Forum de FilmDeCulte

Voilà presque quinze ans, au cours de la décennie qui avait vu naître L’Échine du Diable et Le Labyrinthe de Pan, Guillermo del Toro avait évoqué pour la première fois son envie d'adapter Pinocchio en un film de stop-motion. La proximité temporelle de cette initiative avec les deux films susmentionnés de l'auteur explique sans doute pourquoi son dernier opus, aujourd'hui enfin concrétisé, s'inscrit autant dans leur droite lignée. Une fois de plus, Del Toro signe un film à propos de l'enfance sur fond de totalitarisme, remplaçant la Guerre Civile Espagnole de ses précédents films et le XIXème siècle de Carlo Collodi par l'Italie de Mussolini. Cette altération temporelle n'est que l'un des aspects de la relecture proposée par le cinéaste qui lui permettent de subvertir le conte original. Si Crimson Peak pervertissait déjà Barbe Bleue par le biais d'une émancipation sexuelle, ce Pinocchio va à l'encontre de la morale originelle faisant l'éloge de l'obéissance chez les jeunes garçons. En exorcisant plus que jamais son envie de faire son Frankenstein, une marotte qui transparaît à travers toute une filmographie hantée de faux monstres non-morts, Del Toro compose une fable fascinante sur le martyr de l'enfant aux mains de "pères imparfaits".

Dès le départ, l'auteur associe la figure du Christ, avec ce crucifix taillé par Gepetto pour l'église locale, à son pantin de bois, dont le design, inspiré du dessin de l'artiste Gris Grimly, avec ses clous protubérants, renvoie autant à Jésus qu'à la créature incarnée par Boris Karloff. Plus proche de l'épouvantail que de la marionnette aux traits poupons de Disney, ce Pinocchio, un être inachevé construit dans l'ivresse endeuillée, a tôt fait d'effrayer la même population qui vénère pourtant un messie en bois. Continuant de régler ses comptes avec la religion, Del Toro lui préfère d'ailleurs une spiritualité plus ésotérique, associant la Fée Bleue à un Ange de la Mort tout droit échappé de son propre Hellboy II, et exploitant de manière inattendue l'un des "pouvoirs" de son protagoniste pour entériner son propos sur l'enfant comme souffre-douleur et potentiel saint.

Toutefois, le plus intéressant dans la vision du réalisateur, c'est sa façon d'embrasser justement l'enfant comme tout sauf un saint. Comme un garnement. Par bien des aspects, Pinocchio est une ode à la curiosité hyperactive et maladroite et agaçante de l'enfance. Ici, il n'est jamais question d'obéir aveuglément, de rentrer dans le rang ou de se conformer aux normes. Il faut voir par quoi Del Toro remplace l'Île aux Plaisirs et l'issue de la séquence en question. Le fascisme devient alors métaphore d'un monde qui n'a de cesse de vouloir imposer aux enfants une manière d'être unique, tout comme peut en être coupable Gepetto lui-même, l'un des nombreux pères d'une histoire peuplée de tandems filiaux dysfonctionnels. La quête du pantin n'est donc plus de devenir "un vrai petit garçon" mais d'être accepté pour ce qu'il est.

Ainsi, tant que Pinocchio s'écarte de sa source, il se révèle particulièrement pertinent et actuel, mais il n'échappe pas à la structure épisodique malaisée du matériau de base qui rend également l'évolution des personnages trop arbitraire, peinant à incarner de façon réellement émouvante la relation père-fils pourtant au cœur du récit. De plus, alors que le film ne s'adresse pas vraiment aux plus jeunes, il reste des passages semblablement obligés du "genre", comme ces chansons, destinées à être oubliées (c'est du Desplat après tout). Mais c'est une merveille de direction artistique, avec un Cricket amusant remarquablement campé par Ewan McGregor.

A l'instar de La Forme de l'eau, c'est un film que je trouve riche et intéressant mais qui peine à m'emporter complètement. Mais c'est plus abouti que Nightmare Alley. A revoir.

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On sait depuis quand c'est en prod ? J'ai le sentiment d'être passé sur le "tournage" il y a 10 ans, mais est ce que c'est possible ?

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Netflix les gars, Netflix.

Depuis 2018 par Netflix.

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Trop bizarre. Avec Nico on était passé sur un truc similaire, produit aussi par DelToro, mais j'ai l'impression que ce n'est jamais sorti.

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Netflix les gars, Netflix.

Des tests peut-être.

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L'indifférence avec laquelle a semblé sortir ce film quand même...

Plutôt une bonne surprise pour ma part. J'en attendais rien et du coup j'ai vraiment apprécié cette adaptation vraiment personnelle qui m'a surpris à plusieurs reprises dans le bon sens du terme. Ne serait-ce que son ancrage dans l'Italie fasciste plutôt malin qui réinvente totalement une partie connue du conte de manière très pertinente. Je n'avais pas du tout été séduit par l'esthétique dans le trailer et là j'ai trouvé ça souvent somptueux, quel travail de dingue, les personnage sont très réussis (bémol sur le directeur du cirque un peu lambda et les fées assez laides avec leur glow bleuté), Gepetto est magnifique, le criquet est parfait et surtout Pinocchio est une merveille. Là encore une vraie vision bien loin de l'image du Disney ou du pantin de bois basique. Il a beaucoup de personnalité visuellement et j'ai beaucoup aimé le traitement narratif du personnage, loin du gamin insupportable et ingrat de ce que je connaissais des adaptations précédentes. Au contraire même, et c'est sans doute là que le projet de Del Toro (et Gustafson, le coréal que tout le monde oublie) est le plus fort. En retournant la morale originale un brin réactionnaire du conte pour en faire, comme à son habitude, une ode à la différence et à l'acceptation de soi. Le twist ultime du film, il est tout simple et très beau

Après le rythme est un peu inégal, les chansons sont souvent superflues, la partie au cirque m'a paru trop longue (j'ai d'ailleurs craint qu'on allait y rester tout le film) et je n'ai pas été ému comme j'aurais aimé l'être (comme quasiment toujours chez Del Toro en fait). Mais c'est vraiment très bien. De mon côté c'est la meilleure adaptation du conte que j'ai vu (le da de Disney a jamais été culte pour moi). Le film va souffrir aussi et c'est son grand problème, du public à qui il s'adresse. C'est clairement pas un film pour enfants, trop sombre, trop glauque mais en même temps il en a parfois les attributs (le criquet un peu sideckick comique) et le grand public pas habitué à voir de l'animation ne va pas l'identifier comme une film pour lui. Du coup il est un peu coincé.

4/6

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CroqAnimement votre

Il est quand même clairement saoûlant comme peuvent l'être les gosses trop excités et on comprend bien pourquoi Gepetto ne sait pas quoi en faire au début.

Sinon, tout pareil. C'est une belle résussite à la fois thématique et graphique, les nombreuses réécritures de l'histoires sont bien vues et nous amène tout de suite dans quelque chose de plus dur, moins imagé et finalement plus réaliste. On peut effectivement le voir comme la dernière partie d'un tryptique avec l'Echine du diable et Le Labyrinthe de Pan et comme ces films on se demande à qui ça s'adresse. J'ai commencé avec ma fille, qui aime beaucoup le Disney lui-même bien cafardeux, et on a vite laissé tomber. Ne serais-ce qu'avec ce Gepetto brisé, même un poivrot enragé et toute cette longue intro cruelle qui ne laisse rien au hasard de la suggestion.

Et en même temps, c'est du Del Toro, c'et à dire que si je ne peux que saluer et admirer tout son travail en théorie, je reste toujours un peu dehors et peu touché.

Oui au début forcément mais rapidement je le trouve plus touchant/victime que saoulant, c'est pas comme le perso de Disney qui enchaîne les mauvais choix par égoïsme.

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CroqAnimement votre

Le graphisme, j'ai vraiment eu du mal. Sinon je souscris à ce que tu dis, ma version préférée reste celle de Mattotti.

Sinon j'imagine la tête de Netflix devant la noirceur du truc...

C'est ça la version de Mattoti ? Ca a pas l'air dingue :
https://www.allocine.fr/film/fichefilm_ ... 81927.html

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CroqAnimement votre

Donc pour les enfants on oublie ?

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Liam Engle: réalisateur et scénariste

Sincèrement oui, je trouve. Pas avant 10 ans peut-être. C'est assez sombre, ça commence avec une grosse séquence sur le deuil pas du tout édulcoré, Gepetto bourré, limité violent... Et l'univers n'est pas du tout kids friendly. La baleine par exemple est dégueulasse (dans le bon sens du terme).

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CroqAnimement votre

Tu peux tenter voir comment ça se passe avec l'intro. Il me semble que ça reste quand même une histoire pour enfants mais je l'ai vu il y a quelques jours et il m'en reste surtout ce qu'il y avait de plus brutal.

Sinon, je recommanderais plutôt Wendell and Wild, autre stop-motion d'une légende vivante sorti dans l'indifférence et dont j'ai pas eu le courage de faire une critique.

Oui, tu peux oublier. Ma fille de dix ans a arrêté au bout de dix minutes.... A la rigueur, tu as le Garrone sur Amazon (qui est bien cheum aussi)

Pour Mattotti, c'est petit, mal animé mais j'adore son dessin.