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MessagePosté: 29 Nov 2020, 14:32 
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C’est à la suite d’un échange dans le topic consacré à la littérature de science-fiction que je m’étais décidé à lire le livre de Bradbury. Et ce fut une belle découverte, sur le tard.

Je frissonnais un peu à l’idée d’en voir l’adaptation de Truffaut car j’avais le souvenir d’une interview du réalisateur où celui-ci, passant en revue ses films, ne montrait pas beaucoup d’enthousiasme à l’égard de celui-ci, peut-être avait-il toujours en mémoire le climat conflictuel qui régnait sur le tournage avec son acteur principal Oscar Werner, pourtant assez irréprochable à l’écran.

Pour rappel, Bradbury imagine dans son livre un monde où les livres sont devenus persona non grata et où des équipes de pompiers (les bien nommés « fire-men » en anglais) sont chargés de les traquer et de les bruler, transgressant ainsi leur mission originelle. Mais un élément va venir perturber la machine bien huilée de la répression. Cet élément, c’est Montag, le pompier par qui le scandale arrive, une figure de résistance dans à un monde où la liberté de lire et donc de penser est réprimée. Figure familière dans un récit dystopique.

Pourtant, c’est moins l’image du héros rebelle qui intéresse Truffaut dans ce personnage, que celle du déviant, au sens de celui qui est atteint d’un trouble psychologique ou comportemental. Montag ne dépareille pas à cet égard au milieu des obsessionnels, des monomaniaques, parfois jusqu’à la mort, qui peuplent l’univers de Truffaut : Richard Denner et ses conquêtes féminines dans L’homme qui aimait les femmes, Jeanne Moreau et son désir de vengeance dans La mariée était en noir, Isabelle Adjani et sa passion amoureuse dans L’histoire d’Adèle H, etc…

Ici, l’objet de l’obsession du personnage, ce sont les livres, des livres qu’il commence par lire, qu’il apprend à aimer, et qu’il se met ensuite à protéger comme son bien le plus précieux, au risque de sa propre destruction et celle de son univers.

Evidemment, Montag c’est Truffaut. A travers ce personnage, le réalisateur exprime son amour éperdu des livres. Drôle de déclaration d’amour pourtant, limite masochiste, puisque le film passe une grande partie de son temps à maltraiter ces mêmes livres, en les livrant au bucher. Ces images d’ouvrages qui brulent sont d’ailleurs très belles. Manifestement, Truffaut prend un malin plaisir (esthétique) à les filmer, à la manière d’un Néron contemplant Rome en train de bruler après l’avoir fait incendier, comme le racontent certains historiens.

En matière de SF, genre que Truffaut n’appréciait guère, le film n’a pas trop mal vieilli, fort des choix faits par celui-ci en terme d’adaptation d'abord : il a renoncé par exemple à représenter à l’écran le limier robot présent dans le roman, et c’est une bonne chose quand on voit le piètre résultat à l’image des policiers volants (heureusement présents que dans une seule scène). En terme de direction artistique ensuite puisque celle-ci n’a pas joué la carte du tout futuriste : ainsi par exemple, les intérieurs de maison sont un savant mélange d’ancien et de moderne, le téléphone vintage côtoyant la future télé panoramique qui orne désormais tous les murs de nos salons.

Bien sûr, on ne peut s’empêcher de penser que cette SF est un peu vieillotte dans la mesure où elle passe totalement à côté de la révolution numérique de ces dernières décennies, et en particulier du fait qu’aujourd’hui, la littérature se lit aussi bien sur écran que dans des livres papier.

Mais finalement, c’est un mal pour un bien. Pour un spectateur, un livre qui brule, ça reste quand même plus spectaculaire, plus émouvant, en résumé plus cinégénique qu’un écran qui s’éteint. Par ailleurs, pas sûr que dans le monde de maintenant, Bradbury aurait eu cette belle idée des hommes-livres. C’est bien parce que la mémoire numérique n’existait pas encore à son époque que le romancier a imaginé cette solution pour conserver les livres, à la fois simple et évidente : le recours à la mémoire humaine.

Cette communauté d’hommes et de femmes dont les noms se confondent avec ceux des ouvrages appris par cœur et qui luttent ainsi contre l’oubli, et donc contre le temps, en devenant des livres vivants, donne à la fin de l’ouvrage de Bradbury comme à celle du film une tonalité proustienne.

Vous y ajoutez la belle photo hivernale de Nicolas Roeg, la sublime musique de Bernard Hermann et vous obtenez la plus belle fin des films de Truffaut.

Pour moi, peut-être le plus beau thème romantique du compositeur (avec celui composé pour The ghost and Mrs Muir) :



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MessagePosté: 13 Oct 2021, 21:42 
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Robot in Disguise
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J'avais lu le livre ado mais je m'en rappelle plus. J'ai vu le remake de 2018 lorsqu'il est sorti et je me demande si je ne le préfère pas à celui-ci.

Sur un sujet en or, Truffaut accouche d'un film assez largement didactique. Le script s'embourbe dans des scènes de discussion plates pour faire comprendre les tenants et les aboutissants de cet univers, mais néglige l'humain, restant à distance des personnages, ne saisissant jamais réellement le trouble de l'éveil à la littérature, à l'autre, ou même l'urgence du pompier pyromane traqué par ses anciens collègues.

Tout n'est cependant pas à jeter. J'ai apprécié la tenue de l'ensemble, une certaine humilité dans les choix artistiques (ça vaut mieux en effet car quand ça devient plus fantasy ça passe pas: les flics volants mon dieu...), le parti-pris original d'avoir Julie Christie jouer deux rôles, un côté visionnaire dans cette description d'un monde de gens abrutis devant leur écran plat, et un final poétique et léger qui compense ce qui a précédé. Autre bon point: l'absence totale de figure d'autorité au-delà du chef des pompiers ; pas de gouvernement, de flics, les gens sont leurs propres kapos entre eux, c'est très réussi. Et sinon excellent gag où Truffaut brûle un exemplaire des Cahiers du Cinéma.

Mais pour le reste je trouve ça assez anesthésiant, dommage.

_________________
Liam Engle: réalisateur et scénariste
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MessagePosté: 13 Oct 2021, 23:07 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
J'ai vu le remake de 2018 lorsqu'il est sorti et je me demande si je ne le préfère pas à celui-ci..
Je ne vais pas faire l'ayatollah des classiques du cinéma mais, même si tu n'adhères pas à ce Truffaut, le comparer à un direct to vodéo moisi... c'est comme se demander si Turkish Star wars n'a pas plus d'ambition artistique que la trilogie de Lucas. C'est un peu choquant :mrgreen:
Sinon relis le roman, il est toujours aussi génial et j'adore sa poésie.


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MessagePosté: 14 Oct 2021, 07:09 
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Ce qui m'avait frappé et paru visionnaire est la scène de la série télé où l'interactivité et l'absence de fin (dans les deux sens du terme) voire la fin ouverte en tant que telle constituent
l' abrutissement.
Truffaut sent que toute écriture a un aspect déceptif, et le manque ressenti est alors opposé à l'aliénation (l'idée revient souvent chez Truffaut, de manière centrale dans l'Enfant Sauvage où la frustration est la preuve impossible d'une "guérison", dans la Nuit americaine, mais même dans le dialogue entre Delphine Seyrig et Léaud dans Baisers Volés) la fadeur du film est consciente et recherchée.

Sinon c'est Charles Denner, même si bien des films dans lesquels il a joué pourraient s'appeler l'Arme fatale.

D'ailleurs QGJ remarque bien que le chef n'apparaît pas dans le film (enfin si, mais il est faible, vieillissant et a intériorisé la hiérarchie), mais la série télé en a bien un, implacablement froid et identifié au destin, qui pose les questions...

_________________
Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


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MessagePosté: 14 Oct 2021, 08:23 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
J'avais lu le livre ado mais je m'en rappelle plus. J'ai vu le remake de 2018 lorsqu'il est sorti et je me demande si je ne le préfère pas à celui-ci.


Tiens c’est drôle, j’ai découvert/vu ce film de HBO il y a quelques semaines et ai trouvé ça assez affligeant.

Le pire peut-être étant cette évocation par flashbacks du père du héros Montag, rebelle caché avant l’heure, dont les souvenirs de la chute hantent le fils, histoire de nous faire bien comprendre pourquoi le héros bascule du côté de la résistance, comme si la lecture ne pouvait à elle seule réaliser cette conversion.

Je passe sur la laideur des images qui en comparaison feraient passer Truffaut pour un esthète.

J'aurais mieux fait de relire le livre.


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