Castorp a écrit:
Question con : Z et Mass, en tournage, vous aviez l'impression que vous auriez pu vous permettre des trucs pas acceptables dans la vie normale ?
Grave !
Plusieurs fois, j'ai senti la machine autour, prête à accepter (voire à encourager) des colères, des vannes méchantes, des comportements lourdingues, drague ou sous-entendus. Ou bien que je vire des gens, me tape une comédienne... Je me sentais en permanence couvert par le système, protégé. Je sais qu'il aurait fait corps, aucun doute. J'ai trouvé ça très très lourd à gérer.
Ceux qui m'ont vu sur un plateau savent comme je suis détendu... Mais sur le long, j'ai dû lutter les deux premières semaines. Tout est un peu trop éloigné de l'idée simple qu'on a de faire un film comme un gamin, penser à des plans, bouger la caméra, créer un moment magique avec un comédien tout ça.
Non, on te met en position de prédation. T'es le boss, l'attraction, le poumon du truc. On te remercie mille fois, on te félicite juste pour être là. C'est à toi de bien te tenir, de pas abuser, mais tu sens que t'as carte blanche, que tu peux aller plus loin qu'en temps normal.
Par exemple, concrètement, t'as peu de temps pour chaque interlocuteur. Chaque jour de tournage, entre les comédiens, l'équipe technique, les officiels, les figurants, tu croises 50 à 100 personnes. Si tu consacres ne serait-ce qu'une minute par personne, t'es baisé, impossible de t'en sortir. Donc certains collaborateurs te prennent 30 minutes, et d'autres 10 secondes pour équilibrer, pas le choix. Et les gens le sentent ce truc-là, quand tu leur parles, même si t'es calme et que tu fais tout pour ne pas les speeder. Ils se transforment un peu, ils ont les yeux grands ouverts, le smile, et quelque chose comme de la séduction (du moins ils s'efforcent de paraître sous leur meilleur jour, avec une bonne présentation), et ça minaude pas mal, homme ou femme. Toi même tu te sens plus beau, plus drôle, parce que les gens rient à tes blagues claquées. C'est un vrai poison.
L'autre biais que ça provoque, c'est que lorsqu'un collaborateur te parle normalement, t'es heureux. "Toi au moins, t'es un pilier, un mec vrai". Tu l'aimes encore plus. Et t'as tendance à déprécier les autres du coup, ceux qui en font trop, se dénaturent, se ridiculisent parfois etc. Comme si tout devenait manichéen, blanc ou noir, vrai ou vendu. Et tu peux devenir une autre forme de connard.
Bref, Spielberg c'est un bon exemple. Le mec est génial, très humble avec les gens. Pourtant, il est sans doute prétentieux, imbu de lui-même, conquérant, mais il se contrôle, et reste un gamin la plupart du temps.
Ce n'est pas propre au cinéma, tout ça, bien sûr. Mais avec le cinéma, les gens ont des étoiles dans les yeux, parfois pour de mauvaises raisons, rien qu'en te parlant... Alors que bon, y a bien moins de mérite à faire un film que des tas d'autres jobs.