Pour toi forum, dans un élan d'amour irréfrénable, je ressors les vieux dossiers.
J'avais d'abord vu traîner ça dans la programmation de la rétro estonienne à la cinémathèque, et j'ai découvert petit à petit les courts-métrages de Raamat, exceptionnels, qui font peut-être déjà l'objet d'un culte, mais que je ne connaissais pas du tout jusqu'ici. La filmo est plus longue que ce qu'on peut trouver sur le net :
Le DVD édité je ne sais où (en Estonie ?) reprend uniquement les trois films dont je parle ci-dessous. Par ordre de préférence, ça donne donc...
Suur Tõll(Toell the Great / Le Grand Tyli / Le Grand Tõll ) - 1980
C'est l'adaptation d'une légende baltique, qui semble, par son traitement douloureux, dessiner une parabole de la fondation du pays. Le court est très précieux pour son caractère cauchemardesque : tout s'enchaîne en coulant façon ivre, comme dans un songe (ou dans un sponge). Et c'est entre autres grâce au son, une sorte de prière répétée en continu qui impose au film un rythme originel, un battement de cœur entêtant qui s'excite ou se calme selon les aléas de la narration, tension constante que traverse, impériale et onirique, la lenteur silencieuse du géant. Terrien (beaucoup de pierres, de champs), sanglant (film très rougeoyant/crépusculaire, au-delà des effusions violentes), le style est aussi parfois marqué par un traitement psychédélique, qui évoque vaguement le film de Laloux, mais c'est toute la qualité du Raamat de ne pas juste se contenter d'une application (= une illustration sous LSD du conte) mais d'arriver à faire porter une mélancolie de tout ce fatras. Voilà, c'est très beau, le meilleur des trois.
Le film entier, avec sous-titres anglais (à activer), ici : http://www.dailymotion.com/video/xkbdbb ... shortfilmsLes couleurs sont plus sombres/rouges sur cette vidéo que sur le DVD très bleu/pastel, je ne sais pas quelle est la bonne colorimétrie.Põrgu(Hell / Enfer) - 1983
C'est sans doute le film le plus virtuose des trois, partant d'une matière première pas évidente (trois gravures complexes d'une certain Eduard Wiiralt) pour construire tout un court-métrage. On est pas très loin de ce qui fait la base de tout court-métrage d'animation hors USA et Japon : jeu à fond sur les propriétés du dessin animé (transformations, métamorphoses, abstraction), anti-réalisme et anti-idéalisme féroce (presonnages sur-dessinés, exagération forcée, laideur du monde), structure et ton distant de la fable - qui est aussi un peu la limite de ce genre de petits films, toujours très virtuoses mais aussi assez peu émouvants. Raamat n'évite pas forcément toujours ce cliché, mais encore une fois la maîtrise du film joue pour lui : il gère très bien la fatigue qui gagne la fête décadente, transmettant très précisément une série d'impressions limpides qui font narrration - l'enivrement, la compréhension des limites atteintes, l'impossibilité de résister lorsque les personnages se sentent la capacité de repartir dans un tour... C'est réussi et impressionnant, même si je rentre moins dedans.
http://www.youtube.com/watch?v=VQWuw7UNwG0Kilplased(Yhe Simpletons / Les Naïfs) - 1974
L’adaptation d'une série de contes juifs qu'on me lisait petit et que j'adorais (oui, déjà de la propagande), et dont j'ai oublié le nom, mixées et condensées en 8 minutes. Comme le récit qu'il adapte, le court est plutôt drôle (les passages chat et cochon, surtout), même s'il fait vraiment figure de friandise comparé aux deux autres films. Ça annonce surtout le fonctionnement de Suur Tõll (rythme coulant, son entêtant répété à l'infini, groupe aveugle, choix inspiré des sources de bruitage), et c'est sympa de voir ce style utilisé à des fins comiques (les gueules ahuries qui beuglent et paniquent pour tout et n'importe quoi).
http://www.youtube.com/watch?v=k1xyb72X ... 163D0A5FBEDoit y avoir d'autres courts accessibles sur le net, je vais essayer d'en trouver plus, mais apparemment les deux premiers sont ses deux chefs-d’œuvre, donc le topic existera déjà pour ceux-là.