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 Sujet du message: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 21 Nov 2022, 12:09 
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Todd Field est réalisateur rare, qui revient de loin en loin comme un serpent de mer avec des films plutôt longs, plutôt intéressants, avec une tendance marquée pour le mélodrame et une forme d’intellectualisme bon teint, une sorte de Kenneth Lonnergan avant la lettre même si Field a deux ans de moins.
Le film, qui dure deux heures trente huit, a bien fonctionné en salles, avec une moyenne de 40 000 dollars par salle. Triangle of Sadness, qui a bien fonctionné également aux USA, faisait la moitié. C’est intéressant parce qu’on constate qu’il y a un public pour ce genre de film, dont nombre de références vont passer au-dessus de la tête des spectateurs, ce qui ne les empêchera pas d’apprécier ce qui est présenté, ou se présente surtout comme un commentaire sur l’ère MeToo. Plutôt que du côté Harvey Weinstein, Field semble plutôt regarder en direction de James Levine, chef d’orchestre du MET, qui s’est fait virer il y a cinq ans à la suite d’accusations d'abus sexuels. On pense aussi à des femmes qui ont pu faire l'objet d'attaques semblables, dans des milieux "select" comme Avital Ronnel, philosophe alors qu'elle était prof à la New York University.
Le film dure deux heures trente huit donc avec, pour commencer, un générique de début interminable et ostensiblement aussière. Suit une longue interview prétentieuse avec un véritable journaliste du New Yorker (Adam Gopnick, j'encourage les plus curieux d'entre vous à lire l'article, ou la descente en flammes en règle que James Wolcott avait consacré à l'un de ses livres), et qui correspond, comme le dit bien une critique, à l’idée de ce que se fait un lecteur du New Yorker d’une discussion intellectuelle : des platitudes suggestives « lire dans les feuilles de thé de Malher », du name-dropping qui passera au-dessus de la tête de la plupart des spectateurs (même si tout le monde connaît Leonard Bernstein) et une propension à aborder le « grand art » par travers le petit bout de la lorgnette (avec une énième référence au couple Alma-Gustav Mahler). Le mot « rarefied » revient dans presque toutes les critiques du film. Le côté altier, froid, un peu prétentieux de Cate Blanchett, trouve dans ce personnage de chef d'orchestre star, qui à force d’opiniâtreté et de manigances probables, s’est constitué une place confortable au sommet d’une tour d’ivoire, de quoi s'exprimer à merveille. C'est un personnage qui tend un piège aux critiques à son insu, raisonnablement charismatique, rappelant un peu son incarnation de Bob Dylan dans I'm Not There mais dont l'interprétation ne mérite pas finalement à mon avis tant d'éloges de la presse.
Reformulons : en louant sa prestation, une partie de la presse semble louer en même temps le personnage joué par Blanchett et ses aspects les plus superficiels, une espèce de charisme évanescent et indéfinissable, un vernis culturel, une sorte de hauteur. C'est un rôle qui aurait sied, évidemment, à Tilda Swinton. Blanchett, en vieillissant, se met à ressembler à Jennifer Williams.
Le film voit la tour d'ivoire de Tár vaciller quelque peu, avec une atmosphère qui frise par à-coups et très légèrement avec le film d'horreur et une froideur germanique, atténuée par la touche américaine de l'ensemble.
On se pose la question de la vraisemblance même si l'on sait que directeurs d'opéras, chefs d'orchestre peuvent être largement rétribués : Tár voyage en jet privé, ce qui me semble à la limite de l'implausible, - compter au moins 60 000 dollars pour un Berlin-New York apparemment. Ça n'a pas d'importance, le chef d'orchestre, qui continue de jouir d'un prestige social important dans certains cas, est LA métaphore du cadre culturel, un peu à la manière de la cantatrice de L'Annette de Carax, IRL comme dans le film. Il n'est pas tout à fait un artiste, mais un interprète, dont la fonction consiste à faire vivre des notes écrites sur une partition, de la même manière que les instrumentistes qu'il dirige : le maestro est un petit dictateur dont le film semble suggérer timidement fréquemment l'imposture. Au bout des deux heures trente-huit, qui se suivent sans ennui, on en arrive à se demander si le film ne termine pas là où il aurait dû commencer, si l'histoire à raconter n'aurait pas été celle à peine esquissée.


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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 21 Nov 2022, 12:57 
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Un interprète ne serait pas un artiste?

Un chef d'orchestre est tout ce qu'il y a de plus artiste, son rôle est fondamental.

En tout cas le film m'intéresse.


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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 21 Nov 2022, 13:01 
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(évidemment pas lu l'avis de bntpmpbntpm que j'ai bloqué)

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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 21 Nov 2022, 13:38 
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Baptiste a écrit:
Un interprète ne serait pas un artiste?

Un chef d'orchestre est tout ce qu'il y a de plus artiste, son rôle est fondamental.

En tout cas le film m'intéresse.


Je suis expéditif exprès. La question est un peu abordée dans l'entretien qui ouvre le film et qui a lieu lors du New Yorker festival où le personnage joué par Blanchett évoque la spécificité de son rôle et le fait que le chef d'orchestre, dans sa forme actuelle, soit un ajout tardif dans la musique orchestrale. Je suis un peu platonicien en la matière : un interprète reste avant tout un exécutant, le chef d'orchestre peut prendre des décisions cruciales mais pour la musique classique notée, il lui faut quand même d'abord respecter une partition et les indications du compositeur.

Sinon, critique intéressante et négative de Richard Brody dans le New Yorker, sous la bénédiction duquel le film reste un peu placé. et négative, qui en contrebalance une autre du magazine d'un certain Anthony Lane intitulée "Cate Blanchett Is Imperious and Incandescent in “Tár” et qui comme son titre l'indique se concentre plus sur Blanchett.


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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 25 Jan 2023, 12:32 
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Tár est aussi fascinant qu'il est difficile d'accès. Ou peut-être est-il fascinant parce qu'il est difficile d'accès. Non qu'il s'agisse d'un film mal-aimable, comme peut l'être par exemple un Blonde, mais parce qu'il ne prend jamais le spectateur par la main et avance masqué, s'apparentant dans un premier temps à une chronique vraisemblablement dénuée de la moindre intrigue, pour ne pas dire aimless, avant de révéler semblablement sur le tard ce qui va en devenir le "sujet".

En réalité, cette étude de personnage traite dès les premières minutes de sa véritable matière - le pouvoir - personnifiée par le protagoniste qui donne son titre au film, avec son métier hautement symbolique, tant pour son rôle de dirigeant, de "maître du temps" comme elle aime le définir, que pour les privilèges qu'un tel statut permet et que le film entreprend progressivement de démontrer (et démonter) non pas tardivement mais tout le long des 2h37.

Outre l'introduction pour le moins frontale qui permet de présenter le personnage par le biais d'un CV et d'un entretien, plein de name-dropping à la Gontrand, la séquence la plus éloquente reste sans nul doute celle du cours à Juilliard, filmée en un plan unique mais sans esbroufe qui cristallise à lui seul la thèse du film au sein de sa mise en scène. La caméra suit Tár, c'est elle qui la dirige, qui la commande par sa présence, ses mouvements, ses déplacements à travers l'amphithéâtre. Il n'est plus tant question d'enseignement que d'instruction et quand bien même le fond de la pensée du personnage est juste, retoquant l'argumentaire de social justice warrior faiblard d'un élève issu de la diversité, il est tout autant question d'ego et de contrôle et d'écraser l'interlocuteur.

Toutefois, Field a l'intelligence, en abordant ce genre de questions délicates, de ne jamais porter de jugement évident sur quiconque. Le film peut se targuer d'être plus ambigu qu'on ne l'attendrait sur des notions aussi explosives et actuelles que le genre ou la cancel culture. En choisissant de faire de son protagoniste une femme homosexuelle, le cinéaste ne cherche pas à inverser les rôles, comme une démonstration qui pourrait tendre à la malhonnêteté, ni à évacuer la question du genre ou de l'orientation sexuelle pour ne traiter que du pouvoir et du privilège. Il montre plutôt comment une femme devenue l'égale des hommes (chef d'orchestre, position de puissant) l'est également devenue dans ses pires travers.

Pour autant, Tár n'est jamais une "sale meuf", dans le sens "sale mec", comme on pourrait aisément caractériser un personnage aux desseins négatifs, mais ses actes n'en demeurent pas moins sans équivoque, les motivations derrière chacune de ses décisions sont évidentes. L'intérêt et l'égoïsme qui les régissent sont simplement dépeints comme un fonctionnement ancré, "banal", auquel on comprend qu'elle s'est adonné maintes fois sans répercussions, sans remise en question, car il est depuis longtemps la prérogative des gens de pouvoir. Mais les temps ont changé et le choc générationnel n'est pas toujours une situation dans laquelle Tár peut avoir le dessus (Olga n'est pas comme l'élève qu'elle casse en deux).

En réalité, la clé est dans le tout premier plan qui qualifie textuellement Tár "d'humaine après tout" et le récit va petit à petit déconstruire cette figure inaccessible et froide en apparence pour révéler une image soigneusement construite, conformément à ce qui est attendu alors qu'elle se voudrait originale et pas un "robot" (ayant tu son identité, comme exhorté lors de son cours), et savamment bâtie sur des transactions humaines. Néanmoins, même quand le film s'affaire à montrer les tourments qui hantent le personnage, prenant furtivement des atours de thriller ou même de film de fantômes, la vieillesse et la mort planant sans cesse autour du protagoniste, il n'excuse pas plus qu'il ne juge.

Field gagne vraiment en talent à chaque film. J'ai rattrapé In the Bedroom (2001) il y a quelques jours et, sans avoir été totalement, convaincu, je retiens quand même ce ton assez surprenant, traitant le deuil en troquant le pathos pour une colère sourde. Quant à Little Children (2006), c'était plus maîtrisé encore dans la tension et déjà ambitieux dans sa densité thématique mais ça tombait dans une écriture démonstrative et lourdingue sur le dernier tiers que Tár, son premier scénario original et écrit seul, sait parfaitement éviter. Le savoir-faire est devenu ici expert, il n'y a qu'à voir l'utilisation de ces décors anguleux, aussi froids et rigides que le personnage, l'alternance entre la retenue de certains cadres et le caractère plus ostentatoire d'autres mouvements ou angles. On ressent les 16 ans de maturation.

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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 25 Jan 2023, 13:05 
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Je dois toujours finir le long texte de Zadie Smith sur le film et ce qu'il dit du conflit générationnel GenX/Millenials,GenZ

https://www.nybooks.com/articles/2023/0 ... die-smith/


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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 26 Jan 2023, 20:37 
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J'attendais beaucoup d'un film qui parle de musique classique et notamment de la Ve de Mahler, l'une de mes pièces préférées. J'espère d'ailleurs qu'il donne envie à ceux d'entre vous qui ne connaissent pas de découvrir, c'est vraiment sublime, une musique très cinématographique, dont John Williams s'est évidemment grandement... inspiré :mrgreen:

C'est un film sur le pouvoir dans un milieu qui prétend émanciper l'humanité de la matérialité et des mots. Je rejoins Film Freak sur l'aspect très nuancé et jamais facile ou complaisant du film. Néanmoins je suis quand même resté sur ma faim parce que Todd Field verrouille toute possibilité d'échapper au rail sur lequel il nous a lancés. Un véritable cadenas formel.

Si bien que la froideur de l'ensemble est bien plus notable que sa puissance, d'autant que la fin est une forme de pirouette humoristique sur la supposée déchéance de la cheffe.


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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 27 Jan 2023, 22:40 
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SPOILERS

Je ne savais rien du film avant de le voir et je croyais naïvement que c'était inspiré d'une vraie cheffe d'orchestre. Sans doute le titre/nom de l'héroïne, tellement génialement "On aurait pas pu l'inventer". Quand j'ai vu à quel point le portrait était cru et glaçant j'ai commencé à avoir des doutes, et le glissement cancel culture de la deuxième partie m'a fait dire que je m'étais sans doute gouré.

Quoi qu'il en soit j'ai trouvé ça brillant. Le film a le parfait dosage de puissance et de finesse.
Puissance dans sa mise en image assurée et imposante, ces choix forts mais jamais trop voyants (le plan séquence Tár vs. le BIPOC, génial mais imperceptible, et surtout diablement intelligent lorsqu'on revoit la version manipulée des évènements par la suite).
Et finesse dans ce portrait subtil sans être fade, au contraire plein de contrastes et de contradictions. Quel génial personnage, tellement épais, tellement brillamment incarné par Blanchett, au bout de 2h20 t'es encore en train de peler l'oignon (la brève scène chez le frère ? beauf ? cousin ? aux US).

Et quelle identité forte dans le film lui-même, avec son univers "Allemagne mère blafarde" qu'on voit tellement peu, et son casting assumé de blancs vieux. Quel autre film américain propose ça ? Tellement de bien de voir un vrai regard adulte, dans son propre délire, affranchi de toute obligation.

Le mec réussit d'ailleurs à faire un film sur "un sujet d'actualité" sans jamais nous gaver avec du sociétal ou du name-dropping qui vieillira mal. Tout reste axé vers l'humain, l'universel et, comme le souligne Film Freak, les jeux de pouvoir. Le perso est peu aimable mais constamment fascinant, ni tout à fait coupable, ni tout à fait innocent. A des lieues de Justin Long dans BARBARIAN (genre y a match).

Sinon le film évite aussi le remplissage à base de scènes de concert enfiévrées qu'on imaginait au vu de l'affiche. Et que dire de cette génialement ironique fin, et ce dernier plan jouissivement abscons.

Je précise au passage que j'ai été moins convaincu par le pétage de câble final (rien compris au moment où elle débarque pour tacler Mark Strong en plein concert). Mais bon. Et sinon drôle de voir les méchants d'INDIANA JONES 3 et 4 boire un verre ensemble.

Bref, je suis tellement content que ce soit un film et pas une série. Et je suis tellement content qu'il soit sorti en salles.

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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 29 Jan 2023, 18:03 
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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 29 Jan 2023, 19:33 
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T’es en train de nous dire que cette personne a un trou de balle.


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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 29 Jan 2023, 20:56 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
Peut-on jamais gagner ?

La sémantique que tu emploies en dit long sur ta vision du débat.

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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 30 Jan 2023, 00:43 
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Putain après 5 ans de MeToo et son reflux les Americains inventent Laurent Cantet joué par Richard Burton ou Haneke avec des bouts de Liz Taylor
si la violoncelliste russe a probablement combiné un coup de pute vidéo avec Noémie Merlant c'est quelque peu pompé sur Caché
, quel progrès.

Plus sérieusement le début intrigue, avec ses touches fantastiques (le cri dans le parc, la présence d'un intrus nocturne possible dans l'appartement, qui convoite sa fille, le fait un peu mystérieux qu'elle.semble plus attachée à son vieil appartement avec sa voisine, très germanique façon Berlin 1946, mourante, qu'a son cocon brutaliste). Mais ce charme est rompu quand on comprend que cet intrus c'est nous le spectateur. Alors le film se replie sur quelque-chose de trop explicatif
déjà le nom-programme balourd du personnage : légitimité de la mongueur comme Beela Tarr mais aussi goudron en attente de plumes
(un peu comme the Square d'Ostlund, même vision du métier d'artiste finalement, auquel on reproche encore plus son aveuglement et son incompréhension envers les logiques de classes sociales que sa domination et son bourgeoisisme finalement, il doit aussi expier ce qu'il ne comprend pas ou moins que le travailleur) à la fois moraliste et relevant du mélodrame (quand le cinéma classique opposait moralisme et mélodrame, la mal pensance était alors un trait considéré comme plébéien).
Le pivot du film est la seule scène où Cate Blanchet n'est pas dedans (avec le tout début où Noémie Merlant usurpe sa voix), la vidéo de la violoncelliste à Moscou, qu'elle admire comme le spectateur, gratuitement. D'où sa chute (elle est faible et naïve devant tout ce qui n'implique pas une transaction comme le dit sa compagne)
Lorsque la catharsis morale avance, il n'y a plus de scènes qui ne soit "que nocturne", la nuit n'est plus possible chez elle à Berlin, à la fois fantomatique, lourdement historique et banale, et par là répatrice. Il lui faut se déplacer en Thaïlande pour avoir le droit à la nuit, après qu'elle soit jugée et éliminée de l'univers de la culture reconnue, la nuit devient déjà l'autre, un départ vers l'étranger (il faut reconnaître sue le personnage ne se retourne jamais contre la notion de cosmopolitisme, la souffrance l'amène à la creuser
serr, à ce décentrer encore plus. L'interview du début n'est pas si médiocre, on voit qu'elle est la seule à désirer le caractère cosmoplite de la grande culture, comme une chose actuelle, c'est aussi l'indice qu'elle vient d'un autre milieu, plus populaire, qu'elle vit sa position sociale comme une idée). Belles idées mais que le film, agréable mais trop malin, annule lui-même cyniquement, insistant pesamment sur le caractère un peu vulgaire du spectacle final de cosplay : il y aura toujours une part de la réalité que le reconnaissance qu'on lui porte lui cache, et elle restera une artiste dans la mesure où les autres simulent le pouvoir qu'elle exerce sur eux. Tár est condamnée à découvrir en même temps le contrat social et la catharsis (pour reprendre deux notions que Milos Forman distingue dans le superbe documentaire que Vérà Chitylova a consacré au tournage de Ragtime)


Sinon la prestarion et l'engagement de Kate Blanchett emportent le.morceau (son rôle est très proche de celui qu'elle tenait dans Carol de Todd Haynes ceci dit), la manière filmer le bâtiment de la Philharmonie de Berlin et le propos sur Mahler sont intéressants, mais la caractérisation des personnages secondaires est aussi un peu grossière et joue avec les stéréotypes nationaux voire
(faute d'autres mots) communautaires - d'où aussi un aspect comédie : la violoncelliste russe fade et fourbe, l'assistante française aussi mais de manière encore plus larvée, le vieil ami juif hypocrite, les Allemands qui comprennent collectivement et en même temps les renversement de pouvoir mais s'y plient quand-même, les asiatiques polis mais kitsch, n'en jetez plus il ne manque plus qu'un Belge avec son pinceau - sans parler de la scène du clash à la Julliard School avec l'étudiant métis qui n'a qu'à s'en aller et prendre ses affaires, même si on peut supposer (sans certitudes ) que le film est plutôt avec lui. Bref c'est colossalement subtil.

Mais les chiottes de piscine en lévitation que l'on trouve partout en Allemagne (visiblement jusqu'à la Philharmonie de Berlin) sont bien exploitées 3/6

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Dernière édition par Vieux-Gontrand le 30 Jan 2023, 21:34, édité 2 fois.

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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 30 Jan 2023, 19:43 
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Qui-Gon Jinn a écrit:
(rien compris au moment où elle débarque pour tacler Mark Strong en plein concert). Mais bon.


Pareil seul moment vraiment raté pour moi. On ne comprend pas l'enjeu
elle a été brutalement viré ? Mais dans ce cas là pourquoi elle est présente en smoking ? Et pour le coup je trouve que le film flirte avec une certaine vulgarité qu'il a pourtnat su brillamment évité jusque là. J'ai l'impression d'une scène pas nécessaire pour entériner la déchéance psychologique du personnage. Même si ça fait basculer le film dans l'espèce d'ironie totale de la dernière partie en Asie.


Sinon j'ai trouvé ça assez impressionnant de maîtrise retenue. On pense d'un côté un peu à Ostlund pour l'exploration d'un milieu culturel donné, très bourgeois, très référencé, avec ces évidentes luttes de pouvoir et de hiérarchies contrariées qui font craquer le vernies et de l'autre une ambiance fantomatique à la Birth de Jonathan Glazer. Le film parvient quand même le tour de force de ne jamais être ennuyeux sur 2h40 et dans un univers très particulier et des dialogues blindés d'un name dropping de l'enfer. Mais non au contraire c'est passionnant en permanence, le personnage est suffisamment intense, dense, complexe et, presque surtout, mystérieuse, pour qu'elle suffise à incarner l'entièreté du film.

J'aime beaucoup ce glissement vers une espèce de paranoïa auditive très subtile qui fait perdre le tempo au personnage, qui perturbe sa propre musique intérieure jusqu'à l'implosion. Tout est tellement posé avec délicatesse sans jamais de lourdeur dans l'écriture ou la mise en scène ultra carrée de Field. Sur cette histoire de domination hiérarchique et d'abus de pouvoir tout reste dans une évocation distante, là encore sans lourdeur ou sans anecdotes salaces qui auraient pu facilement s'insérer dans la conversation. Même cette scène avec le jeune étudiant où on est plutôt de son côté pendant la discussion mais où en effet se joue là aussi quelque chose de très insidieux dans le rapport de force (la main sur le genou qui tremble, détail génial).

Tout ça crée un film à la fois assez égal dans son rythme mais en même temps sans cesse sur un fil, sur quelque chose où l'on menace de sombrer (dès le début en fait avec ce cadeau étrange reçu qu'elle jette dans l'avion) dans une mécanique presque de thriller. Jusqu'aux dernières minutes, d'une ironie glaçante et ce dernier plan tellement osé, tellement casse-gueule
je ne l'ai d'abord pas compris avant de saisir qu'il s'agissant de cosplayer venu entendre un concert d'un compositeur de musique de jeu vidéo. D'ailleurs le jeu vidéo ne porte pas un titre innocent, Monster Hunter, le chasseur de monstre, ce qu'elle est pendant tout le film, à chasser des monstres invisibles.


Je suis pas totalement à fond, il m'a manqué peut-être un ancrage émotionnel plus fort et si j'aime beaucoup la fin osée elle est presque too much
pour la première fois je sens limite une ironie dans le regard de Field sur son personnage
mais difficile de pas y voir un grand film américain, porté par une prestation extraordinaire de Blanchett (même si au fond elle ne surprend pas dans ce rôle qui comme le dit Gontrand aurait tout aussi bien aller à Tilda Swinton).

5/6

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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 30 Jan 2023, 19:51 
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Ha non c'est bmntmp qui a dit cela, mois j'ai juste dit qu'elle est assez proche de son personnage de Carol (et par ailleurs Todd Field en joue consciemment car Noémie Merlant ressemble beaucoup à Rooney Mara - et sa Porsche à piles à une Packard).


Et la scène d'audition entre la russe et sa rivale allemande tout en oeillades est vraiment filmée comme le clip de Spike Jonze avec Sofia Coppola pour les Chemical Brothers
Il est vrai que c'était un bon clip
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 Sujet du message: Re: Tár (Todd Field, 2022)
MessagePosté: 12 Mar 2023, 23:33 
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:mrgreen: Salut à tous,

nouvelle analyse sur ma chaîne concentrée sur la femme de Tchaïkovski et Tar, réunis par le hasard programmatique et dont les esthétiques respectives, pourtant contradictoires, se joignent sur la question existentielle de l'identité.

Lien ici :arrow: https://www.youtube.com/watch?v=Ha3WuhXtU9Q

EXTRAIT: La mission de cette main [celle de Lydia Tar] qui pénètre dans l’espace sacro-saint des croches et double-croches est paradoxale: elle doit intervenir tout en laissant intact l’œuvre originale, c-à-d à la fois toucher et ne pas toucher.
C’est précisément à cet état de fait quantique, qui n’est pas sans rappeler le paradoxe du bateau de Thésée, que croit Antonina Tchaikovski dans la relation qui l’oppose à son mari. Si l’on craint qu’elle nuise à son génie créateur, Antonina est quant à elle convaincue qu’elle peut et doit intervenir pour le révéler à lui- même, son homosexualité que d’ailleurs ils refoulent tous deux, c-à-d à la fois le changer et ne pas le changer.


Comme d'hab n'hésitez pas à faire vos retours, ici, sur la chaîne ou par mail. Bonne soirée!

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Ma chaîne Youtube de critique et d'analyse cinématographique :
https://www.youtube.com/channel/UCP9XfP ... YJAazYqAig


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Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Carol (Todd Haynes, 2015)

Film Freak

6

1971

05 Juin 2020, 22:34

bmntmp Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. War Dogs (Todd Phillips, 2016)

Film Freak

0

1295

29 Sep 2016, 00:35

Film Freak Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Very Bad Trip 2 (Todd Phillips, 2011)

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Film Freak

47

5342

05 Juin 2011, 09:04

Prout Man Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Poison (Todd Haynes, 1991)

Film Freak

4

196

12 Mar 2024, 14:00

Vieux-Gontrand Voir le dernier message

Aucun nouveau message non-lu dans ce sujet. Very Bad Trip (Todd Phillips, 2009)

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Film Freak

101

9573

17 Oct 2010, 19:18

Arnotte Voir le dernier message

 


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