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 Sujet du message: Tommaso (Abel Ferrara - 2019)
MessagePosté: 13 Jan 2020, 22:55 
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Tommaso est un artiste américain vivant à Rome avec sa jeune épouse européenne Nikki et leur fille Dee Dee âgée de 3 ans. Ancien junkie, il mène désormais une vie rangée, rythmée par l’écriture de scénario, les séances de méditation, l’apprentissage de l’italien et son cours de théâtre. Mais Tommaso est rattrapé par sa jalousie maladive. À tel point que réalité et imagination viennent à se confondre.

La réputation de Ferrara est à ce point installé que le distributeur a jugé opportun de parler de rédemption sur l'affiche de son dernier opus. Sauf que cette fois-ci il n'y a pas de motif de rédemption possible, Tommaso (Dafoe en double de Ferrara, Tommaso étant son deuxième prénom) n'ayant aucune nécessité de se racheter. J'avais abandonné Ferrara a la fin des années 90, drogué jusqu'au cou, alcoolique jusqu'aux yeux, et je m'étais étonné quand j'ai recommencé à m'intéresser au cinéma en 2015 que le mec soit encore en vie. Mieux que ça, il est devenu bouddhiste et totalement clean, plus de drogue ni d'alcool, émigré de New-York à Rome. Sacré changement.

Et son cinéma aussi à changé. Récemment j'ai pu rattraper son biopic sur Pasolini, et j'avoue que le film ne m'a absolument pas accroché, pas aidé par ses parties oniriques visuellement vieillottes. Je ne vois pas trop où Ferrara a souhaité nous mener dans cette chronique des derniers jours de Pasolini, au-delà de l'hommage qu'il rend à l'une de ses figures tutélaires. Dans Tommaso le registre est tout autre. Mi-docu mi-fiction, Willem Dafoe prend littéralement la place de Ferrara (sa femme et sa fille dans le film sont celles du réalisateurs, l'action principale étant même située dans son appartement, ce qui donne au film un petit côté Le Garçu, en mieux), interagît avec des non-professionnels (la prof d'italien par exemple, qui est leur propre professeur d'italien, puisque Dafoe et Ferrara habite tous les deux dans le même quartier de Rome) au cours de scènes largement improvisées. De réunions aux Alcoolique Anonymes (anglophone, ils sont tout de même vachement bien organisés) au cours de théâtre, en train de travailler sur son prochain film ou de pratiquer le yoga, se dégage de toutes ses scènes un sentiment de plénitude et de paix intérieure enfin trouvée troublant mais d'une totale sincérité, absolument pas factice. Sentiment renforcé par une photo solaire (et ce dès le premier plan, avec cette contre-plongée vers le ciel qui perce entre les immeubles, comme si le film débutait par la rédemption de Ferrara), la langueur des rues de Rome en plein été (le film fait forcément penser à Pasolini, mais aussi à Journal Intime, la partition de Joe Delia rappelant d'ailleurs celle de Keith Jarret que Moretti utilise lors de son "pélerinage" à Ostie), mais que l'on sent aussi fragile. Et il ne faut effectivement pas un bien gros grain de sable pour que la machine Tommaso commence à se dérégler (le fait que sa femme veuille prendre le métro et non pas le taxi qu'il lui a commandé).

A partir de ce moment son côté sombre va l'envahir, entre possessivité, jalousie, emportement colérique incontrôlable, voir une sexualité maladive, jusqu'à avoir de furieuse hallucination. Quand on le voit ainsi on peut comprendre les raisons de la dépendance passée de Ferrara, trop forte émotivité, hyper-sensibilité, ça n'est probablement qu'en se gavant de produits stupéfiants qu'il réussissait à juguler ses émotions. Et ça n'est qu'à 60 ans passé qu'il a eut le courage de non seulement les affronter, mais également de se mettre ainsi à nu, de nous montrer à voir sa fragilité. Et interprété par un Willem Dafoe au sommet de son art, ça donne un film d'une intensité remarquable, tour à tour touchant, poignant, glaçant.

Une question me taraude tout de même. Tommaso a été projeté en séance spéciale à Cannes, alors que dans la compétition officielle Almodovar présentait sa propre autobiographie (hagiographie même), un large consensus critique s'entendant pour décréter que la palme devait revenir à Almodovar sinon le prix d'interprétation à Banderas. Pourquoi diable dans ce contexte Tommaso n'a-t-il pas était également inclus dans la sélection officielle? De mon point de vue il l'aurait tout autant mérité, si ça avait été le cas, l'un de ces deux prix aurait tout à fait pu lui revenir.

5/6


Dernière édition par Lohmann le 24 Déc 2020, 11:00, édité 1 fois.

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MessagePosté: 13 Jan 2020, 23:29 
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T’as arrêté Ferrara à la fin des années 90 ? New Rose Hotel est l’un de ses meilleurs.


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MessagePosté: 14 Jan 2020, 00:15 
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T’es maso d’aller voir ça.

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MessagePosté: 14 Jan 2020, 08:40 
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Déjà-vu a écrit:
T’as arrêté Ferrara à la fin des années 90 ? New Rose Hotel est l’un de ses meilleurs.
J'ai arrêté d'aller au cinéma à la fin des années 90, vu aucun Ferrara entre The Blackout et Pasolini, j'en ai un bon paquet à rattraper.


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MessagePosté: 14 Jan 2020, 09:02 
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NRH reste un Ferrara dans l’état que tu décris.


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MessagePosté: 14 Jan 2020, 10:00 
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J'ai un souvenir assez extatique mais très diffus de New Rose Hotel, très envie de le revoir.

Lohmann a écrit:
Une question me taraude tout de même. Tommaso a été projeté en séance spéciale à Cannes, alors que dans la compétition officielle Almodovar présentait sa propre autobiographie (hagiographie même), un large consensus critique s'entendant pour décréter que la palme devait revenir à Almodovar sinon le prix d'interprétation à Banderas. Pourquoi diable dans ce contexte Tommaso n'a-t-il pas était également inclus dans la sélection officielle? De mon point de vue il l'aurait tout autant mérité, si ça avait été le cas, l'un de ces deux prix aurait tout à fait pu lui revenir.


Ça me parait au contraire assez justifié. Aujourd'hui Ferrara n'est plus le grand auteur d'antan, plus personne ne va voir ses films, il est paradoxalement revenu à l'underground qui l'a vu naître, faisant ses films dans son coin, mais il n'a plus l'aura qu'il a pu avoir. D'ailleurs la réception de ses derniers films est très contrastée, loin de faire l'unanimité. Go Go Tales, c'est 7000 entrées, 4h44, c'est 15 000, Pasolini avait fait 30 000 mais ça va pas plus loin.

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MessagePosté: 14 Jan 2020, 10:08 
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Art Core a écrit:
Ça me parait au contraire assez justifié. Aujourd'hui Ferrara n'est plus le grand auteur d'antan, plus personne ne va voir ses films, il est paradoxalement revenu à l'underground qui l'a vu naître, faisant ses films dans son coin, mais il n'a plus l'aura qu'il a pu avoir. D'ailleurs la réception de ses derniers films est très contrastée, loin de faire l'unanimité. Go Go Tales, c'est 7000 entrées, 4h44, c'est 15 000, Pasolini avait fait 30 000 mais ça va pas plus loin.
Que ses films fassent peu d'entrée c'est une chose, mais en quoi cela ferait de lui un auteur moins important? J'ai pas l'impression que pour les Cahiers son aura a beaucoup baissé avec le temps.


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MessagePosté: 14 Jan 2020, 10:48 
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Oui mais justement il est cantonné aux Cahiers. Il a eu une période auteur culte mais depuis ça s'est émoussé. Je pense qu'en compétition à Cannes, ça a pas assez d'éclat, ça fait pas trop rêver, tu sais que ça va être un tout petit film. Et quand tu vois le site des notes, la réception est quand même ultra mitigée, donc le risque est plus grand. Après je parle pas de la qualité du film je l'ai pas vu (et ton texte donne envie).

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MessagePosté: 23 Jan 2020, 20:16 
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Je suis un peu sceptique sur le syncrétisme golgotho-tapis-de-yoga (mais c'est le contrechamp perpétuellement tendu du démon intime de Ferrara) mais bon film quand-même. Les scènes de visions sont belles (celle de l'interrogatoire de police fait fortement penser à un passage de la Modification de Butor, livre qui n'est sans rapport avec la vision politique, le regard sur l'Italie ainsi que la vision du couple, de la sexualité et de la religion du film), et j'ai trouvé assez touchante la représentation d'un couple dont on s'aperçoit immédiatement qu'il va trop bien pour aller bien. Ferrara est sensible à la porosité avec la réaction d' une forme d'expérience des limites qui, une fois épuisée, peut se retourner en valorisation exagérée de la propriété et de l'ordre, une peur phobique du monde exterieur, voire en xénophobie. Il parvient à éviter (pas totalement -le beau passage avec le clochard l'expose de manière explicite) la régression vers ce type de travers. En ce sens,le film possède un enjeu réel, plus fort en effet que le dernier Almodovar.

Sinon il m'a paru -sans doute involontairement- très proche de Partner de Bertolucci (même lieu, même idée du double
que l'on ne peut liquider qu'en l'assassinant et en voyant son sang, en retournant contre lui-même et sous forme de terreur un malaise plus symbolique, qui était à la fois agression et parole
et même représentation d'une école de théâtre : un monde où seul le maître vieillit, et où une forme de sérénité et d'accomplissement catholiques - s'identifiant avec une certaine mégalomanie au Christ -épuise le sens des choses sans les annuler comme événement : ce qui caractérise dans le film les sphères de l'esthétique et de la cité).

Petit détail mais le générique mentionne un emprunt à Stalker de Tarkovski que je n'ai pas relevé. Et il faudra que je voie la Dernière Tentation du Christ dont le film forme une sorte de codicille.

Marrant que le côté chrétien de Ferrara soit aussi ce qui en fait une forme de "dernier post-moderne" un peu tardif mais visiblement sincère.

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Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

Erving Goffman


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MessagePosté: 25 Jan 2020, 12:14 
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(sinon toutes les femmes du film avec lesquelles le personnage de Tommaso flirte ressemblent à Zoé Tamerlis)

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Erving Goffman


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MessagePosté: 26 Jan 2022, 12:55 
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Vu son documentaire sur Piazza Vittorio, consacrée à cette place-jardin de Rome et principalement aux (im)migrants et réfugiés qui y abondent. On retrouve la naïveté coutumière de Ferrara qui se présente devant des migrants qu'il interviewe lui-même comme un "immigrant". C'est son côté américain : il est alternativement un immigrant, un exilé ou un envahisseur, et de toute façon, en tant qu'américain, il est migrant par nature et quoi qu'il arrive, il est toujours de bonne foi.
Il n'empêche qu'il se sent aussi chez lui chez CasaPound, cette organisation néofasciste italienne qui a pu servir d'inspiration pour Alain Soral, à qui il prête une oreille d'artiste complaisante. Cette naïveté est à mettre à son crédit, quand on lit critiques ou tweets qui s'interrogent voire s'offusquent de cette association, alors que peut-être l'oeil d'artiste de Ferrara (qui précise bien à un jeune homme qu'il n'est pas journaliste, ni pape, mais un artiste en exil) montre ces jeunes gens blafards dans une lumière qui n'a pas la vibration des images extérieures sur la piazza Vittorio. L'opinion politique de Ferrara n'est pas franchement intéressante et se résume de la façon suivante en interview :"il y a une bonne et une mauvaise immigration, s'il y a du travail c'est ok, si c'est pour ne trouver que du chômage et du désoeuvrement, cela ne va pas".
Documentaire qui n'est pas sans entretenir quelque rapport avec la vision de Rome chez Sorrentino : on est dans une ville mythique, dont l'idée se substituerait presque à la réalité même si subsistent finalement ces arcades, ces vestiges étrange au milieu d'une végétation comme laissée à l'abandon et surtout ces nuées de bonnes soeurs qui volettent à droite à gauche. Ce sont presque des signes d'italianité à l'écran, alors qu'on sait que bientôt la très grande majorité des bonnes soeurs seront asiatiques, africaines ou sud-américaines. Un peu curieux de voir Tommaso. Ainsi que son dernier qui vient de sortir et n'a rien à voir.


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