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MessagePosté: 13 Oct 2023, 18:14 
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Paris, 1985. Vanessa a treize ans lorsqu'elle rencontre Gabriel Matzneff, écrivain quinquagénaire de renom. La jeune adolescente devient l'amante et la muse de cet homme célébré par le monde culturel et politique.

Je suis allé voir le film en ayant peur. Déjà être face à l'adaptation du livre le plus irréprochable, sur le sujet le plus grave, sur le personnage le plus dangereux, tout ça ne peut s'empêcher de nous mettre à distance, donner l'impression d'être devant un objet sacré qu'on serait obligé de respecter. Et puis surtout je craignais le film qui mette 1h58 à dire que 2+2 ça fait 4 et que c'est pas bien d'abuser des jeunes filles, et le début a confirmé mes soupçons: Jean-Paul Rouve y est filmé presque littéralement comme Nosferatu, profil aquilin chauve, longs doigts dans l'obscurité... On est censé quand même croire un minimum à cette attraction au début et en l'état le gars fait plus flipper qu'autre chose. Heureusement, le film se rattrape par la suite, montrant comment Matzneff courtise Vanessa. On comprend alors l'attraction qu'il peut exercer sur une personne impressionnable.

Cependant, il manque un vrai "bad guy speech" où Matzneff se ferait le porte-voix du contexte culturel qui a permis l'indulgence envers la pédophilie ou des relations limite. Il faut à un moment qu'on entende ses vrais arguments. Là on a droit vers la fin à un authentique boomer qui, de nos jours, lâche un "C'était une autre époque". Mais oui, c'était une autre époque, ou du moins une époque en train de changer, où subsistait encore, pour des raisons qui sont à trouver dans une rébellion contre la société bourgeoise qui opprime le sexe, l'impression que les désirs de la jeunesse n'étaient pas écoutés, etc, bref il y avait un climat dans les 70s de tolérance envers ça dont Matzneff aurait dû se faire le porte-voix. D'ailleurs le film montre bien le panel de réactions que pouvait susciter ce genre de relation à l'époque (certains s'en indifférent, d'autres sont gênés mais "live and let live", d'autres émettent des warnings), mais il gâche tout en lâchant un extrait bien démonstratif de Bernard Pivot qui se rend coupable à nos yeux de 2023 de prendre trop à la légère le sujet. Donnage de leçon là où on aurait pu avoir un peu plus de poil à gratter.

Mais bon, le vrai problème du film selon moi c'est sa narration. Le désordre mental que ressent l'héroïne, qui doit certainement bien passer sous la forme d'un journal de bord écrit, passe moins bien dans un film narratif: le scénario manque de "mouvements", il est elliptique et sautillant, un peu erratique. Ça retranscrit certes cette perte de repères (un jour oui, un jour non, un jour Gabriel m'horripile, le lendemain je veux coucher avec lui) mais en tant que spectateur ça nous perd.
D'ailleurs le rôle de la mère, sans doute le plus intéressant du film, semble sacrifié: au début elle met en garde sa fille que Gabriel est un pédophile, mais quelques scènes plus tard pas de souci, Gabriel dîne à la maison en toute intimité avec sa fille. Il manque un truc là. Je sais bien que les ressorts illisibles de l'âme humaine sont difficiles à sonder et retranscrire dans un film, mais bon là il manque clairement un truc.

Sinon la "fille de" (non je ne dirai pas "nepo baby") Kim Higelin est pas trop mal et fait bien passer le passage de l'enfance à l'adolescence, même si Vanessa Filho lui donne des répliques parfois sur-écrites, sans doute pour montrer son bagage culturel élevé ou bien sa volonté d'impressionner Matzneff.

Bon au final y a pas de grosse faute, ça tient correctement la route, mais c'est à la fois trop long et trop en surface par rapport à ce que ça raconte (les scènes vers la fin où Springora pète un câble et mène une vie dissolue, mouais...). L'impression d'un sujet fort avec un traitement quelque peu anodin.

Et puis est-ce qu'on disait "faire la reloue" en 1986 ?

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MessagePosté: 13 Oct 2023, 18:55 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
Cependant, il manque un vrai "bad guy speech" où Matzneff se ferait le porte-voix du contexte culturel qui a permis l'indulgence envers la pédophilie ou des relations limite. Il faut à un moment qu'on entende ses vrais arguments. Là on a droit vers la fin à un authentique boomer qui, de nos jours, lâche un "[i]C'était une autre époque". Mais oui, c'était une autre époque, ou du moins une époque en train de changer, ou subsistait encore, pour des raisons qui sont à trouver dans une rébellion contre la société bourgeoise qui opprime le sexe, l'impression que les désirs de la jeunesse n'étaient pas écoutés, etc


Parmi les différentes pistes de compréhension dont on dispose pour questionner "cette époque", celle qui prédomine largement dans le discours culturel actuel c'est celle du courant féministe contemporain de l'intersectionnalité (qu'on a collectivement décidé d'appeler "wokisme"), et dont l'atout conceptuel, qui est en fait un argument massue, est La Masculinité Toxique™. Dans ce contexte analytique, Matzneff en est le paroxysme, l'homme qui a fait sauter tous les tabous et interdits du fait de son pouvoir et de son influence, et qui s'est permis ce que les autres ne font que fantasmer.

Le seul bon côté (et certes pas des moindres) de cette analyse complètement aux fraises du phénomène, c'est qu'elle permet de mettre au coeur des préoccupations le sort social et psychologique des victimes, qui ne sont plus oubliées, plus muselées, plus anonymes, et peuvent ainsi nous faire un retex.

Mais à part ça, en effet, dès lors qu'il s'agit d'interroger et d'aider à s'interroger collectivement sur le pourquoi ? d'un Matzneff, on ne nous propose que de la dissection moribonde de moeurs rétrogrades. Du drame.

J'imagine que le film ne mentionne à aucun moment les réseaux de Matzneff, pourtant bien connus, ne nomme personne de la team de la pétition de Libé de 1977, ne dresse pas de cartographie des banalisateurs de la pédophilie qui avaient leurs entrées absolument partout à ce moment, et pour certains encore aujourd'hui etc. Ce n'est pas "l'époque" le problème, ou en tout cas pas seulement : c'est le milieu auquel appartenait Matzneff. Et je ne parle pas de "la bourgeoisie", mais des intellectuels qui faisaient du détournement de mineurs leurs choux gras.

Billy Budd lors de l'échange sur Israel/Palestine :

Billy Budd a écrit:
Non, mais la France a toujours été complaisante avec le terrorisme - tant qu’il n’était pas de droite.


C'est également valable pour la pédophilie.

Sinon pas vu le film, Rouve y a l'air bien glauque.

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MessagePosté: 14 Oct 2023, 10:58 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
Cependant, il manque un vrai "bad guy speech" où Matzneff se ferait le porte-voix du contexte culturel qui a permis l'indulgence envers la pédophilie ou des relations limite. Il faut à un moment qu'on entende ses vrais arguments. Là on a droit vers la fin à un authentique boomer qui, de nos jours, lâche un "C'était une autre époque". Mais oui, c'était une autre époque, ou du moins une époque en train de changer, où subsistait encore, pour des raisons qui sont à trouver dans une rébellion contre la société bourgeoise qui opprime le sexe, l'impression que les désirs de la jeunesse n'étaient pas écoutés, etc, bref il y avait un climat dans les 70s de tolérance envers ça dont Matzneff aurait dû se faire le porte-voix. D'ailleurs le film montre bien le panel de réactions que pouvait susciter ce genre de relation à l'époque (certains s'en indifférent, d'autres sont gênés mais "live and let live", d'autres émettent des warnings), mais il gâche tout en lâchant un extrait bien démonstratif de Bernard Pivot qui se rend coupable à nos yeux de 2023 de prendre trop à la légère le sujet. Donnage de leçon là où on aurait pu avoir un peu plus de poil à gratter.


hyper intéressant et je suis totalement d'accord. je n'irai pas parce que la vie est trop courte pour passer 2 heures à voir jean paul rouve jouer un vieux pédophile repugnant mettre ses sales mains dégueulasses sur une petite jeune fille, mais cet angle là est celui que j'aurais trouvé intéressant et une raison pertinente pour faire un film comme ça.


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MessagePosté: 14 Oct 2023, 16:08 
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Qui-Gon Jinn a écrit:

Cependant, il manque un vrai "bad guy speech" où Matzneff se ferait le porte-voix du contexte culturel qui a permis l'indulgence envers la pédophilie ou des relations limite. Il faut à un moment qu'on entende ses vrais arguments. Là on a droit vers la fin à un authentique boomer qui, de nos jours, lâche un "C'était une autre époque". Mais oui, c'était une autre époque, ou du moins une époque en train de changer, où subsistait encore, pour des raisons qui sont à trouver dans une rébellion contre la société bourgeoise qui opprime le sexe, l'impression que les désirs de la jeunesse n'étaient pas écoutés, etc, bref il y avait un climat dans les 70s de tolérance envers ça dont Matzneff aurait dû se faire le porte-voix. D'ailleurs le film montre bien le panel de réactions que pouvait susciter ce genre de relation à l'époque (certains s'en indifférent, d'autres sont gênés mais "live and let live", d'autres émettent des warnings), mais il gâche tout en lâchant un extrait bien démonstratif de Bernard Pivot qui se rend coupable à nos yeux de 2023 de prendre trop à la légère le sujet. Donnage de leçon là où on aurait pu avoir un peu plus de poil à gratter.


Je n'ai pas lu le livre, je n'ai pas vu le film, et je ne compte pas le faire, mais je me souviens de la séquence chez Pivot, que j'avais vue en direct.

J'avais beau me faire sucer par des sexagénaires tous les week-ends, alors que je n'en avais que seize ans, j'étais du côté de Denise Bombardier.

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MessagePosté: 14 Oct 2023, 18:39 
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MessagePosté: 15 Oct 2023, 09:29 
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Je repensais au film et, c'est évidemment inconcevable, mais j'imaginais ce que Kechiche aurait fait du même sujet.

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