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MessagePosté: 03 Jan 2020, 23:38 
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Un hiver, au milieu des années 1980. Une jeune femme est retrouvée morte de froid, dans un fossé bordant des vignobles.
Elle parcourait en vagabonde la région située entre Montpellier, Nîmes et la Camargue. La voix-off d'Agnès Varda nous apprend qu'elle s'appelait Mona Bergeron.
Le film retrace les dernières semaines de sa vie, à partir des témoignages de ceux qui l'ont croisée. Têtue et revêche, elle installait une tension quasi-permanente avec ses interlocuteurs, révèlant involontairement leur contradictions et aspérités. Ceux-ci sont interrogés face-caméra ou dans des petits groupes où la caméra joue le rôle de l'acolyte neutre et réel. Parmis les personnes qu'elle a croisé sur la route on compte :
- des motards un peu zonards, à la fois reliés à la mythologie de la horde sauvage et très inséré dans leur village,
- un garagiste vicelard,
- une employée de maison qui parasite le manoir d'une vieille dame impotente, mais à la fois routinière et excentrique.
- un intellectuel drop-out reconverti en berger écologiste, sincère mais très doctrinaire, motivant paradoxalement le retour à la nature par une psychologie de technicien hyper-cartésien.
- une prostituée qui lui achète les fromages bios produits par le précédent
- une chercheuse en agronomie en Renault 11 qui étudie les parasites des platanes, en apparence bien assise dans la vie mais souffrant de solitude et d'un sourd désoeuvrement.
- l' étudiant doctorant de cette chercheuse. Timide et lunaire d'un côté , ambitieux et conformiste de l'autre
- un journalier tunisien qui l'héberge quelque temps dans son baraquement, mettant à profit le retour de ses camarades au Maghreb pendant l'hiver.
- d'autres personnes qui l'ont rencontrée de manière plus fugace, mais qui l'ont peut-être, malgré ou à cause de cette brièveté, mieux comprise.

Par ailleurs toutes ces personnes sont reliées entre elles, disparaissant et revenant dans le film, tandis que le personnage de Mona lui traverse le film et s'efface.



Image

C'est effectivement un très beau film, donnant une impression prégnante mais indefinissable de douceur et d'âpreté. On pense beaucoup aux derniers Bresson (même pessimisme finalement), mais aussi au mystère d'une révolte à la fois avouée et indéchiffrable de la Voie Lactée de Bunuel. Mais, s'il s'agit comme dans le Bunuel d'un périple immobile et hivernal,il n'y a plus de présence d'une jubilation issue du sacrilège car la religion et la figure christique s'est comme retirée (alors que le personnage de MArie pourra avoir une dimension messinaique). La violence du personnage de Bonnaire est dirigée contre le savoir que les personnages du films ont de la signification morale latente de leur acte, qui dans le Bunuel est préservée, car elle fonctionne comme une herméneutique, qui déjoue un code et un jeu de masques: ici ce contenu moral est mis à mal car il n'est plus un instrument, mais se confond avec la substance du réel désavoué.

Agnès Varda est en fait une cinéaste très formaliste, travaillant par des structures contraintes (souvent des dyptiques), et cela n'a jamais été plus patent que dans ce film (qui est dédicacé à Nathalise Sarraute on peut penser aussi certains Perec, avec une tonalité affective qui peut passer nouer ensemble le ludique et le deuil élégiaque). Le film est ainsi organisé autour de 8 longs travellings, reliés par une sorte de rébus visuel, ainsi que la très belle musique de Joanna BruzdowiczCes trravellint sont la fois massifs et noyés dans l'intrigue (le bonus qui les enchaîne est un film à part entière). Ce formalisme n'est pas gratuit, car il permet à Varda de mêler avec beaucoup de justesse acteurs professionnels et amateurs, apportant au film une forme d'imprévisibilité qui repose paradoxalement sur la rigueur du dispositif.

Varda filme ses travellings de droite à gauche, quand un autre travelling central dans le film; montrant l'abattage et la chute réels -mais parfaitement réglé et intégré dans le film- d'un platane mort contaminé par un champignon parasite, va de gauche à droite, inversant et équilibrant le mouvement général du film : la mort fictive du personnage du film va de droite à gauche, celle réelle, de la nature, dans l'autre sens. Singulièrement le propos social du film correspond au mouvement qui va de droite à gauche : celui de la fiction et de la mémoire. La mort de la nature et celle "du social" sont comme en concurrence.

A vrai dire le film est remarquable, mais j'ai été plus touché par l'énergie de l'Une chante, l'autre pas, l'autre pas, et par un film également proche dans la forme et l'esprit de sans Toit ni Loi (mais sans doute aussi lui-même influencé par l'Une Chante dans la manière de dépeindre une amitié féminine comme une forme indriecte de lutte féministe, amitié qui est aussi une des rares situation transcendant réellement les barrières de classe), sorti quelques années plus tôt : Messidor de Tanner, où les personnages résistent plus, ne parviennent pas à échapper au tragique, mais ne se laissent pas emporter non plus par la mort (
Messidor racontre un meurtre, à la fois immotivé, hors-champs et socialement surdéterminé, là où le film de Varda filme plutôt un suicide dans le champ
).
Il y a un élément qui me paraît traverser tous les films de Varda, qui explique peut-être qu'il y ait chez elle une forme de compensation et d'équilibre entre la dureté du film envers ses propres personnages et l'impresssion qu'elle s'adresse à nous de manière malgré tout généreuse, nous invitant à reproduire comme une occasion d'émancipation ce qui pour les personnages de la fiction est pourtant une souffrance : le fait de persévérer dans son identité, de demeurer la même personne face à des situations différentes est d'emblée pour Agnès Varda une forme d'échec existentiel. On échappe à la mélancolie en même temps qu'à soi-même. Mais d'un autre côté cette mélancolie est native et ontologique : seul l'autre qui s'est intéressé à nous peut nous décevoir (c'est la déception qui délimite le champ social), son écoute et son affection ne se déploient pas forcément dans le temps de l'histoire et de la vieillesse, nous laissant alors intacts et défaits.

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Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


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MessagePosté: 11 Nov 2021, 13:49 
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Rattrapage Varda que je connais très peu et dont pas mal de films sont sur Netflix.

Le premier film auquel j'ai pensé est... Vaurien (Peter Dourountzis, 2020). Même errance d'un personnage marginal dont les motivations ne seront jamais expliquées, et dont le parcours sert finalement à dessiner en creux les personnages secondaires qu'il rencontre... même si les différences sont au final évidemment nombreuses.

Dès la scène d'ouverture, le sort du personnage principal est réglé, et le procédé adopté par Varda, mi-fiction mi-reportage nous plonge dans une fausse enquête, dans le but n'est pas la résolution ou la compréhension, mais de dresser un portrait d'une quête d'indépendance, de ses embuches, de ses désillusions, de la difficulté du rapport à l'autre (qui déçoit souvent) et un très beau portait pluriel de femmes (et de leurs conditions).

Y'a clairement de ça:
Vieux-Gontrand a écrit:
C'est effectivement un très beau film, donnant une impression prégnante mais indefinissable de douceur et d'âpreté.


La distance à laquelle se place la cinéaste est souvent juste (j'ai eu un peu peur au début avec la voix off de Varda mais ça se calme par la suite), jamais sentencieux ou dans le jugement, et le résultat est un film d'une modernité tenace.

Merci la Coupe du Monde !


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MessagePosté: 11 Nov 2021, 20:49 
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Sir Flashball
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Inscription: 23 Déc 2013, 01:02
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J'adore Varda la documentariste, mais je suis toujours resté à distance de ses fictions, qui sentent la nouvelle vague à plein nez. Si je déteste Truffaut et cie, ça a une chance de me plaire, tu crois ?

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MessagePosté: 11 Nov 2021, 21:02 
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Euh hum comment dire... je connais pas trop Truffaut... mais j'ai l'impression que celui-là ne s'en rapproche pas trop, c'est craspec, ça mixe acteurs pro et amateurs, ça expérimente sur la frontière fonction/documentaire, donc au final ça coche quelques cases Nouvelle Vague mais j'ai jamais senti le cahier des charges, ça a son énergie propre. Après, est-ce que c'est éligible au label Castorp....


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MessagePosté: 11 Nov 2021, 21:07 
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Historiquement elle n'est pas trop dans la Nouvelle Vague, elle a un background different : elle vient de l'Ecole du Louvre et de la photo de théâtre au TNP plutôt que de la critique, elle est plutôt travaillée par la peinture que le romanesque, une enfance en Belgique et dans le Midi, le lien avec Demy, le prisme féministe et plus "sociologisant" aussi...

Maintenant la façon la plus directe (et la moins "politique") de se faire un avis est de voir ses films.

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Erving Goffman


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