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MessagePosté: 12 Juil 2015, 21:39 
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Michele Apicella est le jeune cinéaste emblématique de l'Italie d'après 68, post néo-réaliste, le plus consistant, le seul qui existe. Cependant, lorsqu'il est invité dans les ciné-clubs, et les amphis, on lui reproche souvent de faire un cinéma hermétique et élitiste, qui ne parlera pas au berger des Abruzzes, à l'agriculteur des Appenins, à la ménagère de Vérone. Les chaînes de télévision occuperont forcément le vide disent à la fois les critiques de cinéma et les hommes de pouvoir de la télé eux-mêmes. Seule la mère supérieure d'un couvent, vite recadrée par sa hiérarchie, semble s'interroger sérieusement sur les enjeux spécifiquement esthétiques et narratifs de son cinéma.
Michele veut filmer un second film, sur Freud, coincé entre ses tentatives de séductions sur la belle Anna et son Oedipe mal réglé avec sa mère, dont il soutient le désir. Freud doit trouver une sorte de compromis entre un père incestueux et sa position de lesbienne vis à vis de sa mère (qui joue le rôle du père séducteur). Il est du coup menancé par l'infantilisation, la psychose, et tente négocier un exhutoire en recherchant une alliance téléphonique avec Jung. Ce serait le premier film d'Apicella à Cinecitta.
Cependant, Apicella est torturé la nuit pas son sur-moi, qui lui apparaît la nuit sous la firme de Laura Morante, une élève d'un cours de philosophie qu'il n'arrive pas à séduire, qui lui explique qu'il est un social-traître, un lâche, un maître à la fois puritain, immature et nihiliste. Mais elle l'aime pendant qu'il se transforme en loup-garou la poursuivant dans Rome. Ces cauchemars récurrents ralentissent le tournage du film.
Il est aussi harcelé au téléphone par deux enseignants moustachus qui veulent à tout pris devenir son assistant, pour apprendre le cinéma en 5 ans, mais pourraient l'aider à finir son film.
Dans le même temps, Apicella est concurrencé sur sa gauche par Gigio Cimino, un épigone qui tente de la dépasser, en faisant croire dans les médias à l'existence d'une école qui les réunirait, tournant une comédie musicale sur les Années de Plombs avec l'argent du producteur d'Apicella. Ils se font donc concurrence pour les subventions et les faveurs d'un même public. La participation à un show télévisé de type Interville doit les départager. C'est donc ce public, un public de merde, qui décidera directement lequel des deux survivra.



Un film qui part en roue-libre, mais qui est absolument exact. Il est frappant de voir à quel point derière le désorde apparent, il annonce les obsessions/motifs qui parcourent l'ensemble de l'oeuve de Moretti (la filiation, la comédie musicale, la religion et le pape qui représentent à la fois une foyer de domination, l'absurdité, mais aussi une possibilié d'écoute, la lutte désabusée et trop interne contre la démagogie télévisuelle).
Le film frappe par son arrogance, sa drôlerie et son désesepoir (violent et outrancier, les acteurs se font littérallement frapper par Moretti): Moretti s'y met en scène lui-même un cinéaste à peine pubère, ombrageux, capable de représenter et finalement retourner tous les dicours, sans passer par une phase d'adhesion. Il est seul dans l'univers des années 70, car il suppose que la psychanalyse a déjà intentionnellement accompli déjà ce travail d'étalonnage, de réduction par l'évidement et de recherche d'une commensurabiltié absolue entre les discours et les idéologie, tandis que Deleuze que Foucault lui donnaient, en la contestant, encore le poids d'un discours situé et positiviste. A cause de cela, il sépare radicalement ce qui est objet du désir, et objet poltique-historique, et logiquement, le moment par lequel il attaque la télé berlusconienne pour défendre le cinéma est le même que celui par lequel il nous communique, encore jeune, que son désir et sa foi dans le cinéma ont du mourir pour qu'il devienne un vrai réalisateur.


On sent aussi que le film (une sorte de remake noir et sardonique, mais poltiiquelent équivalent de "Partner") est un chaînon étrange, mutant mais précisément délimité d'un point de vue historique, reliant la critique situationniste (la critique élitiste de l'aliénation) et la phantasmagorie mélancolique et hermétique du cinéma de Gondry, Jonze et Kaufman.

Enorme et effrayante scène où Remo Remotti joue Freud délaissant l'inceste sur sa fille Anna pour embrasser et étrangler sa mère en imitant Mickey Mouse, qui devient la mise en scène d'un plateau de cinéma façon Nuit Americaine, qui à elle seule justifie un 6/6.


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MessagePosté: 07 Avr 2020, 17:38 
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Gontrand a écrit:
Il est frappant de voir à quel point derrière le désordre apparent, il annonce les obsessions/motifs qui parcourent l'ensemble de l’œuvre de Moretti (la filiation, la comédie musicale, la religion et le pape qui représentent à la fois une foyer de domination, l'absurdité, mais aussi une possibilité d'écoute, la lutte désabusée et trop interne contre la démagogie télévisuelle).

C'est effectivement un pur concentré de Moretti (même s'il n'y a pas de pape dans celui-ci, ou alors il est passé sous mes yeux sans que je m'en aperçoive), on peut rajouter à ta liste le tournage du film dans le film, le sport (ici le foot, comme dans La Messe est finie, ailleurs le water-polo), les emportements à l'encontre des critiques cinés (qui semble plus tenir de l'angoisse du réalisateur quant à la réception de son œuvre ici, alors que dans Journal intime c'est plutôt une certaine critique autosatisfaite qu'il tient à brocarder), son ressentiment quant à la perte des idéaux de la gauche, ses relations complexes avec les femmes (Laura Morante personnifiant cet idéal féminin qui l'impressionne et que l'on retrouvera dans Bianca). Et pour un film tourné en 1981 on ne peut que lui reconnaitre la justesse de son analyse, à peine un an après que Berlusconi a commencé à monter son empire audiovisuel (et bien avant que Fellini ne s'empare également du sujet dans Ginger et Fred), il dresse déjà le constat lucide de toutes ses dérives (à part les minettes à poil), de l'abrutissement du spectateur au triomphe de la vulgarité. A ce titre la dernière partie du film, où Michele Apicella affronte Gigio Cimino dans des épreuves de plus en plus avilissantes est peut-être la meilleure du film, à la fois grinçante et clairvoyante (et qui se termine par l'invective Pubblico di merda qui traduit avant tout sa profonde désillusion).

Sinon oui on a souvent vu Moretti râleur, s'emporter facilement à l'encontre de ses semblables, j'imagine qu'ici cela s'explique par sa jeunesse mais il y a un côté beaucoup plus physique dans ses emportements, qu'il se roule en boule par terre ou qu'il en vienne aux mains dans une pseudo-tentative d'étranglement de sa mère. Je me demande si cela est encore plus fort dans ses premières œuvres où si cela atteint ici son paroxysme. Ce qui est sûr c'est qu'avec le temps, s'il ne perdra rien de son côté corrosif, il va tout de même progressivement s'assagir, jusqu'à ce que son cancer provoque une véritable rupture (la ballade en scooter dans les rues de Rome en Août est inenvisageable avant). Il n'empêche, il a beau être parfois à la limite du supportable, une espèce de post-ado à l'égo surdimensionné qui en veut à la terre entière, c'est tout de même un personnage unique, attachant, dont le regard critique n'est jamais aussi dur qu'à son encontre (cet improbable biopic de Freud, vivant chez sa mère et qui n'a jamais rompu le cordon ombilical, les scènes de ce tournage sont vraiment hilarantes), et qui me donne envie de découvrir ou redécouvrir la totalité de sa filmographie (y compris ses courts, dont certains sont disponibles sur le site de sa maison de production. Je n'arrive malheureusement pas à trouver traces de ses 3 premiers courts/moyens, si jamais quelqu'un saurait aiguiller ma recherche...).

C'est sur Arte.tv jusqu'à la fin du mois de Septembre (avec le magnifique Bianca), je recommande chaudement.


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MessagePosté: 07 Avr 2020, 22:19 
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Hello

J'ai l'impression d'avoir vu ce film dans une autre vie (plus riche et plus curieuse).
Je dois voir chez mon père le DVD de "Je suis un Autarcique" qui contient je crois un documentaire (hagiographique il faut bien le dire) avec de larges extraits de ses premiers courts, voire ces courts eux-mêmes, mais je n'en suis pas sûr. Je n'y ai pas accès pendant le confinement.
Sinon parmi les moyen-métrage de Moretti, celui qui m'a le plus frappé est "La Cosa" (bonus du DVD de Sogni d'Oro) qui est un documentaire tourné en 1990 dans différentes sections locales du PCI, au moment où base et cadres échangent sur l'avenir du parti et discutent des possibilités (changer de nom, dissoudre, intégrer d'autres partis, s'ouvrir à "la société civile", avec des staliniens qui rendent de manière plus ou moins explicite Berlinguer et son amendement euro-communiste après Prague, responsable de la chute du PC, voire de l'URSS).
C'est super-intéressant, pour le contenu politique, mais encore plus pour ce que cela révèle de la sociologie de l'Italie . Pas le même ton et les mêmes militants entre Naples, Rome ou le Trentin. Paradoxalement les villes du Sud ont des militants plus intellectuels, que l'on devine enseignants, quand Turin et Rome conservent un ancrage ouvrier.
Ce qui m'avait marqué était la réunion de la section de Turin, où on voyait bien que comme pour mai 68 en France, les communistes étaient de facto solidaires avec les Agnelli pour acheter la paix sociale et le status-quo dans l'entreprise FIAT (laquelle était bien plus que la société, leur horizon politique), et faisaient tout pour sauver ce rôle, tout en l'habillant d'un discours en apparence très vindicatif et anti-système.

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Erving Goffman


Dernière édition par Vieux-Gontrand le 08 Avr 2020, 11:10, édité 4 fois.

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MessagePosté: 07 Avr 2020, 22:22 
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La Cosa est sur archive.org, j’irai là bas le récupérer


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MessagePosté: 08 Avr 2020, 10:20 
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Lohmann a écrit:
La Cosa est sur archive.org, j’irai là bas le récupérer


Je n'ai vu aucun de ses films (pas taper). Quel film me recommandez-vous ?


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MessagePosté: 08 Avr 2020, 10:23 
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Gnagnagna a écrit:
Lohmann a écrit:
La Cosa est sur archive.org, j’irai là bas le récupérer


Je n'ai vu aucun de ses films (pas taper). Quel film me recommandez-vous ?

Journal intime forcément, mais d'un autre côté c'est l'aboutissement de toute la première partie de sa carrière, le voir après Bianca par exemple lui donne encore un peu plus de profondeur.


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MessagePosté: 08 Avr 2020, 10:55 
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@Gnagnagna : J'aime beaucoup Moretti et les 2 partis de sa filmographie sont assez différentes, ça dépend vraiment de ta sensibilité.

Sur sa deuxième partie de carrière, plus mélodramatique, il y a évidemment sa magnifique palme d'or qu'est La chambre du fils, Le caïman est en cran en dessous mais très attachant et Habemus papam est très bon. Sur sa première partie de carrière, il y a évidemment Journal intime qui en est l'aboutissement et je te conseille Palombella rossa.


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MessagePosté: 08 Avr 2020, 11:10 
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