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MessagePosté: 26 Oct 2016, 23:08 
A Florence, dans les années 1970, la caméra accompagne Franco Fortini, un écrivain communiste, qui a écrit sur la Guerre des 6 jours "les Chiens du Sinaï", entre poésie, analyse politique et anamnèe existentielle. Anamnèse car son père était un avocat juif laïc, pour lequel i'identité franc-maçonne comptait plus que l'identité juive, mais qui a été persécuté, ne s'associant pas au fascisme, mais ne s'y opposant pas frontalement non plus, pendant que Fortini adolescent lui-même pensait se convertir au protestantisme, opposant une logique de conversion tardive à la recherche d'initiation permanente du père. Son idée-force est qu'une d'une part, la solidarité avec Israël exprimée par l'opinion "bourgeoise" européenne est ici une manière de transférer l'antisémitisme du fascisme en le transférant sur les Arabes, et que la guerre elle-même est là-bas une manière d'ancrer Israël dans le camp capitaliste, en liquidant ce qui dans le sionisme pouvait être lié à la tradition de la gauche et à une médiation entre l'Europe et le Tiers-Monde. La caméra filme des articles de l'Unita, des vues de Florence, et (dans les seuls panoramiques) d'un village près de Carrare où les nazis ont massacrés pendant leur retraite.

Image

Où l'on découvre que les Straub étaient sartriens. Fortini se revendique de Sartre expilicitement et présente tout à la fois le racisme et l'impérialisme européens de 1967, le judaïsme brisé et maçonnique de son père, involontairement minoritaire dans la minorité, en 1923 et sa propre fuite dans un protestantisme romantique à tendances barroco-kierkegaardiennes (volontairement trop tard pour être exempté par les lois raciales) en 1939 en terme de mauvaise foi : ce sont tous les trois des attitudes, des renvois perpétuels entre plusieures de procédure de réifications concurrentes, immatérielles, équivalentes car nominales, c'est à la fois ce qui rend le film à la fois intègre et pas totalement convaincant. Fortini concède à Sartre l'idée que "l'antisémitisme construit le Juif plus que le Juif lui-même" et pointe bien le fait que le mot "holocauste" donne une connotation téléologique voire "religieuse" à une manière de condamner la Shoah, mais finalement la place paradoxalement à l'extérieur de la réification et de l'inauthenticité, elle est l'enjeu de la mauvaise foi, et ce dans quoi cette mauvaise foi cherche à se projeter, mais devient ainsi une pure négativité finalement plus objective que ceux qu'elle séduit, le problème c'est la manière dont le sujet s'y rapporte, mais elle-même un produit d'un sujet, un discours devenu ordre. Attention, piège à cons potentiel, l'anti-humanisme ne semble pas encore prévu par ce discours, qui lui était pourtant contemporain.
Badiou a émis quelque part une réserve sur les Straub (son interview aux Cahiers en 1998?), disant qu'ils filmaient la lutte des classes non comme un espoir, mais comme la mémoire d'une situation quasi-antique et originaire, qui devance toujours le présent, une ontologie primitive et oubliée. Il est assez cynique de ma part de jouer une gauche contre une autre, très tardivement, mais il mentionne là peut-être une limite réelle. Franco Fortini critique de manière froide et implacable la bourgeoisie de Florence, mais la caméra filme le trafic automobile multicolore de la très chic rive opposée de l'Arno, les Mercedes bleues et les DS oranges, comme un spectacle, fascinant et reposant, finalement innocent, le produit de l'aliénation capitaliste, en droit distinct du fétichisme que l'on y projette, mais pas cette aliénation elle-même, qui est une sorte de code herméneutique, de déchiffrement du réel, invisible et retourné. La caméra tournoie lentement dans le matin tranquille et impersonnel d'un village de montagne dont les seules traces du massacre perpétué par les nazis sont des plaques commémoratives maladroites mais émouvantes, la lutte est cachée dans le plan, qui la cherche dans les coins ou dans les fonds, elle ne peut-être qu'un secret là où le monde aliéné relève lui-même d'une forme de matérialisme, et l'idéologie, qu'elle soit réactionnaire ou de lutte, suppose la fiction d'un oubli puis d'une redécouverte de ce matérialisme. L'homme, communiste, est défini par défaut, il est au-dessus des pièges de l'aliénation dans la marchandise domination sociale, mais il reste dans la nature, il est celui qui ne peut être annihilé que par la nature, plutôt par ses pairs, qu'il ne connaît pas, qu'il doit reconnaître (comme dans Sicilia, on filme d'abord un réquistoire suivi d'une jugement, puis ensuite une reconnaissance hors-champs de qui n'a pas été condamné).
Il y a quand-même un élan qui essaye d'ébranler cet espoir immobilisé dans la matière, pris dans la lumière impersonnelle et transparente d'une Italie idéale, d'une montagne exploitée depuis 2000 ans, des murs baroques de Florence. Cette rupture, cette force réelle, singuliète et irreprésentable c'est comme dans Sicilia le père ou la mère, qui semble concentrer toute la subjectivité survivante dans le monde dans sa colère contre le fils, dresse les faits contre la légitimité du témoignage, énonce lui-même le complexe d'Oedipe du fils a la place du fils, dénonce chez celui-ci un passage immédiat de l'inexistence des limbes à la complaisance envers des vérités connues mais inavouées, qui le constituent comme un autre plutôt que comme un fils, dans Sicila la mère dicte au file non une justification mais une origine une fidélité qui le vide, pendant qu'elle s'absente en riant dans sa propre force (il est plus terrible d'avouer un amant comme la mère de Sicilia que d'en oublier dix comme le père), transforme la lutte politique à venir en reproduction des formes malpolies, amères et sarcastiques de la déception filiale: l'ontologie pour les Straub est le discours du monde non encore rabaissé ni jugé, et les parents n'en ont plus besoin, ils sont les seuls vainqueurs possibles de la lutte des classes, esclaves, ils fixent eux-mêmes le prix de leur rachat, libres, ils n'ont plus d'autres témoins qu'eux-mêmes.


Dernière édition par Gontrand le 28 Oct 2016, 18:31, édité 5 fois.

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MessagePosté: 26 Oct 2016, 23:51 
Pourquoi dans les DVD Montparnasse des Straub "italiens" de cette époque, entre le tiers et la moitié des sous-titres (faits par Danièle Huillet) , si pas plus, sont sucrés? Stratégie de résistance morale (la langue de l'autre n'est pas une chose vendable), manque de budget, distance critique sur le contenu (après tout il s'agît souvent du texte d'un autre)? Réponse esthétique au rythme de la répétition du même et des lacunes et translations infinitésimales des plans-séquences? Auto-statufication oblique (comme le Capital, ils n'auront été traduits que partiellement). Tout cela à la fois?


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MessagePosté: 27 Oct 2016, 10:42 
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Gontrand a écrit:
Tout cela à la fois?


Je pense.

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MessagePosté: 27 Déc 2019, 21:40 
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Un rapide message pour signaler que les Hommes et les Autres d'Elio Vittorini, auteur du livre au départ de Sicilia est magnifique et inclassable. Roman sur la lutte contre le fascisme (metaphorisé dans un amour impossible et fantomatique) du point de vue communiste, qui rapelle Pavese,mais avec quelque-chose d'indefinissable, un élément qui touche au fantastique et à la S.F. On peut penser à un équivalent littéraire des films de Raul Ruiz. Cette ouverture sur imaginaire est une manière de préserver l'énergie et la conviction morale de la lutte tout en la mettant à l'abri d'ube amertume suicidaire devant les échecs. C'est à la fois une tactique, codée et hermétique,et une utopie à l'intérieur de laquelle une existence est possible, dès lors qu'y acceder serait possible. Le problème du livre n'est pas le contenu de l'utopie (c'est le fait de se la représenter simultanément comme un désir et une image nette et reconnaissable qui permet d'échapper au darwinisme social) mais d'élucider la part du réel qui peut lui être sacrifiée, ainsi que celle qu'elle peut métamorphoser.
Maria Casarès l'a lu à la radio. Il y a en effet quelque-chose qui rappelle le climat des Dames du Bois de Boulogne mais dans un contexte plus ouvrier.

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Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


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MessagePosté: 27 Déc 2019, 22:41 
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MessagePosté: 27 Déc 2019, 22:53 
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MessagePosté: 28 Déc 2019, 11:49 
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Merci Gontrand c'est commandé (et je le lirai dans 30 ans).

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