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MessagePosté: 23 Mai 2020, 12:16 
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De 1993 à 1996, du Cap à Alexandrie (voire, puisqu'il s'agît d'un voyage personnel, jusqu'à la ferme familiale de Villefranche-sur Saône, au lieu de son enfance), Raymond Depardon entreprend une traversée Sud-Nord de l'Afrique, en passant globalement par l'est, la région du Rift. Il revient parfois sur les lieux de tournages et de reportages précédents (le Tibesti où il a tourné un documentaire puis une fiction sur l'affaire Claustre, Mogadiscio, l'Ethiopie), ou bien filme des lieux neufs pour lui, marqués par des conflits en voie d'applanissement (l'Angola, la région de Lalibela en Ethiopie et dans une certaine mesure l'Afrique du Sud) ou au contraire s'aggravant (le Rwanda, et le Sud-Soudan que l'on n'appelait pas alors Darfour - le conflit était invisible depuis le Nord car la région n'avait pas de nom médiatique). Il ne revient jamais en arrière, sauf dans le cas du génocide rwandais dont il filme l'avant (des réfugiés burundais, exposés au SIDA, croyant malheureusement trouver la sécurité au Rwanda) et l'après (un reportage en temps réel dans la prison de Kigali, devenue une ville dans la ville après le génocide). Le film est scandé par des panoramiques à 360° lors desquels la voix du cinéaste présente son angle sur la situation socio-politique des régions traversées, ou énonce les raisons plus personnelles de son retour sur certains lieux.

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Jamais le cinéma de Raymond Depardon ne m'est apparu aussi singulier et inclassable que dans ce film. Lui-même se revendique techniquement du cinéma du réel, mais le film est scandé par des commentaires en voix-off (superbement écrits, Depardon est un très bon écrivain) qui passent sans transition d'un présentation, souvent informée et précise, de la situation historique et sociale des lieux à un registre plus lyrique et personnel, parfois un peu exhibitionniste (le souvenir de son histoire d'amour avec Franssou Prenan dans les hôtels de Modagischio engloutit le conflit). La première veine, plus journalistique, me semble la plus convaincante : Depardon oppose - de manière je crois légitime - problème sociaux et problèmes politiques, en valorisant les premiers.Ce sont à la fois ceux qui sont structurels et ceux que la population peut affronter, non pas sans aide, mais de façon centrale, en ayant l'initiative et la maîtrise du sens.
Cette tension est parfois génante, il n'échappe pas toujours au cliché du baroudeur littéraire et en quête existentielle, finalement fier de ses blessures. Mais en même temps, elle empêche aussi le film de tomber dans les travers de l'Orestie africaine de Pasolini : plaquer sur l'Afrique un mythe pré-existant, qui est à la fois une morale et un destin.

Cette tension rend donc possible l'écoute des Africains rencontrés, mais au prix d'un désinvestissement paradoxal : lieux et personnes sont épuisés lorsque le cinéaste n'est plus en mesure de s'y reconnaître. La caméra n'y passe qu''une seule fois. Pour y retourner, il faudrait qu' existe un échelon intermédiaire entre le compassion humanitaire (dont Depardon formule très bien qu'elle est un écueil) et l'identification à l'autre. Depardon affirme assez directement le chercher, mais ne le trouve pas, d'où finalement une déception. Le bonus du DVD est dans le même ordre d'idée
décevant, car Depardon n'explique pas son intérêt pour l'Afrique, ou son point de vue actuel sur ce qu'il a filmé, et se rabat avec une certaine gêne sur des questions techniques.L'interviewer ne cherche pas à l'amener à re-contextualiser. Pourtant, peu avant la crise des Gilets Jaune, au moment de 12 Jours, il disait qu'il pensait refilmer l'Afrique, mais avait jugé plus urgent de filmer la France. On dirait que son intérêt individuel s'est épuisé . Ce qui est particulèrement visible lorsqu'il essaye de retrouer le clan Toubou où il avait tourné la Captive du Désert. Son amertume à ne pouvoir rétablir le rapport d'alors ainsi que la conscience des ses maladresses ramènent le film vers le commentaire social (qui passe par le son et contredit l'image, et sa propre voix lorsqu'il parle aux personnes avec lesquelles il essaye de renouer) .
D'un autre côté, malgré ces limites, le film reste légitime et particulièrement informatif. Le fait que Depardon pose le problème de son rapport à l'Afrique en terme d'identification de soi-même à l'autre (quête presque conradienne, d'odre abstrait) l'amène à valoriser ce qui relève de la classe sociale (notamment paysanne - tout se tient) plutôt que de l'ethnie dans la construction de l'identité (toujours complexe, mais logique), ce qui le conduit à avoir un angle juste sur le génocide rwandais (alors que le témoin qu'il interroge longuement dans la prison de Kigali est peut-être manipulateur) - dans les crédits du film il dit par ailleurs s'être appuyé sur un livre co-dirigé par Elikia M'Bokolo, un historien congolais qui a l'air très intéressant, sur cette partie du film.
Par ailleurs, le redoublement de l'image par le commentaire (unusuel chez Depardon je crois, qui commente souvent, mais en dehors de l'oeuvre) indique précisément une sorte d'espace moral (quand les panoramiques à 360° sont à la fois subjectifs et esthétisants - ce terme n'est alors pas forcément négatif) par lequel aborder le film, de manière volontarisme et déterminisme, mais c'est justement ce déterminisme assumé qui fait la force du film.
Le titre est assez ambigu et est source de malentendu (Depardon le présente d'ailleurs comme une formule de salutation conventiionellement utilisée au Tchad plutôt qu'un slogan), car la question du film est justement "faut-il être afropessimisme ou afroptimiste ?", et le film , malgré la dureté de ce qu'il filme, bascule (mais de justesse) dans le second camp, en insistant sur le fait que l'histoire n'est pas écrite. Ce relatif optimisme passe cependant clairement par une reprise sur un plan psychologique et subjectif d'attitudes qui ont été d'abord idéologiques et collectives, mais sont perçues comme ayant "échoué" (même si le mot "idéologie" n'est jamais prononcé, ni même celui d' "institution", alors qu'une certaine opposition entre "institution" et "idéologie" joue de façon centrale dans la scène de la prison de Kigali, ce que Depardon sait car il remarque que c'est la même instance qui devra soigner les génocidaires malades de dysenterie et les juger). C'est une approche aussi questionnable que stimulante.

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


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