Wutai jiemei (舞臺姐妹) en VO.
Two Stage Sisters ou Stage Sisters à l'international.
Une jeune paysanne fuit un mariage forcé en s'enfuyant avec une troupe de théâtre.
Le niveau monte encore avec ce film qui faisait pourtant peur, période de production oblige. La première heure est superbe. Le mélodrame que Xie Jin met en place est épuré autour de péripéties élémentaires, presque schématiques, les plus simples possibles, chapitrées d'élégantes ellipses. Ce récit "rond" laisse justement le champ libre à une sophistication du geste assez impressionnante : une incarnation élégante et digne, dans une explosion de couleurs qui ne menace jamais de maniériser à vide, tant Xie Jin conserve une science de la narration par l'image digne du muet (par le choix éclairé de détails parlants, par la force des situations et des configurations... la bouche en sang en est l'exemple le plus fort).
Je sur-évalue peut-être cette première moitié du film, mais il faut voir combien la seconde, par contraste, sait la mettre en valeur... Le carnaval Maoiste arrive en effet bientôt pour saccager la deuxième heure, par l'intermédiaire d'un personnage de femme journaliste (pourtant bien casté/campé) dont le sourire doucereux continuellement gravé au visage laisse traîner cette impression, comme dans Le détachement féminin rouge, que l'actrice joue avec un flingue collé sur la tempe. Difficile alors de suivre le film dans sa pente propagandiste, qui est surtout un appauvrissement de l'art, du niveau le plus superficiel (des costumes aux décors, tout devient moche) au plus profond (le récit se trouvant mené par des impératifs artificiellement liés des personnages). Xie Jin fait visiblement tout son possible pour ne pas abandonner son film, et il a sous la main une belle parabole à travers ces deux sœurs aimantes mais clivées : à travers elle, avant de glorifier le parti, c'est le portrait plus distant et digeste (car préoccupé, attristé) d'un pays fratricide qui se dessine. Les rares scènes abordant la chose sous cet angle, c'est à dire via les personnages (le procès, notamment) parviennent à redonner du fouet au récit. Mais pour le reste, le film s'en retrouve immanquablement tâché.
J'ai été tellement content, en me baladant sur wiki, de voir que le réal avait conscience de ce problème : "Xie Jin maintained later in his life that he was forced to make concessions in the second half of Two Stage Sisters. In an interview in 1989, he confessed "the second part seems weak to me. I couldn't finish it the way I would have liked. If I could redo the second part now, it would improve the entire film". Parce qu'on avait franchement là un film important du cinéma chinois, et un mélo important tout court... Gros sentiment de gâchis.
À voir, quand même, si vous le pouvez, car ça déborde de qualités. Du coup j'ai des doutes sur Le détachement féminin rouge, vu y a dix ans, et que je ne me rappelais pas du tout aussi bon (ni aussi apte à contourner le devoir de propagande).