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MessagePosté: 11 Déc 2021, 13:12 
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1974 à Paris. Un an après le coup d'état de Pinochet et la mort d'Allende, une chronique de la vie des réfugiés politiques chiliens à Paris. Leurs sensibilités politiques, leurs âges, leurs origines sociales sont très différents. Ils sont démunis et logent en foyer de travailleurs immigrés ou dans des appartements vétustes et encombrés. Paradoxalement ce sont les plus qualifiés d'entre eux qui ont le plus de mal à trouver du travail. Des structures d'entraides existent, soutenues par quelques Français. Leur justification est assez ambiguë : elles recherchent de l'argent apparemment pour financer une résistance armée et des mouvements politiques, sans doute anciennement puissants et disciplinés au Chili, qui tentent de se reconstruire, mais il s'agit dans les faits de soutenir leur vie quotidienne dans Paris.
Une vedette de la chanson populaire, proche du régime, fait une tournée à Paris, pour normaliser l'image du régime mais peut-être un peu pour espionner la communauté des réfugiés. Celle-ci envisage de la kidnapper et de la retourner idéologiquement...


Image

Naïvement, je me figurais que le film était un documentaire centré sur des interviews, mais il s'agit en fait d'une fiction, où on reconnait Daniel Gélin et Françoise Arnoul (et des acteurs chiliens jouant sur un registre comique leur situation), et plus précisément d'un faux-documentaire satirique concernant autant la situation du Chili et sa culture que ce que la condition des réfugiés politiques en France. Le film est extrêmement drôle, très différent de la fibre habituelle de Ruiz. Sans remonter à To be or not to be (mais on pourrait) on pense un peu aux comédies de Luc Moulet, à la Troisième Génération de Fassbinder (même s'il y a alors une ambiguïté à voir la même dérision pour le terrorisme d'extrême-gauche et le fait d'être réfugié), voire, de manière plus inattendue, The Spinal Tap de Rob Reiner (le film de Ruiz compte des personnages de musiciens bien croqués). Le ton m'a aussi fait penser au regard de Riad Sattouf sur son père dans l'Arabe du Futur. L'enjeu est peut-être le même : comment, comme autre, faire la dérision de soi-même sans risquer de rencontrer le racisme de la culture d'où l'on parle ? D'autant que comme chez Sattouf, cette dérision est articulée avec une mélancolie politique et un désir envers la société, sa normalité et sa securité, qui facilite alors l'amalgame et la stigmatisation.

Le film, très mordant, a été assez mal reçu par la communauté des exilés chiliens, ce qui explique peut-être en partie l'hermétisme de ses films suivants. C'est ssns doute lié autant à la forme (le faux documentaire est un genre intrinsèquement cynique) mais aussi à une certaine mise en cause des partis de la gauche chilienne (vus comme à la fois doctrinairement rigides et corrompus) même si le regard sur leur base n'est pas malveillant. La description du milieu associatif de gauche français qui vient en aide aux immigrés est toute aussi incisive, avec un humanisme soit trop naïf soit trop condescendant (Daniel Gélin hilarant en pata-Roland Dumas) même si le point de vue général est de leur côté. La critique qui se voulait interne à la gauche a été perçue comme externe.
Plus profondément, le malentendu autour du film est lié au fait que Ruiz met en scène un désarroi devant l'impuissance politique qui rejoint un regard plus ontologique sur la platitude du réel; l'objet de la mélancolie ou du deuil d'un personnage correspond toujours de manière trop exacte à l'idéologie et au discours d'un autre. D'où déjà l'impression de temps scellé et immobile, où l'absurde découle toujours d'une intention, qui est palpable dans ses films ulterieurs. Cependant il ne voile pas la cruauté de la dictature chilienne.

C'est enfin une galerie de portraits extrêmement drôle, de Daniel Gélin déjà mentionné au chanteur d'extrême-droite, viriliste et grandiloquent, qui débite un tas de conneries les unes après les autres, avec cependant un certain talent dialectique, et ne s'aperçoit même pas qu'il est pris en otage, tellement son besoin d'être reconnu et aimé de ses opposants est grand (on peut penser à la logiquede cetains échanges sur le forum) , en passant par l'intellectuel maoïste barbu et coquet tellement technocratique qu'il est en extase devant le périphérique ("cela décongestionne le centre et permet d'encercler la ville en cas de mai 68 rapidement, pas comme chez nous où ça a pris 3 heures"). Et j'en passe.
Le regard sur le statut de refugié politique et l'immigration est toujours très actuel, il y a un beau personnage d'immigré algérien, gravitant autour du groupe de chiliens, que Ruiz a voulu montrer et qui d'ailleurs ouvre le film, sans en rompre l'aspect satirique. Les propos et stéréotypes que le film essaye de prendre à rebours sont toujours les nôtres.

On peut le voir gratuitement sur le site de la Cinémathèque.

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Mais peut-être la nécessité accrue de faire confiance incite-t-elle à la mériter davantage

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