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Vivre vite / Deprisa, Deprisa (Carlos Saura, 1981)
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Auteur:  Gontrand [ 22 Avr 2018, 16:42 ]
Sujet du message:  Vivre vite / Deprisa, Deprisa (Carlos Saura, 1981)

1980, dans la région de Madrid, Pablo, Meca et Sebas sont trois jeunes gens de 17-19 ans, d'allure anodine, mais déclassés et sans attaches familiales.
Rien n'est montré mais on sent qu'ils sont venus seuls de la campagne vers la ville, et que la pauvreté rurale s'est cristalisées dans des haines familiales entre parents et enfants, auxquelles ils veulent par dessus tout échapper.

Ils vivent d'expédients et fauchent des bagnoles, non pas des BMW et Porsche, mais les modèles typiques de la classe moyenne et de la petite bourgeoisie espagnoles de l'époque (Fiat-SEAT 124 et 131, Renault 12).
Au début du film, ils envisagent de se servir des voitures pour des braquages armés. Dans un premier temps ils vont s'en prendre au gardien d'une usine dans une ZAC en périphérie, pour prendre la paie des employés.

Chacun des trois a une personnalité bien typée, complémentaire de celle du reste du groupe : Méca, le plus exubérant, en est implicitement le leader et instructeur. Il est spécialisé dans le vol des voitures, et leur destruction (par le feu, dans des zones et des friches industrielles abandonnées, qui le fascinent et l'immobilisent). C'est le seul à développer un discours de critique du monde bourgeois, de sa mentalité et de la vie de famille.
Pablo est à la fois plus indolent et plus revanchard, il semble un peu fatigué de cette vie, et hors des casses mène une vie en fait assez banale. Il vole car c'est la seule manière, à sa portée pour accèder au train de vie d'un employé de la classe moyenne, et avoir un chez-lui.
Sébas, plus nerveux et hésitant, est moins défini socialement mais agît comme une sorte de conscience morale qui essaye de limiter et canaliser la dérive de la bande
ce sera bien-sûr l'un des seuls à tuer et le premier à être tué
.

Un jour Pablo et Méca recontrent la belle et virginale Ángela, serveuse dans une petite cafétaria. C'est le coup de foudre entre Pablo et elle, et ils se mettent rapidement en couple . Effacée, elle n'en devient pas moins le quatrième membre de la bande, se grimant en homme moustachu, apparenant à tirer au revolver. Tout concourt alors à radicaliser le groupe : l'émulation au sein des mecs pour la séduire les enhardit, le besoin de financer l'installation avec Pablo demande de l'argent et une forme de respectabilité virile. De plus son emploi lui a donné l'habitude du monde, c'est la seule à ne pas se droguer, elle est prête à assumer les parties la plus exigeante des braquages, comme la prise d'otage pendant les casses.


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Il s'agît d'un film assez insatisfaisant au moment de sa vision, mais qui reste en mémoire. La situation est assez stérotypée, et la mise en scène assez plate et fonctionnelle ; bien mois flamboyante que dans Crias Cuervos. On entend oujours la même chanson des Gispy Kings, du même autoradio diégétique, pour raccpoder entre phases de braquages et le retour à la vie normale. Les couleurs sont typiques des années 1980, où la pellicule imite le grain et le voile blanchâtre de la vidéo émergente.
Le tout rappelle certains téléfilms ,jésuitement édifiants et paradoxalement séducteurs, que les profs d'éducations civiques (ou de religion en Belgique...) projetaient pour créer ensuite un débat, sur la violente, la sexualité, la drogue ou que sais-je.

Néanmoins le film est sauvé par la sympathie, maintenue jusqu'au bout, de Carlos Saura envers les 4 jeunes, ainsi que par l'interprétation excellentes (ils sont tous amateurs, proches de leurs personnages, ce qui a déclenché une polémique à l'époque. Berta Socuéllamos qui joue Angéla est particulièrement remarquable).
On peut aimer le film pour des mauvaises raisons, qui expliquent sa ressortie : la nostalgie à la mode pour l'univers culturel des années 1980 : le côté "Bonnie & Clyde" en Renault 12, les mecs en t-shirt marinières à rayures, la disco finissante qui vire à la new wave (on entend l'extraordinaire "Hell Dances with me" de Cappucino).

Mais le côté illustratif du film se retourne en plusieurs points forts, notamment en ce qui concerne la manière de filmer Madrid, une mégalopole ouvrière plantée comme une hallucination surréaliste dans un désert aride et montagneux, troué par les autoroutes, sans transition entre la terre rêche et nue et le tissus urbain des barres d'HLM.

Le film est assez politiquement visionnaire, car il pointe une des conséquences de l'arrivée brutale de la démocratie (en fait surtout du libéralisme) : là où Franco centralisait silencieusement mais volontairement la vie espagnole sur Madrid pour des raisons politiques (agissant en fait vis-à-vis des provinces et du souvenir de la République, exactement comme Philippe II qui avait planté Madrid, ville sans grande rivière, en plein centre aride de l'Espagne pour signifier le départ final des Musulmans d'Andalousie, contre sa voisine Tolède, plus vieille, sur le Tage, place importante pour le christianisme mais encore marquée dans son histoire et son architecture par les mondes arabes et juifs) ; le libéralisme économique va accentuer cette centralisation pour des raisons non plus politiques, liées à l'image, mais économiques structurelles, qui sont dénuées de visées symboliques et de messages, personnellement immotivées.

Le film est ainsi conscient de montrer, en temps réel, un changement technologique, diffusément à l'oeuvre derrière l'évolution sociale et politique. Les 4 jeunes sont placée à la charnière d'un monde ou le pouvoir et les rapport d'exclusion sont industriels et urbains et formulés en terme de classe sociale, où la bourgeoisie se distingue en renvoyant son antagoniste dans l'invisible et la banlieue tout en l'employant (ce qui permet techniquement à la bande de mener des braquages dans le grand style romantique, la vie normale qui leur est préparée est déjà une cachette, ils restituent à la fois la figure globale de Bonnie & Clyde et celle espagnole des brigands gitans, justiciers en lutte contre le caciquisme, mais en ignorant qu'il n'y plus de caciques) et celui des sociétés de surveillances (à la "Foucault-Deleuze"), où c'est au contraire l'instance de surveillance et de souveraineté qui est rendue invisible, et le sujet visible et connu qui est placé hors du contrôle (la bande va être mise en déroute par la seule présence d'une caméra de surveillance dans une banque, qu'ils voient, mais ne peuvent pas prendre en compte).


Le film est parfois outré, et la sitution "too much", il est irréaliste que quatre jeunes avec une psychologie de glandeurs sympathiques en arrivent à "cela". Mais ce décalage accentue la véracité sociologique du film, son caractère de trace visible, comme témoignage de l'époque. Dans un reportage télé mis en abyme dans le film, un des badauds témoin pense spontanément à un terrorisme politique comme en Allemagne ou en Italie, sans pouvoir concevoir que les coupables ont un rapport mimétique à sa propre classe sociale. Après tout, la Belgique a connu de faits similaires peu après, avec les Tueurs du Brabant, qui restent inexpliqués, le film est en phase avec l'imaginaire de l'époque (que ces personnages incarnent, sans paradoxalement le fantasmer).

Sur un autre plan, pareillement "signifiant", il est assez féministe dans son contenu sociologique extérieur et explicite, avec le personnage d'Angéla, que le reste du groupe croit protéger, alors qu'elle est plus lucide et plus forte qu'eux, pleinement maître de son destin ; et misogyne dans son rapport implicite et interne à sa propre mythologie et à l'imagerie du cinéma : l'image transforme et confère une essence, plutôt qu'un récit.Dans un procédé digne de Kagemusha, une petite prolétaire devient une femme fatale sans scrupules, à la fois Mouchette de Bresson et Jane Greer chez Tourneur, qui échappe au bovarysme uniquement parce que son sadisme edt avoué mais non-entendu, laissé sans réponse).

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