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 Sujet du message: Albert Brooks
MessagePosté: 04 Fév 2022, 15:57 
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Filmo :

Real Life (1979)

Modern Romance (1981)

Lost in America (1985)

Defending Your Life / Rendez-vous au paradis
(1991)

Mother (1996)

The Muse / La Muse (1999)

Looking for Comedy in the Muslim World (2005)

Qualifié de "Comique pour comique", Brooks s'est composé au fur des passages sur scène comme à la télévision un personnage égocentrique et pontifiant, adepte de la stratégie de l'échec au point de développer un enthousiasme à toute épreuve qui s'il peut s'avérer communicatif au premier abord sombre ensuite dans le malaise pour finir en cas clinique. Plus encore qu'un humour de la déconstruction, on est ici plutôt dans l'autodestruction, l'un des effets récurrents de Brooks en stand-up comme en film étant de se montrer se désaper.

Si on peut le rapproche de son contemporain de l'époque, Andy Kaufman, dans sa manière de ruiner sciemment tout effet comique et de chercher avant tout à se faire rire plutôt que le public, on peut néanmoins le distinguer de son confrère par le fait que Kaufman joue sur les codes du théâtre et de la représentation live tandis que Brooks, dans ses premiers films, triture la matière même du comique audiovisuel et, ce qui nous intéresse ici, son pendant cinématographique.

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Real Life (1979)
, son premier film est le descendant direct de ses apparitions dans le Saturday Night Live, au sein duquel Brooks s'inscrivait déjà à contre-courant du reste du dispositif*. Dans une émission portée sur le direct, ses sketchs étaient enregistrés et l'un d'entre-eux, sur une opération à cœur ouvert était si long qu'il gênait le placement des publicités. Chacun détournait des clichés audiovisuels (les films familiaux, les émissions de mi-saison) et optait pour une fausse connivence allant même jusque dans un court-métrage à montrer Brooks au lit expliquant pourquoi il n'y aurait pas de segment dans l'émission, ou bien, dans sa dernière apparition à réaliser une enquête sur la popularité de son boulot.

*même si on peut noter qu'à l'époque, la première saison du show, celui-ci était encore mal défini, ce qui explique que Lorne Michaels y a intégré les segments de Brooks ainsi que des marionnettes de Jim Henson, segment qu'aucun membre de l'équipe ne voulait écrire, mais c'est une autre histoire...

Real Life se présente au départ comme une parodie d'une émission documentaire diffusée en 1973 intitulée An American Family, première émission de "télé-réalité" qui suivait H24 une... famille américaine donc. Dès la bande-annonce de Real Life, le double d'Albert Brooks promet du jamais-vu et utilise la 3-D pour appuyer le propos. Le début du film est une succession de scènettes énumérant les moyens et l'argent dispensés pour tout d'abord sélectionner la famille parfaite (avant d'abandonner les tests et sélectionner la famille qui vit dans la région la plus chaude), et ensuite pour réaliser ledit documentaire (avec une équipe technique imposée par les syndicats mais qui sera renvoyée dans son hôtel juste après sa présentation).
Comme attendu, rien ne se passe comme prévu et la famille choisie, dont le patriarche vétérinaire est interprété avec la même rigueur bornée par l'impeccable Charles Grodin, se désagrège avant même le premier jour de tournage, ce dernier se révélant être catastrophique (discussion sur les crampes menstruelles de l'épouse et claquage de portes compris).

Très vite, la famille Yeager se retrouve piégée par la mégalomanie maniaque de Brooks qui leur accole des cameramen affublés de casques-enregistreurs aussi gigantesques que menaçants, surgissant de tous les coins du cadre, tandis que lui en profite pour s'installer en grandes pompes dans la maison située juste en face de celle des Yeager. En lieu et place de "moments de réel", le documentaire n'est composé que de séquences de vide et de malaise : le médecin finit en dépression tandis que sa femme drague en pleurs Brooks au téléphone. L'idée que la réalité est modifiée car observée -également utilisée dans un autre film sur un entrepreneur raté, The Man Who Wasn't There des frères Coen- est même énoncée par les scientifiques qui mènent le projet : mais Brooks n'en a cure et continue coute que coute à pourrir la vie de cette famille qui finit même par être suivie par les caméras de la télé locale, jalouse du documentaire.

Le summum et la séquence la plus représentative du film reste le montage ("qui va en remontrer aux Français") sur la famille qui s'amuse dans un parc d'attractions. Présentée en une succession de ralentis à la limite de l'immobilisme, elle résume le comique selon Brooks : un gag pété qui se traîne à tel point que le spectateur passe par tous les stades ; de l'irritation à l'effarement à l'hilarité si il est bien luné.

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Si Real Life dispose encore d'une structure classique, Modern Romance (1981) pousse le vice de cet humour en slow-burn jusqu'à son paroxysme. Pastiche du film de couple de cadres branchés, il conte la séparation, dans le prologue, puis la tentative de rabibochage compliquée de Robert (Brooks), un monteur qui travaille actuellement sur un film de SF de AIP avec George Kennedy en vedette, et de Mary (Kathryn Harrold), qui bosse dans une banque. Ils s'aiment mais se quittent, mais s'aperçoivent qu'ils s'aiment et ainsi de suite dans un récit encadré par la sirupeuse reprise de You are so beautiful par Joe Cocker.

Sauf que tout Modern Romance est entièrement accolé au point de vue de Robert qui part rapidement en vrille après la séparation qu'il a lui-même instiguée et dont le travail de deuil ne passe jamais par la case "acceptation". Plus proche de Henry, Portrait of a Serial Killer ou Maniac que de Annie Hall, le film dépeint avec une retenue étouffante dans la mise en scène tranchant avec le cabotinage incessant de Brooks, la plongée de Robert dans la démence et l'obsession pour son ex avec qui il n'a bien évidemment rien en commun sauf des parties de jambe-en-l'air. Également présent dans Taxi Driver, Brooks compose une sorte de Travis Bickle socialement acceptable qui suit sa compagne, fouille dans ses tiroirs, appelle constamment à son boulot et finit par l'emmener en weekend dans une cabane au fond des bois afin de la couper du reste du monde.

Réalisateur dans Real Life et monteur dans Modern Romance, Brooks (et sa partenaire d'écriture, Monica Johnson) prend avant tout pour cible la prétention des auteurs-démiurges* dont la vie en lambeaux reflète mal l'ordre qu'ils cherchent à imposer à leurs fictions. Dans Real Life, Brooks s’enorgueillit à tout bout de champ du couteux dispositif qu'il a mis au point pour, croit-il, battre à plate-couture toutes les fictions jamais filmées pour finalement (mal) repomper un des films les plus connus dans sa conclusion, tandis que dans Modern Romance, il essaie de rafistoler une histoire qu'il a lui-même sabotée, tout comme le réalisateur du film de SF (le producteur James L. Brooks, aucun lien) avec son propre ouvrage.

*Heaven's Gate de Cimino est même cité en fin d'une séquence redoutable de montage d'effets sonores.

Contaminés par l'ego de ses protagonistes, les films eux-même voient leur mécanisme se dérégler : ici, les discussions entre Albert Brooks et les scientifiques chargés de surveiller les Yeager tournent au débriefing afin de savoir si le père a été présenté de façon trop antipathique pour le public ; là, une chanson de Queen semble annoncer une virée nocturne endiablée, mais le plan se fixe sur la bagnole de Robert qui ne démarre pas tandis que la chanson continue inlassablement révélant que Robert s'est endormi au volant.

Et c'est dans le dernier plan de Modern Romance que se dévoile dans toute sa froideur l'humour de Brooks alors qu'un texte déroulant délivre une punchline à l'intégralité d'un film qui n'a cessé d'avancer masqué, sous couvert d'un romantisme de façade que rien, jusque dans son affiche, ne trahissait. Plus qu'une comédie, Modern Romance est une véritable chute.

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Dernière édition par JulienLepers le 04 Fév 2022, 21:26, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: Albert Brooks
MessagePosté: 04 Fév 2022, 17:23 
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Merci beaucoup pour ce topic.
J'ai justement Real Life assez haut dans ma pile de visionnage.

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 Sujet du message: Re: Albert Brooks
MessagePosté: 04 Fév 2022, 17:42 
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Faut s'attendre plus à être effaré qu'hilare mais ça te reste en tête... je ne sais pas comment l'expliquer, mais c'est le genre de film qui se rappelle à toi.
Je vais essayer de remater le reste de la filmo mais je crois qu'après Lost in America, le suivant, ça décline.

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 Sujet du message: Re: Albert Brooks
MessagePosté: 04 Fév 2022, 21:25 
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J'aime pas trop Brooks en tant qu'acteur donc ça me bloque, j'ai dû en commencer deux et en finir un. Peut-être Modern Romance dont ta description me rappelle un peu Blume in Love de Mazursky.Curieux de découvrir Defending your Life dont le titre est beau, finalement plus que celui de Forgeard, Réussir sa vie.


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 Sujet du message: Re: Albert Brooks
MessagePosté: 05 Fév 2022, 13:31 
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Alors, si tu n'aimes pas le jeu de Brooks, ça a dû être une torture, Modern Romance, vu qu'il est de toutes les scènes :mrgreen:

Pas vu le Mazursky dont tu parles : j'ai un peu checké sur wiki et des extraits youtube (ce qui ne veut rien dire mais bon), mais ça m'a l'air d'être plus classique que le Brooks qui est un démontage en règle de ce type de film.

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 Sujet du message: Re: Albert Brooks
MessagePosté: 07 Fév 2022, 11:58 
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Avec Lost in America (1985) c'est au road movie initiatique que Brooks s'attaque : Easy Rider est cité jusqu'à plus soif par son héros qui en a retenu la moitié. Mais il rentre aussi dans la case "film de yuppie à la rencontre des valeurs de l'Amérique profonde" comme Something Wild ou Trains, Planes and Automobiles.

David et Linda Howard sont sur le point de déménager de leur énorme demeure pour une baraque encore plus imposante, mais David, publicitaire dans une agence de premier plan, voit une promotion lui passer sous le nez et après un pétage de plomb dans les bureaux de sa boîte est prestement viré. Ni une ni deux, il force sa femme à démissionner de son poste de directrice du personnel dans un grand magasin et à partir vivre de leurs économies dans un camping car.
Mécanique habituelle des films de Brooks : toutes les bonnes résolutions et les plans agencés en amont sont réduits en fumée en un éclair et les voilà fauchés et sans boulot au milieu de nulle part. La remontada va s'annoncer d'autant plus difficile que nous sommes sous Reagan et que se développe en toile de fond le portrait d'un pays, où en dehors des deux côtes, se trouve un no man's land d'emploi, de services sociaux et même d'entraide. On n'est plus vraiment à l'époque du Notre pain quotidien de King Vidor où on pouvait encore fantasmer une sortie de route communautaire.

Comme d'habitude, le dispositif même du film est moqué dans son ouverture avec un long parcours des cartons de déménagement dans la maisonnée endormie rythmée par l'interview d'un critique de film qui décrit le stratagème des maisons de production pour organiser une claque aux premières des comédies.
Le travail du directeur photo est à noter : déjà présent sur les deux prisonniers, Eric Saarinen a également bossé sur La Colline a des yeux de Wes Craven, et arrive à enchaîner le côté des bureaux anxiogènes de la boîte de pub, entièrement blancs avec quelques touches de vernis rouge, avec les lumières de Vegas qui forment un piège enfermant le couple dans le camping car, et le vertige du barrage Hoover au moment même où le couple est en chute libre sans filet.

Des trois premiers, c'est celui qui s'approche le plus d'une comédie "normale" : Brooks laisse un peu plus de place à Julie Haggerty, l'hôtesse de Y a-t-il un pilote dans l'avion, qu'à ses précédentes partenaires, et la musique d'Arthur Rubinstein fait dans le mickey-mousing, contrepoint à l'humour pince-sans-rire du tout, même si l'utilisation de New York, New York dans le final continue la tradition des gags brooksiens dont la mèche est allumée dès les premières séquences.

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 Sujet du message: Re: Albert Brooks
MessagePosté: 06 Juil 2023, 14:15 
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JulienLepers a écrit:
dans un camping car.


Auquel Brooks sera associé de nouveau (bien avant d'interpréter Hank Scorpio et peu avant Jacques le french lover) dans un épisode délaissant Springfield (1X7).

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https://simpsons.fandom.com/wiki/Albert_Brooks

Citation:
He also re-teams with pal James L. Brooks a few times by lending his vocal talents to "The Simpsons". He joined in the fun right away on two episodes in the first season: a small cameo as the RV salesman (an allusion to Lost in America) in "The Call of the Simpsons", and more prominently the lecherous Jacques, the French bowling instructor tempting Marge in "Life on the Fast Lane".


Dernière édition par Walt le 10 Juil 2023, 09:43, édité 1 fois.

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 Sujet du message: Re: Albert Brooks
MessagePosté: 06 Juil 2023, 15:07 
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Trop bon.

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 Sujet du message: Re: Albert Brooks
MessagePosté: 06 Juil 2023, 16:18 
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JulienLepers a écrit:
Avec Lost in America (1985) c'est au road movie initiatique que Brooks s'attaque : Easy Rider est cité jusqu'à plus soif par son héros qui en a retenu la moitié. Mais il rentre aussi dans la case "film de yuppie à la rencontre des valeurs de l'Amérique profonde" comme Something Wild ou Trains, Planes and Automobiles.


Je pinaille et fais du hors-sujet mais après tout j'ai (mal) parlé du film récemment.
Steve Martin dans ce film n'est pas tout à fait un yuppie : plus bourgeois et âgé, son arrogance ne vient pas d'une jouissance devant la réussite matérielle, mais plutôt du conformisme familial et sexuel qui le rassure - il vit de plus à Chicago plutôt qu'à New York, qu'il semble mépriser. La scène d'ouverture du taxi avec Kevin Bacon orchestre d'ailleurs une sorte de jalousie mimétique mortelle avec un vrai yuppie new yorkais (qu'il perd finalement).
Et s'il traverse plusieurs états de l'est du Mid-West (pour le dire comme cela), il n'y a pas beaucoup de rencontres édifiantes : les autres qui parlent dans ce film sont limités à l'hôtesse des voitures de location qu'il insulte, au dispatcher de taxis qui lui colle un poing dans la gueule, et au réceptionniste d'hôtel qui lui arnaque la montre. On s'en souvient car ce sont des trognes, mais ils ont très peu de répliques. Pour le reste Candy et Martin sont absolument seuls, avec une impression de désolation inaperçue (c'est pratiquement un film de survival d'après une catastrophe, bizarrement prémonitoire du 911), mais cependant regardés en permanence et avec méfiance par d'anonymes compagnons de voyage ou de restaurant avec lesquels ils n'échangent jamais. Le seul autre couple , les automoblistes, jumeaux de Steve Martin et de sa femme, se contentent de crier au duo Vous allez crever bientôt dans la scène du camion.

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 Sujet du message: Re: Albert Brooks
MessagePosté: 06 Juil 2023, 16:50 
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C'est un yuppie qui a vieilli.
Après, oui, dans le Hughes, c'est plus une figure de daron des sixties façon Mad Men transposée dans les années 80. Plus ou moins calqué sur le père de John Hughes, je crois.
En plus, tu noteras que j'ai mis le titre VO dans le désordre donc on peut biffer la référence.

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 Sujet du message: Re: Albert Brooks
MessagePosté: 06 Juil 2023, 17:03 
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Dans Breakfast Club il joue le père du gosse le plus pauvre (le futur trumpien Anthony Mitchell Hall) en se filmant de dos (une nuque à lunettes sévère mais pliée, en imper sale) dans une Chrysler le Baron rouillée (autant dire une Citroën AX à l'échelle US) mais file sa vraie caisse (une très chic BMW 635, avec un long capot bien phallique) au père de la plus riche (Molly Ringwald, avec qui il est sorti je crois) tout en en faisant dans un troisième temps un argument pour l'humilier dans le dialogue de Judd Nelson, jeu assez complexe

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