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 Sujet du message: Platform (Jia Zhang-Ke, 2000)
MessagePosté: 07 Juil 2015, 21:59 
Cui Minlang (intellectuel à lunettes et à frange un rien poseur, alter-ego du réalisateur) et Yin Ruijian (danseuse et chanteuse), Zhang Jun (musicien ténébreux et généreux) et la belle Zhong Ping essayent d'être en couple, et aux alentours 1979, vivent dans la ville montagneuse de Fen Yang, dans le Shanxi, au sud du nord de la Chine, une province alors encore enclavée. Mao est mort, mais ils appartiennent à une troupe de théâtre qui monte des spectacles de propagande, simultanément optimistes et martiaux, qui ponctuent les évènements officiels (fêtes de fin d'année, électrification de zones rurales). Leur statut d'artiste leur permet de maintenir une certaine distance ironique vis-à-vis de l'idéologie qu'ils sont chargés de véhiculer. Le directeur artistique de la troupe essaye quelque temps de diriger la troupe par un système d'autocritique, qui vire vite à l'autoparodie et finit par ne plus impressionner personne (il n'y pas beaucoup d'évènements dans la petite ville et des amorces de problémes sentimentaux sont traité sur le même plan que des divergences idéologiques, et surtout la troupe est trop socialement homogène pour donner l'occasion d'appuyer un pouvoir sur des oppositions de classes internes). Comme le contrôle idéologique se relâche, la troupe semble en déshérence, sans programme précis, sillonne pendant plusieurs années en camion des paysages a moitié désertique, hésite à se reconvertir dans des spectacles plus commerciaux. A part Yin, qui décide de rester à Fen Yang et de quitter Cui, les personnages s'accomodent de cette errance qui les soustrait à l'ennui et à la surveillance (non ciblée mais permanente) de la police sur leur vie privée. Cui Minlnag expérimente un choc social sur un mode comateux et muet, en semblant découvrir les conditions de vie de sa propre famille au cours d'une tournée, et en rencontrant dans un village un cousin mineur et illetré, qui paye les études d'une partie de la famille, qui le traite à la fois comme un parvenu et un lettré. Au même moment, l'introduction des radiocassette permet de capter la pop de Taïwan et du Sud de la Chine, sirupeuse, mais qui sert de support à une sensibilité punk, proche de la generation X occidentale. Un jour une directive tombe, demandant de "privatiser" la troupe, c'est à dire, si l'on a assez d'argent, se racheter soi-même pour continuer à vivre la même vie. Le Directeur démissionne, un membre de la troupe, jusque là discret, rachète la troupe et la transforme en un groupe de disco à la Abba, dont il devient l'impresario. Cui, Yin et Zhang suivent le mouvement sans trop y croire, mais ils se voient mieux dans la vie de tournée qu'à Fen Yang, où ils n'espèrent ne jamais revenir...

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Sur les Spectres du Cinéma, au moment de la sortie de "A Touch of Sin", quelqu'un se plaignait que Jia Zhang-Ke était devenu "le nouveau Kusturica", pour signaler qu'il s'était affadi dans un cinéma hyper symbolique, qui mèle la recréation d'un folklore national et un anticonformisme pompier et édifiant, ce qui est vrai et faux, il y a je crois à la fois une rupture et une continuité. Par exemple, dans les deux films, la route est le seul espace où se déploie la confrontation entre classe, mais ce conflit n'atteint pas la ville. Il y a aussi une distinction entre ce qui relève de l'aliénation et ce qui relève de l'injustice, la première est toujours paradoxalement évidente et transparente, la deuxième est liée à la péripétie et à la reconnaissance. Platform a une grande force esthétique qui l'ancre dans le cinéma européen des années 70, l'esthétique tout en plans larges, en lents mouvement de caméra précis et synchrone avec les déplacements hors-champs des acteurs, l'usage permanent d'un son d'ambiance évoquant le passé absent (mais en perpétuel hors-champs) d'un marché villageois qui n'est jamais montré, l'idée osée de synchroniser en constraste les travellings avec des son d'un moteur qui démarre et s'éloigne, le soucis d'inscrire l'homme dans un paysage massif, et d'arrêter le plan au moment où le paysage ne l'a pas encore débordé, où la possibilité expressive de l'homme est devenue indiscernable dans ce paysage, mais n'est pas encore détruite, où la nature est montrée comme une puissance, devant concéder aux constructions sociales leur sens et leur projet, et pour ainsi dire les interprêter, pour les vaincre (le transfert d'un regard existentiel de l'homme vers la nature), font beaucoup penser au cinéma italien, à un axe qui relie Antonioni et l'Oedipe de Pasolini. Il n'y pas de musique extra-diégétique, à part deux courtes et très belles mélodies aux violoncelles, qui introduisent une ellipse de plusieurs années. Mais le film est par ailleurs très littéraire, très psychologique, et rappelle aussi des films français comme Adieu Philipine ( c'est presque la même histoire) et n'est pas si lointain non plus de Pialat. La force du film, c'est de comprendre que la pop musique du Sud est à la fois un symbole et un environnement sociologiquement autonome. Un chant naïf sur Genghis Khan détourne un symbole national en promesse sexuelle: les cavaleurs sont admis dans le monde qui se construit, l'idée que l'on peut être à la fois un outsider et un dominant, que l'absence simultanée de jouissance et de culpabilité transforme la vie en image ,exprime une boucle, partant d'un sens politique et y revenant après avoir pris une signification sentimentale. Quand Zhang revient de son voyage à Canton avec un radiocassette, il est à la fois une incarnation d'Ulysse, un consommateur qui découvre fasciné la neutralité politique et morale de la technologie et de la culture (neutralité qui semble une promesse après le monde maoïste où la culture se réduisait à l'information), et un jeune sémiologue qui décode parfaitement ces symboles et appareils, démasque les fantasmes de puissances qu'il véhiculent. La force du film ce n'est pas d'être naturaliste plutôt que d'être symbolique et cela de façon édifiante, c'est d'être naturaliste en montrant des personnages qui décodent eux-même les symbôles, en expliquent efficacement (donc rapidement, sans y revenir) le sous-texte politique, à la place du spectateur. Ce sont eux qui sont édifiés, pas nous qui les voyons. En faisant ce travail dans le présent, dans l'intrigue, il montre un point commun vertigineux entre l'idéologie maoïste (qui n'est pas critiquée, mais filmé comme l'adolescence de la Chine, un discours immature et forclos - par ailleurs le film fait une allusion assez courageuse à 1989 en évoquant les arrestations, mais dans l'esprit du réalisateur cette violence est imputable au décalage entre le fonctionnement maoïste de l'état et la pratique réformiste de la culture plutôt qu'à l'idéologie seule, qui est pour lui une illusion nostalgique, trop faible et trop déterminée par le seul désir pour être critiquée pour ses effets politiques) et l'amour adolescent: ils sont pareillement offerts à l'abandon, dès lors qu'ils sont déjà compris. De la même façon, le film a un regard très retors sur le fait que la notion de pop culture internationale permet de s'éloigner du discours édifiant du maoïsme, tout en en reprenant finalement une des caractéristiques: elle façonne son public en distinguant des consciences générationnelles, de façon peut-être arbitraire, et transfère l'idée d'échec politique vers le passé, vers ce qui précède. Dans le making-off du DVD; Jia Zhangke explique que même s'il était trop jeune pour l'avoir vécu (le film fait la synthèse entre ses propres souvenirs en ce qui concerne la vague pop, et ceux de sa grande soeur pour le théâtre politique); le fait de filmer une pièce de théâtre de propagande pour des paysans l'a fait pleurer, et il explique ensuite que d'après lui, dans la civilisation chinoise il n'y a pas l'idée d'une promesse eschatologique et d'une vie orientée par un idéal: la mort de l'espoir survient dès la fin de l'adolescence, et la suite de la vie répéte une même situation à laquelle on ne croit plus: c'est cette mort de l'espoir qui est le centre du film, plutôt que la critique d'un système politique. Il n'y a de conflit politique possible que dans la mesure où l'idéologie qui supporte un régime est déjà construite contre la mémoire, mais la politique en temps normal, n'articule pas la mémoire collective, le deuil et la culpabilité sont déjà placés à l'origine. C'est la la falsification du deuil et de la mémoire plutôt que celle de la réalité qui est motif de révolte. Le cinéma de Jia Zhang Ke n'est pas un cinéma politiquement contestaire, mais plutôt, un cinéma qui créé dans la mémoire des effets équivalents à ceux de la contestation, et où c'est l'expérience du deuil de soi-même qui se subsitue à celle de la lutte et c'est là une nuance importante, décevante mais forte. En ce sens, peut-être que la forme plus métaphorique de "A Touch of Sin" n'est pas forcément une régression, car elle établit un lien entre la structure sociale collective et le destin individuel que la nostalgie n'a pas dû forcément déjà décoder et épuiser.


Dernière édition par Gontrand le 07 Juil 2015, 23:39, édité 9 fois.

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