Le consul britannique à Florence, vivant dans une très luxueuse villa, devient veuf. Le consul, enfoncé dans son deuil, a envoyé ses enfants chez des amis pendant l'agonie de sa femme, mais dit la vérité à Andrea, qui a 11-12 ans, quand il chosit de cacher la situation au petit frère, Milo, 6-8 ans, qui est de santé plus fragile. Il n'y a au depart pas d'animosité entre le consul et Andrea, mais une série de malentendus causés par la rigidité du père et avivés par la présence des gouvernantes vont progressivement opposer le père et le fils. La maturité et la personnalité introvertie d'Andrea sont perçues par le père comme une marque de froideur. Par ailleurs, Andrea est très protecteur vis-à-vis de son petit frère, mais cela l'expose finalement encore plus : d'une part il joue le rôle du père absent, ce qui est de nature à approfondir la tension entre eux. D'autre part, trop choyé, Milo peut aussi s'avérer manipulateur et creuser les conflits qu'il détecte intuitivement. Un oncle excentrique et faussement cynique, probablement le frère du consul et probablement gay, arrive, et perçoit le désarroi d'Andrea. Il essaye de lisser les relations entre Andrea et son père, et de traiter Andrea de manière moins infantilisante, mais c'est trop peu, trop tard...
Film marquant mais éprouvant. Je dois dire que si j'ai apprécié la justesse du regard sur les enfants (qui ne jouent pas très bien, mais les rôles sont bien écrits, avec des détails qui font mouche comme la scène avec le thermomètre rectal de Milo), j'ai été heurté par la noirceur et l'emphase mélodramatique du dénouemenent final, qui fait basculer l'étude de moeurs dans un baroque sadien, où il n'y a plus d'extérieur, la vérité des personnalités et des relations, complètement développées, ayant consumé le monde. Le film (transposition d'un livre anglais du XIXème) est pourtant complexe et très riche thématiquement et la mise en scène brillante (ainsi la manière dont Comencini filme le match de judo...). Il parvient à transférer au sein de la famille et du complexe d'Oedipe l'espèce de sécheresse et de compassion volontairement désincarnée que Rosselini, à la même époque, consacre à la société et à l'histoire, comme si le point de vue moral sur une chose ou une situation était le dernier moment de leur généalogie, prenant Nietzsche à son propre jeu. Andrea est pris malgré lui dans une logique suicidaire, en croyant réparer un lien abîmé, et le restaurer dans son état originaire, sans voir qu'il est au contraire produit plutôt que perdu (ainsi le fait de rembobiner les bandes du magnétophone qui automatiquement efface la voix de sa mère : sa maladresse est directement positionnée dans et contre le fétichisme de son père, qu'elle révèle et épuise, par le seul fait de le rendre visible). Le film, je crois, dit aussi, dans
les belles scènes (inexpliquées) où Andrea se réfugie chez les petits commerçants de Florence, à la fois fraternels et distraits, qu'il est impossible de se placer à la fois dans le complexe d'Oedipe et la lutte des classes. Les deux se ressemblent, mobilisent la meme mauvaise foi qui les entretient, mais le premier est inconscient et se liquide de lui-même, tandis que la seconde est plus visible et transparente, mais d'autant plus statique : la rigidité sociale devient un vêtement protecteur qui permet de fuir le nœud privé.
Comencini est aussi très cohérent, le père, grand bourgeois anglais, est le même père defaillant que le petit artiste fasciste italien d'Alberto Sordi dans la Grande Pagaille, mais le destin des fils, mis dans la même situation psychologique, est opposé : Sordi, adulte jusque là en régression psychologique, parvient à rompre avec le père et à en surmonter le conformisme fasciste, quand Andrea trop mature et trop tôt responsable, succombe et est puni de sa lucidité. La différence est peut-être que Sordi, en la personne de Reggiani, trouve plus faible que lui dans la société (et doit comprendre cette faiblesse qu'il rencontre à improviste, dont il peut se détacher) quand, dans le cas d'Andrea, ce rapport au plus démuni est interne à la famille, à la fois originaire, d'emblée structurant et masqué.
Tout cela est très fort et en fait un film important, mais, en ce qui concerne l'enfance, l'angle de Truffaut dans
l'Enfant Sauvage (filmé du point de vue d'un quasi- père se sachant défaillant et non de l'enfant certes) m'a semblé plus fort. Il me semble que Truffaut comprend qu'il lui faut faire preuve de plus de recul sur le matériel littéraire qu'il adapte pour dans le même mouvement accorder au moins un avenir à l'enfant qu'il représente. Ici la justesse quasi-psychanalytique du regard tombe dans le gothique, tout est littéral et la compréhension de l'autre (et de l'autre dans le fils) est ainsi donnée comme une forme de destin qui exclut tragiquement tous les autres quand Truffaut envisage plutôt ce regard comme une technique, aussi perfectible et limitée que nécessaire.
Le film a aussi bien mal vieilli dans certaines scènes, comme par exemple le repas avec les étudiants nigériens. J'aurais tendance à dire que la Grande Pagaille est loin devant.