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MessagePosté: 17 Sep 2005, 16:50 
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Les Européens ne comprennent pas que notre culture n'est pas monolithique

Budd Schulberg, l'un des scénaristes américains les plus célèbres de l'histoire du cinéma, né en 1914 et ami de Kazan, raconte son engagement politique et ses démêlés avec Hollywood, sa rencontre avec Fidel Castro et ses désillusions qu'il évoque aujourd'hui dans un livre.

Par Ludi BOEKEN

samedi 17 septembre 2005 (Liberation - 06:00)




ous rentrez du festival de Deauville où vous avez reçu un hommage spécial. La presse française vous couvre d'éloges. Comment expliquez-vous cet enthousiasme ?

J'ai été un peu gêné par tout ce bruit autour de moi, je ne m'y attendais pas, même si j'ai déjà reçu beaucoup de récompenses dans ma vie. Mais je suis toujours content de vendre mes livres... Je pense que les Français ont été surpris, ils connaissaient Qu'est-ce qui fait courir Sammy et Sur les quais, ils ne s'attendaient pas à ce livre, Sanctuary V, sur la désillusion à Cuba, la fin du rêve communiste et socialiste. Les Français trouvent un sens social à mes livres. Aux Etats-Unis, personne ne voit mon oeuvre sous cet angle.

Mais j'ai trouvé les Français, et les Européens en général, à moitié aveugles sur l'Amérique. Ils ne se réfèrent qu'à Bush ou Reagan, ils ne veulent pas voir que la plupart des grands écrivains américains ont donné une vision noire de leur pays. L'opposition intérieure est permanente, elle existe depuis la création des Etats-Unis. Je pense qu'au festival de Deauville personne n'a compris quand j'ai expliqué que depuis le début de notre histoire les Américains sont divisés, en commençant par Hamilton, qui se battait pour plus de pouvoir central, contre Jefferson, qui défendait les droits des pauvres. Les Européens ne comprennent pas à quel point notre culture n'est pas monolithique

Vous avez vraiment été le premier journaliste à avoir interviewé Fidel Castro, en 1958 ?

Oui, je pense. C'était un gros coup de chance. On était un groupe de journalistes basés à l'hôtel Nacional à La Havane. Quand Fidel a gagné la bataille de Metanzaz, à soixante kilomètres de la Havane, les forces de Batista étaient dispersées et on savait que ce n'était plus qu'une question de jours, ou peut-être d'heures, avant que Fidel n'arrive. Bien sûr, chaque journaliste rêvait d'interviewer Fidel. Moi aussi. Je travaillais alors pour un magazine. Et voilà Fidel qui arrive dans le hall de l'hôtel. Et je rêve : il marche au bras d'Errol Flynn, la dernière personne que je pouvais imaginer à cet endroit... On avait des stars de gauche à Hollywood, mais Errol Flynn était de l'autre bord, il était pour l'Espagne de Franco. Enfin il était là. Je m'approche ­ je l'avais rencontré à Hollywood ­ et je lui parle : «Comment ça va ?», «Que faites-vous là ?», etc. Il m'explique que sa venue n'est pas politique, il avait juste envie d'une aventure, de voir son copain Fidel descendre de la montagne... Je lui dis alors que je rêvais d'interviewer Fidel. «Et bien, allons-y maintenant, me dit-il, ma suite est à côté de la sienne.» Je monte avec lui et il était bien là. Des jeunes gens barbus avec des fusils étaient assis par terre, rigolant et fumant des cigarettes. Aucun ordre, aucune discipline. Je connaissais les gens de Fidel, mais aussi Batista. J'étais à Cuba par hasard pour écrire quand il a pris le pouvoir. Les gens croyaient à sa révolution mais j'en ai vite découvert les atrocités. J'ai parlé aux étudiants dont les amis avaient été tués et torturés par les milices de Batista. J'ai vu les salles de torture. Fidel avait donc toute ma sympathie.

Votre livre Sanctuary V raconte votre déception cubaine ?

J'ai été très déçu par Castro. Au début, Fidel a fait des choses positives, les pauvres ont eu des écoles et des cliniques. Mais quand je lui ai parlé d'élections il m'a dit : «Dans un an ou deux, on doit consolider la révolution et se débarrasser des gens de Batista avant d'avoir des élections libres.» Et bien, on attend toujours. J'ai aussi compris que des Cubains étaient jetés en prison pour leurs écrits. Or j'ai toujours été très sensible à la liberté d'expression.

A quand remonte votre engagement politique ? Vous venez de Hollywood, ce n'est pas l'endroit le plus militant pour les droits sociaux...

J'avais une mère très spéciale. Elle avait été suffragette. Dans les années 20, elle avait créé une clinique pour les mères célibataires, elle était très progressiste. A Hollywood, elle avait organisé un club de femmes de producteurs et de réalisateurs qui invitait des conférenciers de gauche. Nos amis étaient militants, luttaient contre la pauvreté en Californie. Ma mère est même allée en Union soviétique en 1932 alors qu'on n'avait pas de relations diplomatiques avec la Russie. Upton Sinclair venait souvent à la maison. A 17 ans, je me suis inscrit à la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People). J'ai gardé la lettre du premier président Walter White qui m'avait répondu quand je lui avais expliqué que je travaillais à un livre sur le lynchage dans le Sud et que j'avais besoin de documents. Au début il y avait des Blancs dans cette organisation, surtout des juifs. Par la suite, c'est devenu presque uniquement une organisation de Noirs.

Quand vous voyez ce qui vient de se passer en Louisiane, vous pensez que la question raciale reste d'actualité aux Etats-Unis ?

Oui, parce que ce gouvernement ne s'intéresse pas aux pauvres, il ne se préoccupe que des riches, ne pense qu'à diminuer leurs impôts. Il travaille pour la classe des Blancs riches. Ce qui s'est passé n'est pas un accident. Laura Bush a dit que c'était «une sonnette d'alarme», mais on est nombreux à ne pas avoir besoin d'un signal d'alarme pour voir le fossé entre les riches et les pauvres. L'ouragan de la Nouvelle-Orléans va entraîner des mouvements politiques.

Cela me rappelle les émeutes dans le ghetto noir de Watts, à Los Angeles, il y a quarante ans. Elles ont provoqué une prise de conscience. Je suis allé à Watts dès la levée du couvre-feu et j'ai vu que les émeutiers avaient été très sélectifs dans ce qu'ils avaient attaqué : ils n'avaient pas brûlé les écoles. Ils me disaient : «Ce n'est pas une émeute, c'est une insurrection.» Avec un travailleur social, j'ai rencontré les mômes, ils m'ont dit qu'ils n'avaient pas de boulot, qu'ils n'avaient rien. Ces gosses étaient très brillants. Comme mon seul talent est d'écrire, j'ai décidé de créer un atelier d'écriture. J'ai posé un panneau clairement intitulé «Atelier d'écriture».

Et des gens sont venus ?

Personne. J'ai attendu deux mois. Toujours personne. Le jour où j'allais laisser tomber, un couple est arrivé. Pas pour écrire mais pour comprendre ce que je faisais exactement. Ils pensaient que j'étais un flic. Ensuite d'autres sont venus. Alors j'ai lu le passage d'un roman sur une émeute à New York et un petit garçon a dit : «Je peux vraiment écrire ce que je veux ?» Il était stupéfait. J'avais seulement donné comme consigne d'écrire ce qu'ils avaient fait pendant les émeutes.

Beaucoup d'écrivains sont sortis de cet atelier d'écriture, comme le poète Johnny Scott, maintenant professeur à Northridge (Université de Californie) et Eric Priestly. Mais à Watts, aujourd'hui, les écoles sont encore sans ressources et mauvaises tandis que Beverly Hills a les meilleures. Cela me scandalise toujours autant.

Les écrivains américains citent souvent cette phrase : «Si vous avez un message, allez à la poste...» Qu'en pensez-vous ?

Je pense tout le contraire. Si vous avez un message, écrivez un livre, une pièce de théâtre, un film. Mais si votre message n'est pas distrayant, il ne touchera personne. Je ne pense pas que mes livres vont changer le monde mais j'aimerais le croire. Sur les Quais a fait évoluer la situation sur les docks de New York. Il a poussé à des réformes, une commission de surveillance du port contre le racket a été mise en place, l'atmosphère a changé. Pas le monde, mais un petit coin du monde. J'adorerais écrire un livre qui change le monde.

Vous avez grandi dans cet univers hollywoodien qui glorifie la réussite mais vous avez toujours écrit sur les «losers».

Oui, mais la question de la réussite m'intéresse. D'ailleurs la plupart de mes livres parlent de cela. Et dans mes films ­ Un homme dans la foule par exemple ­, j'étudie la réussite pour la critiquer. J'ai écrit un livre sur Scott Fitzgerald et comment le succès l'a affecté ­ négativement (1). En Amérique, la réussite est le plus grand des échecs. Surtout que l'obsession de la réussite est plus importante que partout ailleurs dans le monde. C'est une maladie.

Kazan et vous avez été maltraités par Hollywood pour avoir «parlé» devant la commission McCarthy...

Kazan et moi étions comme des jumeaux. Très, très proches. On a essayé de faire des films sociaux avec une dimension artistique. Kazan a été beaucoup plus critiqué que moi pendant le maccarthysme. Des gens qui étaient furieux contre moi mais ils n'étaient pas dans le cinéma. Je continuais à écrire des livres, je n'ai pas été accusé comme Kazan. Je reconnais que si quelqu'un a directement souffert à cause de Kazan, il a raison de lui en vouloir. Mais moi, j'avais mes propres comptes à régler avec les communistes. Je n'aurais jamais écrit Qu'est-ce qui fait courir Sammy si je ne m'étais pas battu à l'intérieur du Parti, si j'avais écouté les communistes, et ma vie d'écrivain aurait été détruite... Chaque semaine, à la réunion du Parti, on devait faire un rapport. Moi, j'ai demandé à en être déchargé parce que je voulais écrire mon roman. On m'a répondu que je ne pouvais être excusé que si je prouvais que ce que je faisais était utile au Parti. J'ai dit que je ne pouvais pas. John Howard Lawson, le chef du Parti à Hollywood, m'a expliqué qu'il ne pouvait pas juste dire : «Va écrire ton roman» ; il fallait qu'il voie le synopsis pour savoir s'il allait l'autoriser et en contrôler l'écriture. J'ai refusé. A chaque réunion, revenait à l'ordre du jour le «problème Schulberg». Finalement, ils ont fait venir B.G. Jerome, le commissaire à la culture du comité central du Parti communiste américain. Jerome m'a terrorisé : «Tu n'es pas un communiste, a-t-il hurlé, tu es un bouffon !» J'avais la trouille, à Hollywood, tous les cinéastes et scénaristes étaient au Parti, même Lawson était scénariste. Ce soir-là, je suis rentré à la maison et j'ai dit à ma femme : «Je veux m'en aller, quittons cette ville.» On est partis dans le Vermont. Et c'est là que j'ai écrit Qu'est-ce qui fait courir Sammy ? Quand le livre a été publié, un article très positif est paru dans le journal du Parti. Alors Lawson a téléphoné au critique littéraire, l'a engueulé et menacé de le vider. Ce critique a écrit un deuxième article pour démolir le livre, «réactionnaire».

Ensuite les patrons des studios ont réagi très violemment. J'ai eu le privilège exceptionnel d'être attaqué à la fois par les communistes et les moguls (les nababs, ndlr). Mon père, directeur de production de la Paramount, avait prévu la chose, il m'avait écrit une lettre me suppliant de ne pas publier ce livre, que cela allait faire du tort, à lui, à ma mère, à la famille. Ce qui s'est passé.

Vous regrettez ?

Non, je n'avais pas le choix. Mais Goldwyn et Mayer m'ont dénoncé comme «traître», ils ont engueulé mon père et l'ont rendu responsable. C'était meshugga («de la folie», en yiddish, ndlr). Le patron juif de studio et le patron juif du Parti communiste unis contre un écrivain juif... C'est rare. Avec autant de hargne à gauche qu'à droite. Ce qui m'a sauvé, c'est que le livre a été un best-seller. Aujourd'hui encore on me soupçonne d'antisémitisme. Alors que Ben Stiller veut faire le film et jouer Sammy, Spielberg, qui doit le produire, a émis des réserves, craignant que cela n'encourage l'antisémitisme.

Vous avez beaucoup de projets...

Je travaille beaucoup. Depuis deux ans je prépare avec Spike Lee un film sur les boxeurs Joe Lewis et Max Schmeling. Sur leur relation. Ce sera presque une love story. Spike et moi venons de finir le script, on espère le tourner l'année prochaine. Et je suis toujours le correspondant américain du Glasgow Sunday Herald, je couvre les principaux matches de boxe. Le prochain sera le championnat des poids légers à Las Vegas. Ensuite je vais à Los Angeles à la réunion des écrivains de mon atelier d'écriture pour le quarantième anniversaire des émeutes de Watts. Je suis fier d'eux, tellement fier.

(1)Le Désenchanté (Rivages).



Budd Shulberg,
91 ans, a écrit les plus beaux films de l'époque glorieuse du cinéma américain : Plus dure sera
la chute, avec Humphrey Bogart, sur le monde pourri de la boxe ; Un homme dans
la foule (1957), qui dénonce le rôle de la télévision ; et le mythique Sur
les quais (1954) qui valut une pluie d'oscars
au scénariste,
au réalisateur
Elia Kazan,
et à sa star,
Marlon Brando.
Mais Budd Shulberg fut aussi celui par qui le scandale arrive. D'abord avec Qu'est-ce qui fait courir Sammy ? (1941, réédité en 10/18 ), qui a pour héros un jeune arriviste juif dans le monde des studios, et qui le poussa hors de Hollywood. Mais aussi parce qu'il
a accepté
de «collaborer»
à la Commission des activités
antiaméricaines du sénateur McCarthy.
Il publie Sanctuary V, (éd. Bernard Pascuito), sur ses désillusions à Cuba.

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