrice Juliette Favreul, «désinhibée par l'alcool», dépasse largement les bornes en se livrant à une agression sexuelle, comme le plaidera l'avocate de la partie civile Anouck Michelin, conseil de l'actrice-autrice Nadège Beausson-Diagne ? Ou est-on face à une affaire plus complexe, d'une opération plus ou moins orchestrée comme le suggérera à demi-mot la défense, «d'une feinte» , comme s'interroge le président d'audience, Edmond Brunaud, destinée à «déstabiliser le collectif 50/50», qui oeuvre pour un cinéma et un audiovisuel français paritaires et inclusifs ? N'y a-t-il eu qu'une caresse à deux reprises sur la chevelure de l'actrice, comme le soutiendra fermement Juliette Favreul ? C'est en tout cas pour «agression sexuelle par personne en état d'ivresse manifeste» à l'encontre de Nadège Beausson-Diagne, 50 ans, qu'est jugée la productrice de cinéma et de télévision, 52 ans, devant le tribunal correctionnel de Paris.
Les faits, largement médiatisés un mois après que l'affaire éclate , se seraient produits le 11 mars 2022. Dans un appartement type loft du XIe arrondissement de Paris, une vingtaine de membres de l'association se rassemblent pour une soirée informelle, prélude à un séminaire de deux jours. L'évènement devait permettre d'apaiser des conflits, de renouer des liens distendus par deux ans de confinements et de réunions en distanciel mais aussi d'analyser et de résoudre des discordances idéologiques au sein de son conseil d'administration - en particulier entre les trois présidentes d'alors, les productrices Julie Billy, Laurence Lascary et Sandrine Brauer. Nadège Beausson-Diagne ne fait pas partie du collectif. Elle a été conviée à cette soirée par une amie, l'actrice Aïssa Maïga, membre du conseil d'administration. Alors que la soirée bat son plein dans l'unique pièce de l'appartement, Nadège Beausson-Diagne demande à Juliette Favreul d'éteindre sa cigarette, qui pourrait déclencher une crise d'asthme à Aïssa Maïga. «Elle m'a dit : "Ça va bien se passer", avec un air de dominatrice qui m'a fait peur», explique-t-elle aux policiers du XIXe arrondissement lors de son dépôt de plainte, le lendemain.
«Reviviscence d'un traumatisme»
La productrice aurait alors passé la main le long de la cuisse de l'actrice en remontant vers son sexe, sans avoir réussi à l'atteindre, bloquée par le collant qu'elle portait. La plaignante explique aux enquêteurs «avoir malgré tout senti le doigt [de Favreul] forcer le passage», retrace le président de l'audience. Sous le choc, elle se confie à plusieurs invités. Aïssa Maiga ira même jusqu'à confronter directement Juliette Favreul aux faits, qu'elle nie d'emblée en bloc, arguant «ne pas être lesbienne.» «Pour moi, c'est impossible, il n'est rien arrivé, je n'ai jamais commis un acte pareil», dit-elle à nouveau à la barre, le souffle presque coupé. Le séminaire est immédiatement annulé après la soirée, et le collectif entre alors dans une zone de turbulences intenses après la démission collective de six des membres du CA puis de la totalité fin avril. Nadège Beausson-Diagne, qui a été victime d'une pénétration digitale à l'âge de 9 ans par un ami de la famille, puis d'un second viol sur un tournage en Centrafrique, éprouve la répétition de l'agression sexuelle digitale comme «une reviviscence d'un traumatisme» explique son avocate Anouck Michelin . L'actrice n'est pas venue à l'audience. «Elle n'en n'a pas eu la force. Vivre cela dans une soirée avec des gens qui partagent le même combat [contre les violences sexuelles], en se disant qu'il n'y a pas d'ennemi, qu'il n'y a pas de risque [...], a conduit Nadège dans un état dépressif assez grave, pour ne pas dire inquiétant.» Encore aujourd'hui, elle souffre de «troubles du sommeil, troubles alimentaires et de velléités suicidaires».
Face à son absence, le contraste avec le nombre de soutiens venus pour Juliette Favreul est saisissant. La petite chambre est pleine à craquer des proches de la prévenue. Parmi eux, l'actrice doublement césarisée Agnès Jaoui, la cinéaste Marion Vernoux et même, présence étonnante à l'importance symbolique notable, le délégué général du festival de Cannes, Thierry Frémaux. «Je suis un peu seule contre tous, résume Me Anouck Michelin en préambule de sa plaidoirie, en se tournant vers les bancs. De fait, aujourd'hui je me sens presque en défense.»
«Acte postcolonial et offensant»
Juliette Favreul, en jean bien coupé et haut mordoré, cheveux blonds noués, agrippe la barre avant même de commencer à parler. Elle se tient droite, dans des postures qui pourraient en d'autres circonstances, évoquer la danse classique, pieds en première position, puis troisième, et quatrième au fur et à mesure de l'audience. Seuls, son dos et ses épaules relevées dénotent une extrême contraction. Elle s'exprime clairement en articulant les règles formelles de politesse qu'elle maîtrise à merveille, comme un rempart pour contenir l'émotion : «Oui, monsieur le président. Pardonnez-moi, monsieur le président, je n'ai pas bien compris votre question.» Elle se souvient être arrivée à la soirée du 10 mars «sans avoir bu une goutte d'alcool». Elle reconnaît «un seul geste» : avoir passé «à deux reprises» la main dans la coupe afro de Nadège Beausson-Diagne, qu'elle connaissait à peine. La première fois, lorsque la comédienne est arrivée et a dit : «T'as de beaux cheveux, j'en profite vu les miens.» La seconde, lorsque cette dernière est venue lui demander d'arrêter de fumer. «Je lui ai mis la main dans les cheveux en lui disant "ça va bien se passer". Je ne savais absolument pas que c'était un acte postcolonial et offensant [...] C'est l'unique chose que j'ai faite.» Face à ce démenti, le président du tribunal la questionne : est-elle certaine de ne pas avoir commis ce dont elle est accusée parce qu'elle se souvient «minute après minute» du déroulé de la soirée, ou parce que les effets de l'alcool ont obscurci sa mémoire ? Juliette Favreul répond : «Je suis hétérosexuelle, je ne suis pas attirée par les femmes.» Une assertion qu'elle répètera à la barre.
Interrogés par la police uniquement par téléphone, sans signer de déposition, plusieurs invités ont confirmé avoir vu Juliette Favreul toucher les cheveux de Nadège Beausson-Diagne. Plusieurs disent aussi qu'elle semblait avoir beaucoup bu, qu'elle a embrassé sur la bouche une des serveuses embauchées pour l'occasion. Cette dernière a refusé de témoigner et la productrice soutient que leurs «lèvres se sont touchées» par mégarde lorsqu'elles se «sont dit au revoir». Nadège Beausson-Diagne, qui s'est rapidement confiée à des personnes présentes, avait l'air «très choquée», ses «yeux étaient écarquillés», confirment encore d'autres invités. Mais aucun n'a vu l'agression qu'elle dit avoir subie dans cet espace sans parois. «Pourtant, la plaignante dira elle-même qu'elle a écarté la main, qu'elle a dit "non", que ça a été entendu puisque sa voix porte», souligne Fanny Colin, une des deux avocates de la défense. «On va vraiment retomber là-dedans ? Est-ce qu'il faut nécessairement que quelqu'un dise "j'ai vu" ? rétorque, au cours de sa plaidoirie, sa consoeur en partie civile. Ou est ce qu'il suffit qu'une victime dise ce qu'elle a subi et soit confortée dans ses déclarations par tous les éléments du dossier ?» L'avocate de Juliette Favreul demande à sa cliente de décrire la plaignante. Cette dernière fait remarquer la différence de corpulence entre Nadège Beausson-Diagne, qui est «imposante», et elle-même, plus petite et fluette.
«Croire la parole de la victime»
Juliette Favreul découvre l'annulation du séminaire à son réveil. Elle écrit au propriétaire de l'appartement, absent durant la soirée mais membre à l'époque du CA : «Je viens de comprendre. C'est nawak. Apparemment le séminaire est annulé car j'ai touché la chatte de Nadège. Mais que faisait Nadège chez toi ? Je suis abasourdie. Un complot pour annuler un séminaire ???» Pourquoi a-t-elle écrit : «Que faisait Nadège chez toi ?» plutôt que «je n'ai pas fait ce dont on m'accuse», interrogent sans obtenir vraiment de réponse la partie civile et le président. Un peu plus tard, entourée par des membres du conseil d'administration du collectif 50/50, la productrice consent à envoyer un message à Nadège, «fort de sens», selon les mots du président d'audience : «Je t'écris pour te dire que je suis infiniment désolée de ce qui s'est passé hier soir, je ne m'en souviens pas mais je ne remets pas ta parole en cause.» «Parmi les principes du collectif, il y a celui de croire la parole de la victime, explique la prévenue. Ils m'ont demandé de rédiger ce texto pour suivre ces préceptes et pour apaiser Nadège [...]. Si j'avais été seule, je ne l'aurais jamais écrit.»
En cause, selon sa deuxième avocate, Céline Lasek, «le livret blanc» établit par collectif 50/50 à sa création. «Quand quelqu'un se présente comme victime, il faut la croire, ne pas remettre sa parole en doute, ne pas demander "pourquoi ?" même en cas d'incohérence, mais "comment ?"» Selon elle, «toute la procédure est entachée par cette présomption de sincérité, dangereuse à l'extrême». Et de poursuivre à travers des arguments éculés sur la «folie» post #MeToo. «Ici, on n'est pas dans le collectif 50/50, on ne suit pas les préceptes du livret blanc mais celui du petit livre rouge», conclut-elle en faisant référence au code pénal et en demandant la relaxe de sa cliente. Une défense battue en brèche par la partie civile. «Non, il ne s'agit pas de dire que c'est l'agression sexuelle du siècle mais qu'elle est caractérisée et qu'elle a eu des conséquences terribles pour la victime», insiste Anouck Michelin, devant une assistance qui ne cherche pas à cacher sa consternation. Assise sur le banc devant ses conseils, Juliette Favreul se recroqueville, semble disparaîtra sous chacun des mots de l'avocat de la plaignante. La procureure a demandé au tribunal de reconnaître la prévenue «coupable des faits qui lui sont reprochés», requérant huit mois de prison avec sursis probatoire de deux ans, obligation de soins et interdiction d'entrer en contact avec la plaignante. La décision a été mise en délibéré au 23 mai.
y a match, niveau beaufitude avec Le Graët on dirait.