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 Sujet du message: Moonrise (Frank Borzage, 1948)
MessagePosté: 04 Aoû 2020, 16:02 
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Vu une première fois il y a longtemps au ciné-club de la 3, le film m’avait fait alors une forte impression. Sa redécouverte n’a fait qu’amplifier mon engouement.

Moonrise fait partie des derniers films parlants de Frank Borzage et constitue, de l’avis général, sa dernière grande réussite artistique.

Si je précise parlant, c’est que Borzage a d’abord été une gloire du cinéma muet, son nom étant aussi célèbre à l’époque que Stroheim ou Murnau par exemple.

D’ailleurs, on peut voir dans les toutes premières scènes du film comme un clin d’oeil du cinéaste au cinéma muet expressionniste allemand, son contemporain quand il a commencé sa carrière au cinéma. C’est en effet une succession de plans saisissants jouant avec les ombres et déformant les perspectives qui pointent les origines du drame pour le personnage principal (Daniel) : une pendaison, celle de son père, après sa naissance, mort infamante dont il paiera le prix (les brimades de ses camarades) toute sa jeunesse. Autant dire que Daniel devenu adulte ne sera pas le plus décontracté des hommes, d’autant moins que le film est à peine commencé qu’il tue son principal harceleur au cours d’une rixe dont une fille est la cause.

Il est dès lors persuadé d’être maudit, d’être contaminé par un sang mauvais, qui l’éloigne des hommes comme un pestiféré. Il faudra toute la patience et la compréhension des autres, sa petite amie, un shérif bienveillant et philosophe, son ami et confident Mose ainsi que sa grand-mère pour le ramener à bon port

J’ai été étonné de lire la réserve émise par Tavernier et Coursodon dans leur dico à propos du film : « le déterminisme comme la fatalité qui imprègnent tout le film laissent une sensation pénible ».

Mais précisément ce qui est beau, c’est que ce « déterminisme », cette « fatalité » inhérente au genre auquel se rattache Moonrise, disons le film noir psychanalytique, Borzage les tempère par son humanisme. Pour lui, Il n’y a pas de criminel né comme il n’y pas de mauvais sang, le sang c’est ce qui permet de vivre, comme le dit Mose à Daniel, pas ce qui vous détermine à agir.

La solitude est une aliénation, l’homme doit la briser pour se retrouver lui-même, c’est cette vérité que le film martèle.

Parmi toutes les figures qui gravitent autour de Daniel, il convient de reparler du personnage de Mose. C’est un grand gaillard noir qui vit retiré de la société avec ses chiens, à la parole sage et apaisante (on dit de lui qu’il a lu tous les livres). Si on peut regretter que les raisons qui ont fait de lui un ermite (des actes racistes) aient été gommées du livre au film, il faut savoir gré au scénariste Charles F. Haas d’avoir écrit pour un acteur noir, Rex Ingram, un aussi beau rôle. De même, saluons le travail de Borzage qui a dirigé l’acteur à l’instar de ses autres comédiens, avec sensibilité, ce qui nous évite une interprétation stéréotypée telle que celle qui était réservée habituellement aux acteurs de couleur dans les productions hollywoodiennes de l’époque. Hervé Dumont dans son bouquin consacré au réalisateur écrit « ce personnage est un rôle en or, peut-être un des meilleurs jamais écrits pour un Afro américain au cinéma ». On ne peut qu’acquiescer.

Le film a été produit pas le studio Republic, un nain comparé aux autres grandes compagnies, avec un budget limité. Cela se voit à l’écran : les acteurs sont très peu connus, tout a été filmé en studio… Et pourtant, ça n’empêche pas Borzage d’être au sommet de son art. La manière dont il exploite chaque décor, chaque accessoire pour en extraire la vérité psychologique du personnage est juste admirable (ex : la séquence de la chasse au raton laveur).

A tort ou à raison, il y a deux films auxquels j’ai pensé en voyant Moonrise : L’aurore de Murnau. Le film aurait pu d’ailleurs s’intituler comme cela puisqu’il se termine sur le spectacle d’une aurore. Et La nuit du chasseur de Laughton, notamment en raison de la figure de l’orphelin dont le père a été pendu, présente dans les deux films.

Le film de Borzage ne vole pas loin de ces deux sommets cinématographiques, selon moi.


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MessagePosté: 06 Déc 2021, 23:55 
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Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
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Je comprends à la fois ce qui peut captiver dans le film, et déception de Tavernier.
Formellement c'est superbe. La manière de cadrer les visages, de deplacer la caméra confèrent au moyen du seul regard une compréhension totale de la psychologie des personnages, paradoxalement couronnée par le regret et l'impuissance. Il y a aussi cette forêt foisonnante et enfantine, qui existe vraiment, où la caméra se révèle mobile, dans un monde où aucune perspective n'est pourtant donnée, où ilny a toujours quelque-chose entre le spectateur et la scène (ce quelque-chose qui nous sépare d'eux et eux de nous est la nature, inerte et consolante, aveugle et menacée c). La forêt est à l'image de la dynamique morale du film : un pardon qui immobilise, car il est exprimé non pas par des individus mais par l'ensemble du cadre social lui-même. Le personnage de Moses est en effet remarquable, il y a une forme de redoublements de la malédiction oedipienne du personnage blanc, qui fantasme son statut de renégat et de proscrit, par le racisme réel que subit Moses, que seule la victime peut objectiver, qui confère un rythme étrange au film : sa morale en est donnée en plein milieu. Toute la moitié qui suit tourne autour de l'acception de ce qui a déjà été énoncé et montré, il ne se passe rien d'autre qu'une conversion d'un seul personnage, ne voulant pas réintégrer une communauté dont il ignore qu'elle le pardonne avant de devoir le punir (l'empathie et l'identification à autrui ne procèdent pas d'une loi, elles sont nécessaires mais s'imposent spontanément, elles sont des nécessités reconnues, susceptibles d'être deniées, mais pas des impératifs extérieurs - la bonté n'est pas un destin mais une médiation).
Mais le film pâtit peut-être un peu trop de son ancrage Southern Gothic (même s'il raccorde avec des choses intéressantes comme Minuit dans les Jardins du Bien et du Mal d'Eastwood, où le crime est donné dès le debut là aussi, que l'enquête policière atténue). Il y a un système où le destin moral individuel compense et défait de manière trop exacte ce que le déterminisme social produit. Toute l'intrigue du film est exclusivement morale, et il semble peut-être pour cette raison coincé entre une esthétique expressionniste issue des années 30 et la veine plus naturaliste et sociale du film noir. Le personnage du flic humaniste est remarquable, si ce n'est que l'intrigue est à peu près aussi invraisemblable et édifiante que celle d'un épisode de Derrick.
En même temps ces invraisemblablances (le masochisme impuissant du personnage, qui provoque un crash de bagnole et saute dans le vide d'une grand roue sans se blesser, invulnérable tant qu'il est traqué, qui ne se sociabilise qu'en communiquant un scrupule qui n'est nouveau que pour lui) confèrent au film tout son charme.

Il y a peut-être aussi un problème avec l'acteur principal, peut-être trop vieux et trop sage pour le rôle, on ne croit pas à sa faiblesse et à son besoin d'être initié moralement
J'ai en revanche trouvé que Gail Russell, actrice pas très connue, jouait très bien et a une présence très forte. Malheureusement on voit dans son regard depressif et ses poches sous les yeux qu'elle porte avec dignité toute la tristesse qui mènera à sa mort précoce à 36 ans. Le film en fait un personnage maternel et rédempteur , mystérieusement converti à l'amour du personnage principal (alors qu'au début elle est pratiquement agressée), j'ai l'impression que jouer un personnage moins typé, plus faible au sein de la même mélancolie, l'aurait peut-être plus aidé que celui d'un ange consolateur mais sexué, qui incarne la tolerance pure sans qu'elle lui soit retournée. La scène la plus érotique du film, où elle danse dans la vieille maison, badinant seule sur la vie sentimentale de l'ancienne propriétaire, où sa sensualité est mise brièvement sur le même plan que la culpabilité de son amant, sans que le deux ne communiquent mieux pour autant, est extrêmement émouvante.

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Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 07 Déc 2021, 08:57, édité 3 fois.

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MessagePosté: 07 Déc 2021, 08:19 
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Inscription: 27 Déc 2018, 23:08
Messages: 5911
Le dernier Moretti est en effet borzagien voire moonrisien (même personnage du fils à demi criminel donné dès le début du film, le parc dans lequel se produit lieu l'agression fantasmée rappelle beaucoup la forêt de ce film, l'enjeu moral est aussi assez proche : la difficulté d'échapper à la fatalité tout en endossant une mémoire, la solitude qui devient alors une forme de transaction. Peut-être aussi, mais de manière plus maladroite, mais sincère chez Moretti les réfugiés qui équilibrent les personnage et clôturent l'idée de négativité à compenser individuellement à la manière d'Otis -le personnage de l'ancien prisonnier bénévole est d'ailleurs une forme d'Otis)


J'en avais aussi une partie lors de son passage au Ciné Club de France 3, peut-être la fin, et cela m'avait intrigué (difficile en effet de rattacher le film à un genre, c'est sa force).

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Erving Goffman


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